Project Gutenberg's Les Cent Nouvelles Nouvelles, tome II, by Various This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Les Cent Nouvelles Nouvelles, tome II Publiées d'après le seul manuscrit connu, avec introduction et notes Author: Various Editor: Thomas Wright Release Date: September 15, 2012 [EBook #40768] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LES CENT NOUVELLES *** Produced by Laurent Vogel, Eleni Christofaki, gdm and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net. (This book was produced from scanned images of public domain material from the Google Print project.)
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Paris, imprimé par Guiraudet et Jouaust, 338, rue S.-Honoré, avec les caractères elzeviriens de P. Jannet.
LES CENT
NOUVELLES
NOUVELLES
Publiées d'après le seul manuscrit connu
AVEC INTRODUCTION ET NOTES
Par
M. THOMAS WRIGHT
Membre correspondant de l'Institut de France
Tome II
A PARIS
Chez P. Jannet, Libraire
MDCCCLVIII
A Paris n'a guères vivoit une femme qui
en son temps fut mariée à ung bon
simple homme, qui tout son temps
fut de noz amys, si trèsbien qu'on ne
pourroit plus. Ceste femme, qui belle
et gente et gracieuse estoit ou temps qu'elle
fut noeve, car el avoit l'œil au vent, fut requise
d'amours de pluseurs; et pour la grand courtoisie
que nature n'avoit pas oubliée en elle, elle
passa légèrement les requestes de ceulx qui
mieulx luy pleurent, et joyrent d'elle, et eut
en son temps, tant d'eulx que de son mary,
xij ou xiiij enfans. Advint qu'elle fut malade
trèsfort et au lit de la mort acouchée; si eut
tant de grace qu'elle eut temps et loisir de se
confesser et penser à ses pechez et disposer
de sa conscience. Elle véoit, durant sa maladie,
ses enfans trotter devant elle, qui luy
bailloient au cueur trèsgrand regret de les
laisser. Si se pensa qu'elle feroit mal de laisser
son mary chargé de la pluspart d'eulx,
car il n'en estoit pas le père, combien qu'il le
6cuidast et que la tenist aussi bonne que nulle
de Paris. Elle fist tant, par le moyen d'une
femme qui la gardoit, que vers elle vindrent
deux hommes qui ou temps passé l'avoient en
amours bien servie. Et vindrent de si bonne
heure que son mary estoit en la ville, et à
cest cop devers les medicins et apothicaires,
ainsi qu'elle luy avoit ordonné et prié. Quand
elle vit ces deux hommes, elle fit tantost venir
touz ses enfans; si commence à dire: «Vous,
ung tel, vous savez ce qui a esté entre vous et
moy du temps passé, dont il me desplaist à
ceste heure amerement. Et si n'est la misericorde
de nostre Seigneur, à qui me recommende,
il me sera en l'autre monde bien cherement
vendu. Toutesfoiz, j'ay fait une folie,
je le cognois; mais de faire la secunde ce seroit
trop mal fait. Véezcy telz et telz de mes
enfans; ilz sont vostres, et mon mary cuide
qu'ilz soient siens. Si feroye conscience de les
laisser en sa charge; si vous prie tant que je
puis qu'après ma mort, qui sera brefment,
vous les prenez avecques vous et les entretenez,
nourrissez et elevez, et en faictes
comme bon père doit faire, car ilz sont vostres.»
Pareillement dist à l'autre, et luy monstra
ses aultres enfans: «Telz et telz sont à
vous, je vous en asseure; je les vous recommende,
en vous priant que vous en acquictez;
et s'ainsi le me voulez promectre, j'en
mourray plus aise.» Et comme elle faisoit ce
partage, son mary va revenir à l'ostel et fut
perceu par ung petit de ses filz qui n'avoit
7environ que iiij ou vj ans, qui vistement descendit
en bas encontre de luy effrayement, et
se hasta tant de devaler la montée qu'il estoit
presque hors d'alayne. Et comme il vit son
père, à quelque meschef que ce fut il dist:
«Helas! mon père, avancez vous tost, pour
Dieu!—Quelle chose y a il de nouveau? dit
le père; ta mère est elle morte?—Nenny,
nenny, dit l'enfant; mais avancez vous d'aller
en hault, ou il ne vous demourra enfans nesun.
Ilz sont venuz deux hommes vers ma mère,
mais elle leur donne tous mes frères et mes
seurs; si vous n'allez bien tost, elle donnera
tout.» Le bon homme ne scet que son filz
veult dire; si monta en hault et trouve sa
femme bien malade, sa garde, et deux de ses
voisins, et ses enfans; si demanda que signifie
ce que ung tel de ses filz luy avoit dit du
don qu'elle fait de ses enfans. «Vous le scerez
cy après», dit elle. Il n'en enquist plus
avant pour l'heure, car il ne se doubtoit de
rien. Ses voisins s'en allèrent et commendèrent
la malade à Dieu, et luy promisrent de
faire ce qu'elle leur avoit requis, dont elle les
remercya. Comme elle approucha le pas de la
mort, elle crya mercy à son mary, et luy dist
la faulte qu'elle luy a fait durant qu'elle a esté
allyée avecques luy, et comment telz et telz
de ses enfans sont à ung tel, et telz et telz
sont à ung tel, c'est assavoir à ceulz dont
dessus est touché, et que après sa mort ilz les
prendront et n'en ara jamais charge. Il fut
bien esbahy d'oyr ceste nouvelle; néantmains
8il luy pardonna tout, et puis elle mourut; et
il envoya ses enfans à ceulx qu'elle avoit ordonné,
qui les retindrent. Et par ce point il
fut quitte de sa femme et de ses enfans; et si
eut beaucop mains de regret de la perte de sa
femme que de celle de ses enfans.
N'a guères que ung grand gentilhomme,
sage, prudent, et beaucop vertueux,
comme il estoit au lit de la
mort, et eust fait ses ordonnances et
disposé de sa conscience au mieulx qu'oncques
peut, il appella ung seul filz qu'il avoit,
auquel il laissoit foison de biens temporelz. Et
après qu'il luy eut recommendé son ame, celle
de sa mère, qui n'a guères estoit allée de vie
par mort, et généralement tout le collège de
purgatoire, il l'advisa trois choses pour la derrenière
doctrine que jamais luy vouloit baillier,
en disant: «Mon trèscher filz, je vous
advise tout premier que jamais vous ne hantez
tant en l'ostel de vostre voisin que l'on vous y
serve de pain bis. Secundement, je vous enjoinctz
que vous gardez trèsbien de jamais
courre vostre cheval en la valée. Tiercement,
que vous ne prenez jamais femme d'estrange
nacion. Souvienne vous de ces trois poins, et
9je ne doubte point que bien ne vous en vienne;
mais si vous faictes au contraire, soiez seur
que vous trouverez que la doctrine de vostre
père vous vaulsist mieulx avoir tenue.» Le bon
filz mercya son père de son bon advertissement,
et luy promect d'escripre ses enseignemens
au plus profund de son entendement, et
si trèsbien en aura memoire que jamais n'yra
au contraire. Tantost après son père mourut,
et furent faictes ses funerailles comme à son
estat et homme de tel lieu qu'il estoit appartenoit:
car son filz s'en voult bien acquitter,
comme celuy qui bien avoit de quoy. Ung
certain temps après, comme l'on a accointance
plus en ung lieu que en l'autre, ce bon
gentilhomme, qui estoit orphenin de père et
de mère et à marier, et ne savoit que c'estoit
de mesnage, s'accointa d'un voisin qu'il avoit,
et de fait la pluspart des jours buvoit et mengeoit
léens. Son voisin, qui maryé estoit et
avoit une trèsbelle femme, se bouta en la
doulce rage de jalousie, et luy vindrent faire
rapport ses yeulx suspeçonneux que nostre
gentilhomme ne venoit en son hostel fors à
l'occasion de sa femme, et que vrayement il
en estoit amoureux, et que à la longue il la
pourroit emporter d'assault. Si n'estoit pas
bien à son aise, et ne savoit penser comment
il se pourroit honnestement de luy desarmer,
car luy dire la chose comme il la pense ne
vauldroit rien; si conclud de luy tenir telz
termes petit à petit qu'il se pourra assez percevoir,
s'il n'est trop beste, que sa hantise
10si continuelle ne luy plaist pas. Et pour executer
sa conclusion, en lieu qu'on le souloit
servir de pain blanc, il fist mectre du pain bis.
Et après je ne sçay quants repas, nostre gentilhomme
s'en donna garde, et luy souvint de la
doctrine de son père; si congneut qu'il avoit
erré, si battit sa coulpe et bouta en sa manche
tout secrètement ung pain bis et l'apporta
en son hostel; et en remembrance le pendit
en une corde dedans la grand sale, et ne retourna
plus à la maison de son voisin comme
il avoit fait au paravant. Ung jour entre les
aultres, luy qui estoit homme de deduit,
comme il estoit aux champs, et eussent ses
levriers mis ung lièvre en chasse, il picque
son cheval tant qu'il peut après, et vient rataindre
et lièvre et levriers en une grand valée,
où son cheval, qui venoit de toute sa force,
faillit de quatre piez et tumbe, et se rompit le
col, et il fut trèsbien esbahy, et fut bien eureux,
quand il se vit gardé de mort ne de
bleceure. Il eut toutesfoiz pour recompense le
lièvre; et comme il le tenist et regardast son
cheval que tant amoit, il luy souvint du second
advisement que son père luy bailla, et
que, s'il en eust eu bien memoire, il n'eust pas
ceste perte, ne passé le dangier qu'il a eu bien
grand. Quand il fut à sa maison, il mist au
près du pain bis, à une corde, en sa sale, la
peau du cheval, en mémoire et remembrance
du secund advisement que son père jadiz luy
bailla. Ung certain temps après il luy print
volunté d'aller voyager et veoir païs, si disposa
11ses besoignes ad ce, et fist sa finance,
et sercha maintes contrées, et se trouva en
diverses regions, et s'arresta en la fin et fist
residence en l'ostel d'un grand seigneur,
d'une estrange et bien loingtaine marche; et
se gouverna si haultement et si bien léens que
le seigneur fut bien content de luy bailler sa
fille en mariage, jasoit qu'il n'eust cognoissance
de luy fors de ses loables meurs et vertuz.
Pour abreger, il fiança la fille de ce seigneur,
et vint le jour des nopces. Et quand il
cuyda la nuyt coucher avec elle, on luy dist
que la coustume du pays estoit de point coucher
la première nuyt avec sa femme, et qu'il eust
pacience jusqu'au lendemain. «Puis que c'est la
coustume, dist il, je ne quiers jà qu'on la rompe
pour moy.» Son espouse fut menée coucher après
les dances en une chambre, et il en une aultre,
et de bien venir n'y avoit que une paroy entre
ces deux chambres, qui n'estoit que de terre.
Si s'advisa, pour veoir la contenance, de faire
ung pertuys de son espée par dedens la paroy,
et vit trèsbien à son aise son espouse se bouter
en son lit; et vit aussi, ne demoura guères
après, le chapellain de léens qui se vint
bouter auprès d'elle pour luy faire compagnie
affin qu'elle n'eust paour; ou espoir pour faire
l'essay ou prendre le disme advenir, comme
firent les cordeliers dont dessus est touché.
Nostre bon gentilhomme, quand il vit cest
appareil, pensez qu'il eut bien des estoupes
en sa quenoille; et luy vint tantost en memoire
le IIJe advisement que son bon père luy
12donna, lequel il avoit mal retenu. Il se conforta
toutesfoiz et dist bien en soy mesmes que
la chose n'est pas si avant qu'il n'en saille
bien. Au lendemain, le bon chapellain, son
lieutenant pour la nuyt, et son predecesseur,
se leva de bon matin, et d'adventure il oblya
ses brayes soubz le chevet du lit à l'espousée.
Et nostre bon gentilhomme, sans faire semblant
de rien, vint au lit d'elle et la salua gracieusement,
comme il savoit bien faire, et
trouva façon de prendre les braies du prestre
sans ce qu'il fust d'ame apperceu. On fist
grand chère tout ce jour; et quand vint au
soir, le lit à l'espousée fut paré et ordonné
tant richement que merveilles, et elle y fut
couchée. Si dist on au sire des nopces que
meshuy, quand il luy plairast, pourra il aller
coucher avecques sa femme. Il estoit fourny
de sa response, et dist au père et à la mère et
aux parens qui le voulrent oyr: «Vous ne savez
qui je suis, et à qui vous avez donné vostre
fille, et en ce m'avez fait le plus hault honneur
qui jamais fut fait à jeune gentilhomme
estrangier, dont je ne vous saroie assez mercier.
Neantmains toutesfoiz, j'ay conclud en
moy mesmes, et suis ad ce resolu, de jamais
coucher avec elle si que luy auray monstré et à
vous aussi qui je suis, quelle chose j'ay et
comment je suis logié.» Le père print tantost
la parolle et dist: «Nous savons trèsbien que
vous estes noble homme et de hault lieu, et
n'a pas Dieu mis en vous tant de belles vertuz
sans les accompaigner d'amys et de richesses.
13Nous sommes contens de vous, ne laissez jà à
parachever vostre mariage; tout à temps scerons
nous plus avant de vostre estre quand il
vous plaira.» Pour abréger, il voa et jura de
jamais coucher avec elle si n'estoit en son
hostel, et l'y amenerent son père et sa mère,
et pluseurs de ses parens et amys. Il fist mettre
son hostel à point pour les recevoir, et y
vint ung jour devant eulx. Et tantost qu'il fut
descendu, il print les brayes du prestre qu'il
avoit, et les pendit en sa sale auprès du pain
bis et de la peau du cheval. Trèsgrandement
furent receuz et festoiez les parens et amis de
la bonne espousée; et furent bien esbahiz de
veoir l'ostel d'un tel jeune gentilhomme si
bien fourny de vaisselle, de tapisserie et de
tout aultre meuble; et se reputoient trèseureux
d'avoir si bien allyée leur belle fille.
Comme ilz regardoient par léens, ilz vindrent
en la grand sale, qui estoit pourtendue de belle
tapisserie; si perceurent au milieu le pain bis,
la peau du cheval, et unes brayes qui pendoient,
dont ilz furent beaucop esbahiz, et en
demandèrent la signifiance à leur hoste, le
sire des nopces. Et il leur dit que voluntiers et
pour cause il leur diroit ce qui en est quand
ilz auroient mangé. Le disner fut prest et Dieu
scet qu'ilz furent bien serviz. Ilz n'eurent pas
si tost disné qu'ilz ne demandèrent l'interpretacion
et le mistère du pain bis, de la peau
du cheval, etc., et le bon gentilhomme leur
compta bien au long, et dist que son père au
lit de la mort, comme dessus est narré, luy
14avoit baillé trois advisemens. Le premier fut
que jamais ne se trouvast tant en ung lieu
que l'on le servist de pain bis.» Je ne retins
pas bien ceste doctrine: car depuis sa mort je
hantay tant ung mien voisin qu'il se bouta en
jalousie pour sa femme, et, en lieu de pain
blanc que je y eu long temps, on me servit
du bis; et en mémoire et approbacion de la
verité de cest enseignement, j'ay là fait mettre
ce pain bis. Le deuxiesme enseignement que
mon père me bailla fut que jamais ne courusse
mon cheval à la valée. Je ne le retins
pas bien, ung jour qui passa; si m'en print
mal: car, en courant une valée après le lièvre
et mes chiens, mon cheval se rompit le
col, et je fuz trèsbien blecié; et en memoire
de ce est là pendue la peau du cheval qu'alors
je perdy. Le troisiesme enseignement que mon
père me bailla si fut que jamais n'espousasse
femme d'estrange région. Or y ay je failly, et
vous diray comment il m'en est prins. Il est
vray que la première nuyt que vous me refusastes
le coucher avecques vostre fille, qui cy
est, je fu logié en la chambre au plus près de
la sienne; et car la paroy qui estoit entre elle
et moy n'estoit pas trop forte, je la pertuisay
de mon espée, et vy venir coucher avec elle
le chapellain de vostre hostel, qui soubz le
chevet du lit oublya ses braies le matin qu'il
se leva; lesquelles je recouvray, et sont celles
que veez là pendues, qui tesmoignent et approuvent
la canonicque verité du troisiesme
enseignement que jadiz feu mon père me bailla,
15lequel je n'ay pas bien retenu; mais, affin que
plus n'y renchoye en la faulte des deux advis
precedens, ces trois bagues que veez m'en feront
doresenavant sage. Et car, la Dieu mercy,
je ne suis pas tant obligé à vostre fille qu'elle
ne me puisse bien quicter, je vous prie que la
remenez et retournez en vostre marche, car
jour que je vive ne me sera de plus près; mais
pource que je vous ay fait venir de loing et
vous ay bien voulu monstrer que je ne suis
pas homme pour avoir le demourant d'un
prestre, je suis content de paier voz despens.»
Les aultres ne sceurent que dire, qui se veoient
conclus et leur tort, voyans aussi qu'ilz sont
loing de leur pays, et que la force n'est pas
leur en ce lieu; si furent contens de prendre
argent pour leurs despens et s'en retourner
dont ilz vindrent, et qui plus y a mis plus y
a perdu. Et par ce compte avez oy que les
trois advis que le bon père bailla à son filz ne
sont pas à oublier; si les retienne chascun pour
autant qu'il sentira qu'il luy peut toucher.
N'a guères que en l'église de saincte
Goule, à Bruxelles, estoient à ung
matin pluseurs hommes et femmes
qui devoient espouser à la première
messe, qui se dit entre quatre et cinq heures;
16et entre aultres qui devoient emprendre
ce doulx et seur estat de mariage, et promectre
en la main du prestre ce que pour rien
ne vouldroient trespasser, il y avoit ung jeune
homme et une jeune fille qui n'estoient pas
des plus riches, mais bonne volunté avoient,
qui estoient l'un près de l'autre, et n'attendoient
fors que le curé les appellast pour
espouser. Auprès d'eulz aussi y avoit ung
homme ancien et une femme vieille qui grand
chevance et foison de richesses avoient, et
par convoitise et grand desir de plus avoir
avoient promis foy et loyaulté l'un à l'autre,
et pareillement attendoient à espouser à ceste
première messe. Le curé vint et chanta ceste
messe trèsdesirée; et en la fin, comme il est de
coustume, devant luy se misrent ceulx qui espouser
devoient, dont y avoit pluseurs, sans les
quatre dont je vous ay compté. Or devez vous
savoir que ce bon curé, qui tout prest estoit devant
l'aultier pour faire et accomplir le mistère
d'espousailles, estoit borgne, et avoit, par
ne sçay quel meschef, puis pou de temps
perdu ung œil. Et n'y avoit aussi guères grand
luminaire en la chapelle ne sur l'aultier; il estoit
aussi en yver, et faisoit fort brun et noir.
Si faillit à choisir: car, quand vint à besoignier
et espouser, il print le vieil homme riche et la
jeune fille pouvre et les joignit par l'aneau
du moustier ensemble. D'aultre costé aussi il
print le jeune homme pouvre et l'espousa à la
vieille femme riche, et ne s'en donnèrent oncques
garde en l'église ne les hommes ne les
17femmes, dont ce fut grand merveille, par
especial des hommes, car ilz osent mieux lever
les yeux et la teste quand ils sont devant
le curé à genouz que les femmes, qui sont à
cest cop simples et coyes et n'ont le regard
fiché qu'en terre. Il est de coustume que, au
saillir des espousailles, les amis de l'espousée
la prennent et mainent. Si fut menée la pouvre
jeune fille à l'ostel du riche homme, et
pareillement la vieille riche fut menée en la
pouvre maisonnette du jeune compaignon.
Quand la jeune espousée se trouva en la court
et en la grand sale de l'ostel de l'homme qu'elle
avoit par mesprise espousé, elle fut bien esbahie
et cogneut bien qu'elle n'estoit pas partie
de léens ce jour. Quand elle fut arrière en
la chambre à parer, qui estoit bien tendue de
belle tapisserie, elle vit le beau grand feu,
la belle table couverte où le beau desjuner estoit
tout prest; elle vit le beau buffet bien fourny
de vaisselle: si fut plus esbahie que par avant,
et de ce se donne plus grand merveille qu'elle
ne cognoist ame de ceulx qu'elle ot parler. Elle
fut tantost desarmée de sa faille, où elle estoit
bien enfermée et embronchée, et comme son
espousé la vit à descouvert, et les aultres qui
là estoient, creez qu'ilz furent autant souprins
que si cornes leur venissent. «Comment! dit
l'espousé, et est cecy ma femme? Nostre
Dame! je suis bien eureux! Elle est bien changée
depuis hier, je croy qu'elle a esté à la
fontaine de Jouvence.—Nous ne savons,
dirent ceulx qui l'avoient amenée, dont elle
18vient, ne qu'on luy a fait; mais nous savons
certainement que c'est celle que vous ayez huy
espousée, et que nous prismes à l'aultier, car
oncques puis ne nous partit des braz.» La compaignie
fut bien esbahie et longuement sans
mot dire; mais, que que fust simple et esbahy,
la pouvre espousée estoit toute desconfortée,
et ploroit des yeulx tendrement, et ne savoit
sa contenance; elle amast trop mieulx se trouver
avecques son amy, qu'elle cuidoit bien
avoir espousé ce jour. L'espousé, la voyant se
desconforter, en eut pitié et lui dist: «M'amye,
ne vous desconfortez jà, vous estes arrivée
en bon hostel, si Dieu plaist, et n'ayez doubte,
on ne vous y fera jà desplaisir; mais dictes
moy, s'il vous plaist, qui vous estes, et à vostre
advis dont vous venez cy.» Quand elle
l'oyt si courtoisement parler, elle s'asseura
ung peu et luy nomma son père et sa mère,
et dist qu'elle estoit de Bruxelles, et avoit
fiancé ung tel qu'elle luy nomma, et le cuidoit
bien avoir espousé. L'espousé et tous
ceux qui là estoient commencèrent à rire,
et dirent que le curé leur a fait ce tour. «Or
loé soit Dieu, dist de rechef l'espousé, de ce
change! je n'en voulsisse pas tenir bien grand
chose que Dieu vous a envoyée à moy, et je vous
promet par ma foy de vous tenir bonne compaignie.—Nenny,
ce dit-elle en plorant,
vous n'estes pas mon mary. Je veil retourner
devers celuy à qui mon père m'avoit donnée.—Ainsi
ne se fera pas, dit-il; je vous ay espousée
en saincte eglise, vous n'y povez contredire;
19vous estes et demourrez ma femme,
et soiez contente, vous estes bien eureuse.
J'ay, la Dieu mercy! de biens assez, dont vous
serez dame et maistresse, et vous feray bien
jolye.» Il la prescha tant, et ceux qui là estoient,
qu'elle fut contente d'obéir. Si desjunèrent
legierement et puis se couchèrent;
et fist le vieil homme du mieux qu'il sceut. Or
retournons à nostre vieille et au jeune compaignon.
Pour abréger, elle fut menée à l'hostel
du père à la fille qui à ceste heure est couchée
avecques le vieil homme. Quand elle se
trouva léens, elle cuida bien enrager, et dist
tout haut: «Et que fays je céens? Que ne me
maine l'on en ma maison, ou à l'ostel de mon
mary? L'espousé, qui vit ceste vieille et l'oyt
parler, fut bien esbahy; si furent son père et
sa mère, et tous ceulx de l'assemblée. Si saillit
avant le père et la mère de léens, qui cogneut
la vieille, et trèsbien savoit à parler
de son mariage, et dit: «On vous a baillé,
mon fils, la femme d'un tel, et creez qu'il a la
vostre; et ceste faulte vient par nostre curé,
qui voit si mal; et ainsi m'aïst Dieu, jasoit que
je fusse loing de vous quand espousastes, si
me cuiday je percevoir de ce change.—Et
qu'en doy je faire? dit l'espousé.—Par ma
foy, dist son père, je ne m'y cognois pas
bien, mais je faiz grand doubte que vous ne
puissez avoir aultre femme.—Saint Jehan!
dist la vieille, je ne le veil point, je n'ay cure
d'un tel chetif! Je seroye bien eureuse d'avoir
ung tel jeune galant qui n'aroit cure de moy, et
20me despendroit tout le mien, et, si j'en sonnoye
mot, encores aroie je la teste torchée.
Ostez, ostez, mandez vostre femme, et me
laissez aller où je doy estre.—Nostre Dame!
dit l'espousé, si je la puis recouvrer, je l'ayme
trop mieulx que vous, quelque pouvre qu'elle
soit; mais vous n'en irez pas, si je ne la puis
finer.» Son père et aucuns ses parens vindrent
à l'ostel où la vieille voulsist bien estre;
et vindrent trouver la compaignie qui desjeunoit
au plus fort, et qui faisoient le chaudeau
pour porter à l'espousé et à l'espousée. Ilz comptèrent
leur cas, et on leur respondit: «Vous
venez trop tard: chacun se tienne à ce qu'il
a; le seigneur de céens est content de la femme
que Dieu luy a donnée, il l'a espousée et n'en
veult point d'aultre. Et ne vous en dolez jà,
vous ne fustes jamais si eureux que d'avoir fille
alyée en si hault lieu; vous en serez une foiz tous
riches.» Ce bon père retourne en son hostel,
et vient faire son rapport, dont la vieille cuida
bien enrager. «Voire, dist elle, suis je en ce
point deceue? Par Dieu! la chose n'en demourra
pas ainsi, ou la justice me fauldra.»
Si la vieille estoit bien mal contente, encore
l'estoit bien autant ou plus le jeune espousé,
qui se veoit frustré de ses amours; et encores
l'eust il legerement passé s'il eust peu finer de
la vieille à tout son argent; mais nenny, il la
faillit laisser aller à sa maison, tant menoit
laide vie. Si fut conseillé de la faire citer pardevant
monseigneur de Cambray, et elle pareillement
fist citer le vieil homme qui ha la
21jeune femme; et ont encommencé ung gros
procès dont le jugement n'est encores rendu,
si ne vous en sçay que dire plus avant.
Ung gentil chevalier de la conté de
Flandres, jeune, bruyant, jousteur,
danseur et bien chantant, se trouva
point ou pays de Haynault, en la
compaignie d'un aultre gentil chevalier de sa
sorte, et demeurant ou dit pays, qui le hantoit
trop plus que la marche de Flandres où il avoit
sa residence et belle et bonne. Mais, comme
souvent advient, amours estoit cause de sa
retenue, car il estoit feru et attaint bien au vif
d'une damoiselle de Maubeuge, et à ceste
occasion Dieu scet qu'il faisoit. Trèssouvent
joustoit, faisoit mommeries, bancquetz, et
generalement tout ce qu'il pensoit qui peust
plaire à sa dame et à luy possible, il le faisoit. Il
fut assez bien en grâce pour ung temps, mais
non pas si avant qu'il eust bien voulu. Son
compaignon le chevalier de Haynau, qui savoit
tout son cas, le servoit au mieulx qu'il
povoit, et ne tenoit pas à sa diligence que ses
besoignes ne fussent bien bonnes et meilleures
qu'elles ne furent. Qu'en vauldroit le long
compte? Le bon chevalier de Flandres ne sceut
22oncques tant faire, ne son compagnon aussi,
qu'il peust obtenir de sa dame le gracieux don
de mercy, ainçois la trouva tout temps rigoreuse,
puis qu'il tenoit langage sur ces termes.
Force luy fut toutesfoiz, ses besoignes
estans comme vous oez, de retourner en Flandres.
Si print ung gracieux congé de sa dame,
et luy laissa son compaignon, promist aussi,
s'il ne retournoit de bref, de luy souvent escripre
et mander de son estat. Et elle promist
de sa part luy faire savoir de ses nouvelles.
Advint certain jour après que nostre chevalier
fut retourné en Flandres, que sa dame eut
volunté d'aller en pelerinage, et disposa ses
besoignes ad ce. Et comme le chariot estoit
devant son hostel, et le charreton dedans,
qui estoit ung trèsbeau compaignon,
fort et viste, qui l'adouboit, elle luy gecta
ung coussin sur la teste, et le fist cheoir à pates,
et puis commença à rire trèsfort et bien
hault. Le charreton se sourdit et la regarda
rire, et dist: «Par Dieu, madamoiselle, vous
m'avez fait cheoir; mais creez que je m'en
vengeray bien, car avant qu'il soit nuyt je
vous feray tumber.—Vous n'estes pas si mal
gracieux», dist elle. Et, en ce disant, elle
prend ung aultre coussin, que le charreton ne
s'en donnoit garde, et le fait arrière cheoir
comme devant; et s'elle risit fort au par
avant, elle ne s'en faindit pas à ceste heure.
«Et qu'est cecy, dit le charreton, madamoiselle?
Vous en voulez à moy, faictes; par ma
foy, si j'estoie emprès vous, je n'attendroye
23pas de moy venger aux champs.—Et que
feriez vous? dit elle.—Se j'estoie en hault,
je le vous diroye, dit il.—Vous feriez merveilles,
dit elle, à vous oyr; mais vous ne vous
y oseriez trouver.—Non, dit il, et vous le
verrez.» Il saulta jus du chariot, entra dedans
l'ostel, et monta en hault, où madamoiselle
estoit en cotte simple, tant joyeuse qu'on ne
pourroit plus; il la commence à assaillir, et,
pour abreger le compte, elle fut contente qu'il
luy tollist ce que par honneur donner ne luy
povoit. Cela se passa, et au terme accoustumé
elle fist ung trèsbeau petit charreton, ou pour
mieulx dire ung trèsbeau filz. La chose ne
fut pas si secrète que le chevalier de Haynau
ne le sceust tantost, dont il fut bien esbahy;
il escripvit bien à haste par ung propre message
à son compaignon en Flandres comment
sa dame avoit fait ung enfant à l'ayde d'un
charreton. Pensez que l'autre fut bien esbahy
d'oyr ces nouvelles; si ne demoura guères
qu'il ne vint en Haynau, devers son compaignon,
et luy pria qu'ilz allassent veoir sa dame,
et qu'il la veult trop bien tancer et luy dire la
lascheté et néanté de son cueur. Combien que,
pour son meschief advenu, elle ne se monstra
encores guères à ce temps, si trouvèrent façon
ces deux chevaliers, par moyens, qu'ilz vindrent
ou lieu où elle estoit. Elle fut bien honteuse
et desplaisante de leur venue, comme
celle qui bien scet qu'elle n'orra chose d'eulx
qui luy plaise; au fort elle s'asseura, et les
receut comme sa contenance luy apporta. Ilz
24commencèrent à deviser d'unes et d'aultres
matières; et nostre bon chevalier de Flandres
va commencer son service et luy dit tant de
villanie qu'on ne pourroit plus: «Or estes vous,
dist il, du monde la femme plus reprouchée et
mains honorée, et avez monstré la grand lascheté
de vostre cueur, qui vous estes habandonnée
à ung meschant villain charreton; tant
de gens de bien vous ont offert leurs services
et vous les avez tous reboutez. Et pour ma
part, vous savez que j'ay fait pour vostre
grâce acquerir; et n'estois-je pas homme pour
avoir ce butin ou mieulx que ung paillard
charreton qui ne fist oncques rien pour vous.—Je
vous requier, monseigneur, dit elle, ne
m'en parlez plus, ce qui est fait ne peut aultrement
estre; mais je vous dy bien que si vous
fussez venu à l'heure du charreton, que autant
eussé je fait pour vous que je feiz pour luy.—Est-ce
cela? dit il. Saint Jehan! il vint à bonne
heure! Le dyable y ait part, que je ne fu si
eureux que de savoir vostre heure!—Vrayement,
dit elle, il vint à l'heure qu'il falloit
venir.—Au dyable, dit il, soit l'heure, vous
aussi, et vostre charreton!» Et à tant se part et
son compaignon le suyt, et oncques depuis
n'en tint compte, et à bonne cause.
L'année du pardon de Romme n'a
guères passé, estoit ou Daulphiné
la pestilence si grande et si horrible
que la pluspart des gens de bien
habandonnèrent le pais. Durant ceste persécution,
une belle fille, gente et jeune, se sentit
ferue de la maladie; et tout tantost se vint
rendre à une sienne voisine, femme de bien
et de grand façon, et desjà sur l'eage, et lui
compta son piteux cas. La voisine, qui estoit
femme sage et asseurée, ne s'effraya de rien
que l'autre luy comptast, mesme eut bien tant
de courage et d'asseurance en elle, qu'elle la
conforta de parolles et de tant pou de medicine
qu'elle savoit. «Hélas! ce dist la jeune
fille malade, ma bonne voisine, j'ay grand
regret que force m'est aujourd'huy habandonner
ce monde et les beauls et bons passetemps
que j'ay euz longtemps; mais encores, par
mon serment, à dire entre vous et moy, mon
plus grant regret si est qu'il fault que je meure
avant que savoir et sentir des biens de ce
monde; telz et telz m'ont maintesfoiz priée,
et si les ay refusez tout plainement, dont me
desplaist; et creez que si j'en peusse finer
d'un à ceste heure, il ne m'eschapperoit jamais
26devant qu'il m'eust monstré comment je fuz
gaignée. L'on me fait entendre que la façon
du faire est tant plaisante que je plains et
complains mon gent et jeune corps qu'il fault
pourrir sans avoir eu ce desiré plaisir. Et à
verité dire, ma bonne voisine, il me semble
si je peusse quelque pou sentir avant ma mort,
ma fin en seroit plus aisée et plus legière à
passer, et à mains de regret. Et que plus est,
mon cueur est à cela que ce me pourroit estre
medicine et cause de garison.—Pleust à Dieu,
dist la vieille, qu'il ne tenist à autre chose,
vous seriez tost garie, ce me semble; car,
Dieu mercy, nostre ville n'est pas encores si
desgarnye de gens qu'on n'y trouvast ung
gentil compaignon pour vous servir à ce besoing.—Ma
bonne voisine, dit la jeune fille,
je vous requier que vous allez devers ung tel,
qu'elle luy nomma, qui estoit ung trèsbeau
gentilhomme, et qui aultrefoiz avoit esté
amoureux d'elle, et faictes tant qu'il vienne
icy parler à moy.» La veille se mect au chemin,
et fist tant qu'elle trouva ce gentilhomme,
qu'elle envoya en sa maison. Tantost qu'il
fut léens, la jeune fille malade, et à cause de
sa maladie plus et mieux colorée, luy saillit
au col et le baisa plus de vingt foiz. Le jeune
filz, plus joyeux qu'oncques mais de veoir
celle que tant avoit amée ainsi vers luy habandonnée,
la saysit sans demeure, et luy monstra
ce que tant desiroit assavoir. Elle ne fut
pas honteuse de le requerre et prier de continuer
ce qu'il avoit encommencé. Et pour abreger,
27tant luy fist elle recommencer qu'il n'en
peut plus. Quand elle vit ce, comme celle qui
n'en avoit pas son saoul, el osa bien dire: «Mon
amy, vous m'avez autresfoiz priée de ce dont
je vous requier aujourd'uy, vous avez fait ce
qu'en vous est, je le sçay bien. Toutesfoiz je
ne sçay que j'ay ne qu'il me fault, mais je
cognois que je ne puis vivre se quelque ung
ne me fait compaignie en la façon que m'avez
fait; et pourtant, je vous prie que veillez aller
vers ung tel et l'amenez icy, si cher que vous
avez ma vie.—Il est bien vray, m'amye, je le
sçay bien il fera ce que vous vouldrez.» Ce gentil
homme fut esbahy de ceste requeste; toutesfoiz,
car il avoit tant labouré que plus ne povoit,
il fut content d'aller querre son compaignon
et l'amena devers elle, qui tantost le mist en
besongne, et le laissa ainsi que l'autre. Quand
elle l'eut matté comme son compaignon, elle
ne fut pas mains privée de luy dire son courage,
mais luy prya, comme elle avoit fait
l'aultre, d'amener vers elle ung aultre gentilhomme,
et il le fist. Or sont jà trois qu'elle a
laissez et desconfiz par force d'armes; mais
vous devez savoir que le premier gentilhomme
se sentit malade et féru de l'epidimie tantost
qu'il eut mys son compaignon en son lieu; si
s'en alla hastivement vers le curé, et tout le
mieulx qu'il sceut se confessa, et puis mourut
entre les braz du curé. Son compaignon aussi,
le deuxiesme venu, tantost que au tiers il eut
baillé sa place, se sentit desja trèsmalade, et demandoit
partout après celui qui desjà estoit mort;
28il vint rencontrer le curé plorant et demenant
grand dueil, qui luy compta la mort de son bon
compaignon. «Ha! monseigneur le curé, je
suis feru tout comme luy, confessez moy.» Le
curé en grand crainte se despescha de le confesser.
Et quand ce fut fait, ce gentilhomme
malade, à deux heures près de sa fin, s'en
vint à celle qui luy avoit baillé le cop de la
mort, et à son compaignon, aussi, et là trouva
celuy qu'il y avoit amené, et luy dist: «Maudicte
femme! vous m'ayez baillé la mort et à
mon compaignon aussi. Vous estes digne de
estre brullée et mise en cendre. Toutesfoiz je
le vous pardonne, Dieu le vous veille pardonner.
Vous avez l'epydimie et l'avez bailliée
à mon compaignon, qui en est mort entre les
braz du prestre, et je n'en ay pas mains.» Il se
partit à tant et s'en ala mourir une heure
après, en sa maison. Le iije gentilhomme, qui
se voyoit en l'espreuve où ses deux compaignons
estoient mors, n'estoit pas des plus asseurez.
Toutesfoiz il print courage en soy
mesmes et mist et paour et crainte arrière dos;
et s'asseura que celuy qui en beaucop de perilz
et de mortelz assaulx s'estoit trouvé; et
vint au père et à la mère de celle qui l'avoit
deceu et fait morir ses deux compaignons,
et leur compta la maladie de leur fille et quon
y prinst garde. Cela fait, il se conduisit tellement
qu'il eschappa du peril où ses deux
compaignons estoient mors. Or devez vous
savoir que quand ceste ouvrière de tuer gens
fut ramenée en l'ostel de son père, tandiz
29qu'on luy faisoit ung lit pour reposer et la faire
suer, elle manda secretement le filz d'un cordonnier
son voisin, et le fist venir en l'estable
des chevaulx de son père et le mist en euvre
comme les aultres, mais il ne vesquist pas
quatre heures après. Elle fut couchée en ung
lit, et la fist on beaucop suer. Et tantost luy
vindrent quatre bosses dont elle fut depuis
trèsbien garie. Et tiens qui en aroit à faire,
qu'on la trouveroit aujourd'huy ou reng de
noz cousines, en Avignon, à Vienne, à Valence,
ou en quelque aultre lieu ou Daulphiné.
Et disent les maistres qu'elle eschappa de
mort à cause d'avoir senty des biens de ce
monde, qui est notable et veritable exemple à
pluseurs jeunes filles de point refuser ung bien
quand il leur vient.
N'a guères que en ung bourg de
ce royaume, en la duché d'Auvergne,
demouroit ung gentilhomme;
et de son maleur avoit une
trèsbelle jeune femme. De sa bonté devisera
mon compte. Ceste bonne damoiselle s'accointa
d'un curé qui estoit son voisin de demye
lieue, et furent tant voisins et tant privez
l'un de l'autre que le bon curé tenoit le
30lieu du gentilhomme toutes foiz qu'il estoit
dehors. Et avoit ceste damoiselle une chambrière
qui estoit secrétaire de leur fait et
portoit souvent nouvelles au curé et l'advisoit
du lieu et de l'heure pour comparoir seurement
vers sa maistresse. La chose ne fut pas
en la parfin si bien celée que mestier fut à la
compaignie; car ung gentilhomme prochain
parent de celuy à qui ce deshonneur se faisoit
fut adverty du cas, et en advertit celuy
à qui plus touchoit en la façon et manière
qu'oncques mieulx sceut et peut. Pensez que
ce bon gentilhomme, quand il entendit que
à son absence sa femme se aidoit de ce curé,
qu'il n'en fut pas content, et si n'eust esté
son cousin, il en eust prins vengence criminelle
et de main mise, tantost qu'il en fut adverty.
Toutesfoiz il fut content de differer sa
volunté jusques à tant qu'il eust prins au fait
et l'un et l'autre. Et conclurent, luy et son
cousin, d'aller en pelerinage à quatre ou six
lieues de son hostel, et de y mener sa femme
et ce curé pour mieulx se donner garde des
manières qu'ilz tiendront l'un vers l'autre. Au
retourner qu'ilz firent de ce pelerinage, où
monseigneur le curé servit amours le mieulx
qu'il peut, c'est assavoir de oeillades et d'autres
menues entretenances, le mari se fist
mander querir par ung messagier affaictié,
pour aller vers ung seigneur du pais. Il fist
semblant d'en estre mal content et de se partir
à regret; neantmoins, puisque le bon seigneur
le mande, il n'oseroit desobeir. Si part
31et s'en va, et son cousin, l'autre gentilhomme,
dit qu'il luy fera compaignie, car c'est
assez son chemin pour retourner en son hostel.
Monseigneur le curé et mademoiselle ne
furent jamais plus joyeux que d'oyr cette nouvelle:
si prindrent conseil et conclusion ensemble
que le curé se partira de léens et
prendra son congié affin que nul de léens n'ait
suspicion de luy, et environ la mynuyt, il retournera
et entrera vers sa dame par le lieu
où il a de coustume. Et ne demoura guères
puis ceste conclusion prinse que nostre curé
se part de léens et dit son adieu. Or devez
vous savoir que le mary et le gentilhomme
son parent s'estoient embuschez en un destroict
par où nostre curé devoit passer; et ne
povoit ne aller ne venir par ailleurs sans soy
trop destourner de son droit chemin. Il virent
passer nostre curé, et leur jugeoit le cueur
qu'il retourneroit la nuyt dont il estoit party;
et aussi c'estoit son intencion. Ilz le laissèrent
passer sans arrester ne dire mot, et s'advisèrent
de faire ung piège trèsbeau, à l'aide
d'aucuns paisans qui les servirent à ce besoing.
Ce piège fut en haste bel et bien fait,
et ne demoura guères que ung loup passant
pays ne s'attrappa léens. Tantost après, véezcy
maistre curé qui vient, la robe courte vestue
et portant le bel espieu à son col. Et quand
vint à l'endroit du piège, il tumbe dedans,
avecques le loup, dont il fut bien esbahy. Et
le loup, qui avoit fait l'essay, n'avoit pas mains
paour du curé que le curé avoit de luy. Quand
32noz deux gentilzhommes voyent que nostre
curé est avecques le loup logé, ilz en firent
joye merveilleuse; et dist bien celuy à qui le
fait touchoit plus, que jamais n'en partiroit
en vie, et qu'il l'occira léens. L'autre le blasmoit
de ceste volunté et ne se veult accorder
qu'il meure, trop bien est il content qu'on luy
trenche ses genitoires. Le mary toutesfoiz le
vouloit avoir mort. En cest estrif demourèrent
longuement, en attendant le jour et qu'il feist
cler. Tantdiz que ceste attente se faisoit, madamoiselle,
qui attendoit son curé, ne savoit
que penser qu'il tardoit tant; si se pensa d'y
envoyer sa chambrière, affin de le faire avancer.
La chambrière, tirant son chemin vers
l'ostel du curé, trouva le piège et tumba
avecques le loup et le curé. Qui fut esbahy,
ce fut la chambrière, de se trouver en la fosse
emprès du loup et du curé. «Ha! dit le curé,
je suis perdu, mon fait est descouvert; quelque
ung nous a pourchassé ce passage.» Et
le mary et le gentilhomme son cousin, qui
tout entendoient et véoient, estoient tant aises
qu'on ne pourroit plus; et se pensèrent,
comme si le saint esperit leur eust revelé, que
la maistresse pourroit bien suyvir la chambrière,
ad ce qu'ilz entendirent de la chambrière,
que sa maistresse l'envoyoit devers le
curé pour savoir qu'il tardoit tant de venir
oultre l'heure prinse entre eulx deux. La maistresse,
voyant que le curé et la chambrière
point ne retournoient, et que le jour commenceoit
à approucher, se doubta que la chambrière
33et le curé ne feissent quelque chose à
son préjudice, et qu'ilz se pourroient entrerencontrer
à petit bois qui estoit à l'endroit
où le piège estoit fait, si conclud qu'elle ira
veoir s'elle orra nulles nouvelles. Et tire païs
vers l'ostel du curé, et elle venue à l'endroit
du piège, tumbe dedans la fosse avecques les
aultres. Il ne faut pas demander, quand ceste
compaignie se voit ensemble, qui fut le plus
esbahy, et se chacun faisoit sa puissance de
soy tirer hors de la fosse; mais c'est pour
néant; chacun d'eulx se répute mort et deshonoré.
Et les deux ouvriers, c'est asavoir le
mary de la damoiselle et le gentilhomme son
cousin, vindrent au dessus de la fosse saluer
la compaignie, et leur disoient qu'ilz feissent
bonne chère et qu'ilz aprestoient leur desjuner.
Le mary, qui mouroit de faire ung cop
de sa main, trouva façon d'envoyer son cousin
veoir que faisoient leurs chevaulx, qui estoient
en ung hostel assez près; et tantdiz
qu'il se trouva descombré de luy, il fist tant,
à quelque meschef que ce fust, qu'il eut de
l'estrain largement et l'avala dedans la fosse,
et y mist le feu; et là brulla la compaignie,
femme, curé, chambrière et loup. Après ce,
il se partit du païs et manda vers le roy querir
sa remission, laquelle il obtint de legier.
Et disent les aucuns que le roy deut dire
qu'il n'y eut dommage que du pouvre loup qui
fut brullé, qui ne povoit mais du meffait des
aultres.
Tantdiz que l'on me preste audience
et que ame ne s'avance quand à
present de parfournir ceste glorieuse
et edifiant euvre de cent nouvelles,
je vous compteray ung cas qui puis n'aguères
est advenu ou Daulphiné, pour estre mis ou
reng et nombre des dictes nouvelles. Il est
vray que ung gentilhomme du dict Daulphiné
avoit en son hostel une sienne seur environ de
l'eage de xviij à xx ans; et faisoit compaignie
à sa femme, qui beaucop l'amoit et tenoit
chère, et comme deux seurs se doivent contenir
et maintenir ensemble se conduisoient.
Advint que ce gentilhomme fut semons d'un
sien voisin, lequel demouroit à deux petites
lieues de luy, de le venir veoir, luy, sa femme
et sa seur. Ilz y allèrent, et Dieu scet la chère;
et comme la femme de celuy qui festioit la
compaignie menast à l'esbat la femme et la
seur de nostre dit gentilhomme, après soupper,
devisant de pluseurs propos, elles se
vindrent rendre en la maisonnette du bergier
de léens, qui estoit auprès d'un large et grand
parcq à mettre les brebiz, et trouvèrent là le
maistre bergier qui besoignoit entour de ce
parcq. Et, comme femmes scevent enquerre
35de maintes et diverses choses, entre aultres
luy demandoyent s'il n'avoit point froit léens.
Il respondit que non, et qu'il estoit plus aise
et mieulx à luy que ceulx qui ont leurs belles
chambres voirrées, nattées, et tapissées. Et
tant vindrent d'unes parolles à aultres par
motz couvers, que leurs devises vindrent à
toucher du train de derrière. Et le bon bergier,
qui n'estoit fol ne esperdu, leur dit que par la
mort bieu il oseroit bien emprendre de faire la
besoigne viij ou ix foiz pour nuyt. Et la seur
de nostre gentilhomme, qui oyoit ce propos,
gectoit l'oeil souvent et menu sur ce bergier;
et de fait jamais ne cessa tant qu'elle vit son
cop de luy dire qu'il ne laissast pour rien
qu'il ne venist la veoir en l'ostel de son frère,
et qu'elle luy feroit bonne chère. Le bergier,
qui la vit belle fille, ne fut pas moyennement
joyeux de ces nouvelles et luy promist la venir
veoir. Et de bref, il fist ce qu'il avoit promis,
et à l'heure prinse d'entre sa dame et luy, se
vint rendre à l'endroit d'une fenestre haulte et
dangereuse à monter; toutesfoiz, à l'ayde
d'une corde qu'elle luy devala, et d'une vigne
qui là estoit, il fist tant qu'il fut en la chambre,
et ne fault pas dire qu'il y fut voluntiers veu.
Il monstra de fait ce dont il s'estoit vanté de
bouche, car avant que le jour venist il fist
tant que le cerf eut viij cornes acomplies, laquelle
chose sa dame print bien en gré. Mais
vous devez savoir que le bergier, avant qu'il
peust parvenir à sa dame, luy failloit cheminer
deux lieues de terre et passer à nou la grosse
36rivière du Rone, qui battoit à l'ostel où sa dame
demouroit. Et quand le jour venoit, luy failloit
arrière repasser le Rone; et ainsi s'en retournoit
à sa bergerie. Et continua ceste manière
de faire une grand espace de temps,
sans qu'il fust descouvert. Pendant ce temps
pluseurs gentilzhommes du païs demandèrent
ceste damoiselle, devenue bergière, à mariage;
mais nul ne venoit à soit gré, dont son
frère n'estoit pas trop content, et luy disoit
pluseurs fois. Mais elle estoit tousjours garnye
d'excusanses et responses largement, dont
elle advertissoit son amy le bergier, auquel ung
soir elle promist que, s'il vouloit, elle n'aroit
jamais aultre mary que luy. Et il dit qu'il ne
demanderoit aultre bien: «Mais la chose ne se
pourroit, dit il, conduire, pour vostre frère et
aultres voz amys.—Ne vous chaille, dit elle;
laissez m'en faire, j'en cheviray bien.» Ainsi
promisrent l'un à l'aultre. Neantmains toutesfoiz
il vint ung gentilhomme qui fist arrière
requerre nostre damoiselle bergière, et la
vouloit seulement avoir vestue et habillée
comme à son estat appartenoit, sans aultre
chose. A laquelle chose le frère d'elle eust voluntiers
entendu, et cuida mener sa seur ad
ce qu'elle se y consentist, luy remonstrant ce
qu'on scet faire en tel cas; mais il n'en peut
venir à chef, dont il fut bien mal content.
Quand elle vit son frère indigné contre elle,
elle le tira d'une part et luy dist: «Mon frère,
vous m'avez beaucop pressée et preschée de
moy marier à telz et à telz, et je ne m'y suis
37voulu consentir; dont vous requier que ne
m'en sachez mal gré, et me veillez pardonner
le maltalent qu'avez vers moy conceu, et je
vous diray la raison qui à ce me meut et contraint
en ce cas, mais que me veillez asseurer
que ne m'en ferez ne vouldrez pis.» Son frère
luy promist voluntiers. Quand elle se vit asseurée,
elle luy dist qu'elle estoit mariée autant
vault, et que jour de sa vie aultre homme
n'aroit à mary que celuy qu'elle luy monstreroit
ennuyt, s'il veult. «Je le veil bien veoir,
dit il, mais qui est il?—Vous le verrez par
temps», dit elle. Quand vint à l'heure acoustumée,
véezcy bon bergier qui se vint rendre
en la chambre de sa dame, Dieu scet comment
mouillié d'avoir passé la rivière; et le
frère d'elle regarde et voit que c'est le bergier
de son voisin; si ne fut pas pou esbahy, et le
bergier encores plus, qui s'en cuida fuyr quand
il le vit. «Demeure, demeure, dist il, tu n'as
garde. Est-ce, dit il à sa seur, celuy dont vous
m'avez parlé?—Oy vrayement, mon frère,
dit elle.—Or luy faictes, dit il, bon feu,
pour soy chaufer, car il en a bon mestier; et
en pensez comme du vostre; et vrayement,
vous n'avez pas tort si vous luy voulez du
bien, car il se mect en grand dangier pour
l'amour de vous. Et puis que voz besoignes
sont en telz termes, et que vostre courage est
à cela que d'en faire vostre mary, à moy ne
tiendra, et maudit soit qui ne s'en despesche.—Amen,
dit elle, à demain qui vouldra.—Je
le veil, dit il. Et vous, dit il au bergier,
38qu'en dictes vous?—Tout ce qu'on veult.—Il
n'y a remède, dit il, vous estes et serez
mon frère; aussi suis je pieça de la houlette,
si doy bien avoir ung bergier à frère.» Pour
abreger le compte du bergier, le gentilhomme
consentit le mariage de sa seur et du bergier,
et fut fait, et les tint tous deux en son hostel,
combien qu'on en parlast assez par le païs.
Et quand il estoit en lieu que l'on en devisoit
et on disoit que c'estoit merveille qu'il n'avoit
fait batre ou tuer le bergier, il respondoit que
jamais ne pourroit vouloir mal à rien que sa
seur amast, et que trop mieulx vouloit avoir
le bergier à beau-frère, au gré de sa seur, que
ung aultre bien grand maistre au desplaisir
d'elle. Et tout ce disoit par farce et esbatement,
car il estoit et a esté toujours trèsgracieux
et nouveau et bien plaisant gentilhomme;
et le faisoit bon oyr deviser de sa seur,
voire entre ses amys et privez compaignons.
Je congneuz au temps de ma verte
et plus vertueuse jeunesse deux
gentilzhommes, beaulx compaignons,
bien assovis et adressez de
tout ce qu'on doit ou peut loer ung gentilhomme
vertueux. Ces deux estoient tant amys,
39allyez, et donnez l'un à l'autre, que d'habillemens,
tant pour leurs corps, leurs gens, leurs
chevaulx, tousjours estoient pareilz. Advint
qu'ilz devindrent amoureux de deux belles
jeunes filles, gentes et gracieuses, et le mains
mal qu'ilz sceurent firent tant qu'elles furent
adverties de leur nouvelle emprinse, du bien,
du service, et de cent mille choses que pour
elles faire vouldroient. Ilz furent escoutez,
mais aultre chose ne s'en ensuyvit. Espoir
qu'elles estoient de serviteurs pourveues, ou
que d'amours ne se vouloient entremettre;
car, à la verité dire, ilz estoient beaulx compaignons
tous deux, et valoient bien d'estre
retenuz serviteurs d'aussi femmes de bien
qu'elles estoient. Quoy que fust, toutesfoiz
ilz ne sceurent oncques tant faire qu'ilz fussent
en grâce, dont ilz passèrent maintes nuiz,
Dieu scet à quelle peine, maudisans puis fortune,
puis amours, et trèssouvent leurs dames
qu'ilz trouvoient tant rigoreuses. Eulx
estans en ceste rage et desmesurée langueur,
l'un dit à son compaignon: «Nous voyons à
l'oeil que noz dames ne tiennent compte de
nous, et toutesfoiz nous enrageons après, et
tant plus nous monstrent de fiertez et de rigueurs,
tant plus les desirons complaire, servir,
et obeyr, qui est, sur ma foy, une haulte
folye. Je vous requier que nous ne tenons
compte d'elles ne qu'elles font de nous, et
vous verrez, s'elles pevent cognoistre que nous
soyons à cela, qu'elles enrageront après nous,
comme nous faisons maintenant après elles.40—Helas! dit l'autre, le bon conseil, qui en
pourroit venir à chef!—J'ay trouvé la manière,
dit le premier; j'ay tousdiz oy dire, et Ovide
le mect en son livre du Remède d'amours, que
beaucop et souvent faire la chose que savez
fait oublyer et pou tenir compte de celle qu'on
ayme, et dont on est fort feru. Si vous diray
que nous ferons: faisons venir à nostre logis
deux jeunes filles de noz cousines, et couchons
avec elles, et leurs faisons tant la folye
que nous ne puissons les rains traisner, et
puis venons devant noz dames; et de nous
au dyable qui en tiendra compte.» L'aultre s'i
accorda, et comme il fut proposé et deliberé
fut fait et accomply, car ilz eurent chacun une
belle fille. Et après ce, se vindrent trouver
devant leurs dames, en une feste où elles estoient,
et faisoient bons compaignons la roe,
et se pourmenoient par devant elles, devisans
d'un costé et d'aultre, et faisans cent mille manières
pour dire: «Nous ne tenons compte de
vous», cuidans, comme ilz avoient proposé, que
leurs dames en deussent estre mal contentes,
et qu'elles les deussent rappeller ores ou aultrefoiz;
mais aultrement alla, car s'ilz monstroient
semblant de peu tenir compte d'elles,
elles monstroient tout apertement de rien y
compter, dont ilz se perceurent trèsbien et ne
s'en savoient assez esbahir à l'heure. Si dist
l'un à son compaignon: «Scez tu comment il
est? Par la mort bieu, noz dames ont fait la
folie comme nous. Et ne voiz tu comment elles
sont fières? Elles tiennent toutes telles manières
41que nous faisons; si ne me croy jamais
s'elles n'ont fait comme nous. Elles ont prins
chacune ung compaignon et ont fait jusques à
oultrance la folye; au deable les crapaudes!
laissez les là.—Par ma foy! dit l'autre, je le
croy comme vous le dictes, je n'ay pas aprins
de les veoir telles.» Ainsi pensèrent les compaignons
que leurs dames eussent fait comme
eulx, pource qu'il leur sembla à l'heure qu'elles
n'en tenissent compte, comme ilz ne tenoient
compte d'elles, combien qu'il n'en fust
rien, et est assez legier à croire.
En la ville de saint Omer avoit naguères
ung gentil compaignon sergent
de roy, lequel estoit marié à
une bonne et loyale femme qui aultresfoiz
avoit esté mariée, et luy estoit demouré
ung filz qu'elle avoit adressée en mariage.
Ce bon compaignon, jasoit ce qu'il eust bonne
et preude femme, neantmains toutesfoiz il
s'employoit de jour et de nuyt de servir amour
partout où il povoit, et tant qu'il luy estoit
possible. Et pour ce que en temps d'yver
sourdent pluseurs foiz les inconveniens plus
de legier qu'en aultre temps à poursuivir la
queste loing, il s'advisa et delibera qu'il ne
42se partiroit point de son hostel pour servir
amours, car il y avoit une trèsbelle jeune et
gente fille, chambrière de sa femme, avecques
laquelle il trouveroit manière d'estre son serviteur
s'il pouvoit. Pour abreger, tant fist par
dons et par promesses qu'il eut octroy de faire
tout ce qu'il luy plairoit, jasoit que à grand
peine, pour ce que sa femme estoit tousjours
sus eulx, qui congnoissoit la condicion de son
mary. Ce nonobstant, Amour, qui veult tousjours
secourir à ses vraiz servans, inspira tellement
l'entendement du bon et loyal servant
qu'il trouva moien d'accomplir son jeu, car
il faindit estre trèsfort malade de refroidement,
et dist à sa femme: «Trèsdoulce compaigne,
venez ça: je suis si trèsmalade que plus ne
puis; il me faut aller coucher, et vous prie
que vous faictes tous noz gens coucher, affin
que nul ne face noise ne bruit, et puis venez
en nostre chambre.» La bonne damoiselle,
qui estoit trèsdesplaisante du mal de son
mary, fist ce qu'il luy commenda, et puis
print beaulx draps et les chauffa et mist sus
son mary après qu'il fut couché. Et quand il
fut bien eschauffé par longue espace, il dist:
«M'amye, il suffist, je suis assez bien, Dieu
mercy et la vostre, qui en avez prins tant de
peine; si vous pry que vous en venez coucher
emprès moy.» Et elle qui desiroit la santé et
le repos de son mary, fist ce qu'il lui commendoit
et s'endormit et le plus tost qu'elle peut,
et assez tost après que nostre amoureux perceut
qu'elle dormoit, se coula tout doulcement
43jus de son lit, et s'en alla combatre ou
lit de sa dame la chambrière tout prest pour
son veu accomplir, où il fut bien receu et rencontré,
et tant rompirent de lances qu'ilz furent
si las et recreuz qu'il convint qu'en beaux
braz ilz demourassent endormiz. Et comme
aucunes foiz advient, quand on s'endort en
aucun desplaisir ou melencolie, au reveiller
c'est ce qui vient premier à la personne, et est
aucunesfoiz mesme cause du reveil, comme à
la damoiselle advint. Et jasoit que grand soing
eust de son mary, toutesfoiz ne le garda elle
pas bien, car elle trouva qu'il s'estoit de son
lit party. Et taste sur son oreiller, et en sa
place trouva qu'il y faisoit tout froit et qu'il
avoit longtemps qu'il n'y avoit esté. Adonc,
comme toute desesperée saillit sus, et en vestant
sa chemise et sa cotte simple disoit à part
elle: «Lasse meschante, or es tu une femme
perdue et qui fait bien à reproucher, quand
par ta negligence as laissé cest homme perdre.
Helas! pourquoy me suis-je ennuyt couchée
pour ainsi moy habandonner à dormir?
O vierge Marie! veillez mon cueur resjoyr,
et que par ma cause il n'ayt nul mal, car je
me tiendroye coulpable de sa mort.» Et après
ces regrets et lamentacions, elle se part hastivement
et alla querir de la lumière; et affin
que sa chambrière luy tinst compaignie à querir
son mary, elle s'en alla en sa chambre pour
la faire lever, et là endroit trouva la doulce
paire, dormans à braz, et luy sembla bien
qu'ils avoient travaillé cette nuyt, car ilz dormoient
44si bien qu'ils ne s'esveillèrent pour personne
qui y entrast, ne pour lumière qu'on y
portast. Et de fait, pour la joye qu'elle eut de
ce que son mary n'estoit point si mal ne si
desvoyé qu'elle esperoit, ny que son cueur
luy avoit jugié, elle s'en alla querir ses enfans
et les varletz de l'ostel elles mena veoir
la belle compaignie, et leur enjoignit expressement
qu'ilz n'en feissent aucun semblant;
et puis leur demanda en basset qui c'estoit
ou lit de la chambrière qui là dormoit avec
elle. Et ses enfans respondirent que c'estoit
leur père, et les varletz que c'estoit leur maistre.
Et puis les ramena dehors, et les fist aller
recoucher, car il estoit trop matin pour eulx
lever; et aussi elle s'en alla elle pareillement
rebouter en son lit, mais depuis ne dormit
guères, tant qu'il fut heure de lever. Toutesfoiz,
assez tost après, la compaignie des vraiz
amans s'esveilla, et se despartirent l'un de
l'aultre amoureusement. Si s'en retourna nostre
maistre en son lit, enprès sa femme, sans
dire mot; et aussi ne fist elle, et faignoit
qu'elle dormoist, dont il fut moult joyeulx,
pensant qu'elle ne sceust rien de sa bonne
fortune; car il la cremoit et doubtoit à merveilles,
tant pour sa paix comme pour la fille.
Et de fait se reprint nostre maistre à dormir
bien fort, et la bonne damoiselle, qui point
ne dormoit, si tost qu'il fut heure de descoucher,
se leva, et pour festoyer son mary et luy
donner quelque chose confortative après la
medicine laxative qu'il avoit prinse celle nuyt,
45fist ses gens lever et appella sa chambrière,
et luy dist qu'elle prinst les deux meilleurs
chapons de la chaponnière de l'ostel, et les
appoinctast trèsbien, et puis qu'elle allast à
la boucherie querir le meilleur morseau de
beuf qu'elle pourroit trouver, et si cuisist tout
à une bonne eaue pour humer, ainsi qu'elle
le saroit bien faire; car elle estoit maistresse
et ouvrière de faire bon brouet. Et la bonne
fille, qui de tout son cueur desiroit complaire
à sa damoiselle et encores plus à son maistre,
à l'un par amours, à l'aultre par crainte, dist
que trèsvoluntiers le feroit. Et tantdiz la bonne
damoiselle alla oyr la messe, et au retour
passa par l'ostel de son filz, dont il a esté
parlé, et luy dist que venist disner à l'ostel
avec son mary, et si amenast avec luy trois
ou quatre bons compaignons qu'elle luy nomma,
et que son mary et elle les prioient qu'ilz
venissent disner avec eulx. Et puis s'en retourne
à l'ostel pour entendre à la cuisine, que
le humet ne soit espandu comme par male
garde il avoit esté la nuytée; mais nenny,
car nostre bon mary s'en estoit allé à l'eglise.
Et tantdiz, le filz à la damoiselle alla prier
ceulx qu'elle luy avoit nommez, qui estoient
les plus grands farseurs de toute la ville de
saint Omer. Or revint nostre maistre de la
messe, et fist une grand brassée à sa femme,
et luy donna le bon jour; et aussi fist elle à
luy. Mais pour ce ne pensoit point mains;
toutesfoiz luy dist elle qu'elle estoit bien joyeuse
de sa santé, dont il la mercya et dist: «Voirement
46suis je assez en bon point, m'amye,
auprès de la vesprée, et me semble que j'ay
trèsbon appetit; si vouldroye bien aller disner,
si vous vouliez.» Et elle luy dist: «J'en
suis bien contente; mais il fault ung peu attendre
que le disner soit prest, et que telz et
telz qui sont priez de disner avecques vous
soient venuz.—Priez, dit il, et à quel propos?
Je n'en ay cure, et amasse mieulx qu'ilz
demourassent; car ilz sont si grands farseurs
que s'ils scevent que j'aye esté malade, ilz
ne m'en feront que sorner. Au mains, belle
dame, je vous prie qu'on ne leur en die rien.
Et si a une aultre chose: que mengeront ilz?»
Et elle dist qu'il ne se souciast et qu'ilz aroient
assez à menger, car elle avoit fait appointer
les deux meilleurs chapons de léens, et un
trèsbon mousseau pour l'honneur de luy, dont
il fut bien joieux et dist que c'estoit bien fait.
Et tantost après vindrent ceulx que l'on avoit
priez, avecques le filz de la damoiselle. Et
quand tout fust prest, ilz allerent seoir à table
et firent trèsbonne chère, et par especial l'oste,
et buvoient souvent, et d'autant l'un à l'autre.
Et disoit l'oste à son beau filz: «Jehan,
mon amy, je vous pry que vous buvez à vostre
mère, et faictes bonne chère.» Et il dit
que trèsvoluntiers le feroit. Et ainsi qu'il eut
beu à sa mère, la chambrière, qui servoit, survint
à la table. A ce cop et lors la damoiselle
l'appella et luy dist: «Venez çà, ma
doulce compaigne, buvez à moy et je vous
plegeray.—Compaigne dya, dit nostre amoureux,
47et dont vient maintenant celle grand
amour? Que male paix y puist mettre Dieu,
veezcy grand nouvelleté!—Voire vraiement,
c'est ma compaigne certaine et loyale; en avez
vous si grand merveille?—Ha dya, Jehanne,
gardez que vous dictes; jà penser pourroit on
quelque chose entre elle et moy.—Et pourquoy
ne feroit? dist elle. Ne vous y ay je
point ennuyt trouvé couché en son lit et dormant
braz à braz?—Couché! dit il.—Voire,
vraiement, dit elle.—Et par ma foy, beaulx
seigneurs, il n'en est rien, et ne le fait que
pour me faire despit, et à la pouvre fille blasme;
car oncques ne m'y trouva.—Non dya? fist
elle; vous l'orrez dire tantost et le vous feray
dire par tous ceulx de céens.» Adonc appella
ses enfans et les varletz qui estoient devant la
table, et leur demanda s'ilz avoient point veu
leur père couché avec la chambrière, et ilz
dirent que oy. Et leur père respondit: «Vous
mentez, mauvais garçons, vostre mère le vous
fait dire.—Sauf vostre grâce, père, nous
vous y vismes couché; aussi firent nos varletz.—Qu'en
dictes vous? dit la damoiselle.—Vrayement
il est vray, dirent ilz.» Et lors
il y eut grand risée de ceux qui là estoient,
et le menèrent terriblement aux abaiz, car la
damoiselle leur compta comment il s'estoit
fait malade et toute la manière de faire, ainsi
qu'elle avoit esté, et comment, pour le festoyer,
elle avoit fait appareiller le disner et prier
ses amys, qui de plus en plus renforcèrent la
chose, dont il fut si honteux que à peine savoit
48il tenir manière, et ne se sceut aultrement sauver
que de dire: «Or avant, puis que chacun
est contre moy, il fault bien que je me taise
et que j'accorde tout ce qu'on veult, car je
ne puis tout seul contre vous tous.» Après,
commanda que la table fut ostée, et incontinent
graces rendues, appella son beau fils et
luy dist: «Jehan, mon amy, je vous prie
que si les aultres m'accusent de cecy, que
m'excusez en gardant mon honneur, et allez
veoir à ceste pouvre fille qu'on luy doit, et la
paiez si largement qu'elle n'ayt cause de soy
plaindre, puis la faictes partir; car je sçay
bien que vostre mère ne la souffrera plus demourer
céens.» Le beau filz alla faire ce qui
luy estoit commandé, et puis retourna aux
compaignons qu'il avoit amenez, lesquelz il
trouva parlans à sa mère, et la remercyoient
de ses biens, puis prindrent congié et s'en
allèrent. Et les aultres demourèrent à l'ostel;
et fait à supposer que depuis en eurent maintes
devises ensemble. Et le gentil amoureux
ne beut point tout l'amer de son vaisseau à ce
disner; et à ce propos peut on dire de chiens,
d'oiseaux, d'armes, d'amours: Pour ung plaisir
mille doleurs. Et pour ce nul ne s'i doit
bouter s'il n'en veult à la foiz gouster. Et
ainsi doncques, comment qu'il en advenist,
acheva le gentil compaignon sa queste en
ceste partie, par la manière que dit est.
N'a pas guères qu'en la ville de Malines
avoit trois damoiselles, femmes
de trois bourgois de la ville, riches,
puissans et bien aisiez, lesquelles
furent amoureuses de trois frères mineurs;
et pour plus celéement et couvertement leur
fait conduire, soubz umbre de dévocion se
levoient chacun jour une heure ou deux devant
le jour, et quand il leur sembloit heure
d'aller veoir leurs amoureux, elles disoient à
leurs mariz qu'elles alloient à matines et à
la première messe. Et par le grand plaisir
qu'elles y prenoient, et les religieux aussi,
souvent advenoit que le jour les sourprenoit
si largement qu'elles ne savoient comment
saillir de l'ostel que les aultres religieux ne
s'en apperceussent. Pourquoy, doubtans les
grans perilz et inconveniens qui en povoient
sourdre, fut prinse conclusion par eulz tous
ensemble que chacune d'elles aroit habit de
religieux, et feroient faire grands corones sur
leurs testes, comme s'elles estoient du convent
de léens; tant que finalement à ung certain
jour qu'elles y retournèrent après, tantdiz
que leurs mariz guères n'y pensoient, elles
venues ès chambres de leurs amys, ung barbier
50secret fut mandé, c'est asavoir ung des
frères de léens, qui fist aux damoiselles à
chacune une corone sur la teste. Et quand
vint au departir, elles vestirent leurs habiz
qu'on leur avoit appareilliez, et en cest estat
s'en retournèrent devers leurs hostelz et s'en
allèrent devestir, et mettre jus leurs habiz de
devocion sus certaines matrones affaictées,
et puis retournèrent emprès leurs mariz. Et
en ce point continuèrent grand temps sans ce
que personne s'en apperceust. Et pource que
dommage eust esté que telle devocion et traveil
n'eust esté congneu, fortune promist et
voult que à certain jour que l'une de ces bourgoises
s'estoit mise au chemin pour aller au
lieu accoustumé, l'embusche fut descouverte,
et de fait fut prinse à tout l'abit dissimulé par
son mary, qui l'avoit poursuye, et luy dist:
«Beau frère, vous soiez le trèsbien trouvé!
je vous pry que retournez à l'ostel, car j'ay
bien à parler à vous de conseil.» Et en cest
estat la remena, dont elle ne fist jà feste. Or
advint, quand ilz furent à l'ostel, le mary commença
à dire en manière de farse: «Très
doulce compaigne, dictes vous, par vostre foy,
que la vraye devocion dont tout ce temps
d'yver avez esté esprise vous fait endosser
l'abit de saint Françoys, et porter coronne
semblable aux bons frères? Dictes moy, je
vous requier, qui a esté vostre recteur, ou, par
saint François, vous l'amenderez.» Et fist
semblant de tirer sa dague. Adoncques la pouvrette
se jecta à genoux et s'escrya à haulte
51voix, disant: «Hélas! mon mary, je vous cry
mercy, aiez pitié de moy, car j'ay esté seduicte
par mauvaise compaignie. Je sçay bien
que je suis morte, si vous voulez, et que
je n'ay pas fait comme je deusse; mais je ne
suis pas seule deceue en celle manière, et si
vous me voulez promettre que ne me ferez
rien, je vous diray tout.» Adonc son mary
s'i accorda. Et adonc elle luy dit comment
pluseurs foiz elle estoit allé au dit monastère
avec deux de ses compaignes, desquelles deux
des religieux s'estoient enamourez; et en les
compaignans aucunesfoiz à faire collacion en
leurs chambres, le tiers fut d'elle esprins d'amours,
en luy faisant tant d'humbles et doulces
requestes, qu'elle ne s'en estoit sceu excuser;
et mesmement par l'instigacion et enortement
de ses dictes compaignes, disans qu'elles
aroient bon temps ensemble, et si n'en saroit-on
rien. Lors demanda le mary qui estoient
ses compaignes; et elle les nomma. Adonc
sceut-il qui estoient leurs mariz, et dit le
compte qu'ilz buvoient souvent ensemble;
puis demanda qui estoit le barbier, et elle luy
dit, et les noms des trois religieux. Le bon
mary, consyderant ces choses, avecques les
doloreuses ammiracions et piteux regretz de
sa femmelette, dit: «Or garde bien que tu ne
dyes à personne que je sache parler de ceste
matère, et je te promectz que je ne te feray jà
mal.» La bonne damoiselle luy promist que
tout à son plaisir elle feroit. Et incontinent se
part et alla prier au lendemain au disner les
52deux mariz et les deux damoiselles, les trois
cordeliers et le barbier, et ilz promisrent d'y
venir. Lesquelz venuz, et eulx assis à table,
firent bonne chère sans penser à leur male
adventure. Et après que les tables furent
ostées, pour conclure de l'escot, firent pluseurs
manières de faire mises avant joyeusement
sur quoy l'escot seroit prins et soustenu;
ce toutesfoiz qu'ilz ne sceurent trouver,
n'estre d'accord, tant que l'oste dist: «Puisque
nous ne savons trouver moien de payer
nostre escot par ce qui est mis en termes, je
vous diray que nous ferons: nous le ferons
paier à ceulx de la compaignie qui la plus
grande coronne portent sur la teste, reservez
ces bons religieux, car ilz ne paieront rien à
présent.» A quoy ilz s'accordèrent tous, et furent
contens qu'ainsi en fust, et le barbier en
fut le juge. Et quand tous les hommes eurent
monstré leurs coronnes, l'oste dist qu'il falloit
veoir si leurs femmes en avoient nulles. Si ne
fault pas demander s'il en y eut en la compaignie
qui eurent leurs cueurs estrains. Et
sans plus attendre, l'oste print sa femme par
la teste et la descouvrit. Et quand il vit ceste
coronne, il fist une grand admiracion, faindant
que rien n'en sceust, et dist: «Il
fault veoir les aultres s'elles sont coronnées
aussi.» Adonc leurs mariz les firent deffubler,
qui pareillement furent trouvées coronnées
comme la première, de quoy ilz ne firent
jà trop grand feste, nonobstant qu'ilz en
feissent grandes risées, et tout en manière de
53jouyeuseté dirent que l'escot estoit gaigné, et
que leurs femmes le devoient. Mais il failloit
savoir à quel propos ces coronnes avoient
esté enchargées, et l'oste, qui estoit assez
joyeux du mistère et de leur adventure, leur
compta tout le demené de la chose, sur telle
protestacion qu'ilz le pardonneroient à leurs
femmes pour ceste foiz, parmy la penitence
que les bons religieux en porteroient en leur
presence; laquelle chose les deux mariz accordèrent.
Et incontinent l'oste fist saillir quatre
ou cinq roiddes galans hors d'une chambre,
tous advertiz de leur fait, et prindrent
beaulx moynes, et leur donnèrent tant des
biens de léens qu'ilz en peurent entasser sus
leurs dos, et puis les boutèrent hors de l'ostel;
et les aultres demourèrent illec encores
une espace, en laquelle ne fault doubter qu'il
n'y eust pluseurs devises qui longues seroient
à racompter: si m'en passe pour cause de
brefté.
Ung jour advint que en une bonne
ville de Haynaut avoit ung bon marchant
maryé à une vaillant femme,
lequel trèssouvent alloit en marchandise,
qui estoit par adventure occasion à
54sa femme qu'elle amoit aultre que luy, en laquelle
chose elle continua assez longuement.
Néantmains toutesfoiz l'embusche fut descouverte
par ung sien voisin qui parent estoit au
mary, et demouroit à l'opposite de l'ostel du
dit marchant, dont il vit et apperceut souvent
le galant entrer de nuyt, et saillir hors
de l'ostel au marchant. Laquelle chose venue
à la cognoissance de celuy à qui le dommage
se faisoit, par l'advertissement du voisin,
fut moult desplaisant; et, en remerciant
son parent et voisin, dit que brefvement
y pourvoiroit, et qu'il se bouteroit du soir en
sa maison, pour mieulx veoir qui yroit et
viendroit en son hostel. Et finalement faindit
d'aller dehors et dist à sa femme et à ses gens
qu'il ne savoit quand il reviendroit; et luy,
party au plus matin, ne demoura que jusques
à la vesprée, qu'il bouta son cheval quelque
part, et s'en vint couvertement sus son cousin,
et là regarda par une petite treille, attendant
s'il verroit ce que guères ne lui plairoit.
Et tant attendit que environ neuf heures
de nuyt, le galand, à qui la damoiselle avoit
fait savoir que son mary estoit hors, passa
ung tour ou deux par devant l'ostel de la belle
et regarda à l'huys pour veoir s'il y pourroit
entrer; mais encores le trouva il fermé. Se
pensa bien qu'il n'estoit pas heure, pour les
doubtes; et ainsi qu'il varioit là entour, le
bon marchant, qui pensoit bien que c'estoit
son homme, descendit et vint à l'huys et dist:
«Mon amy, nostre damoiselle vous a bien
55oy, et pource qu'il est encores temps assez,
et qu'elle a doubte que nostre maistre ne retourne,
elle m'a requis que je vous mette dedens,
s'il vous plaist.» Le compaignon, cuidant
que ce fust le varlet, s'adventura et entra
léens avecques luy, et tout doulcement
l'huys fut ouvert, et le mena tout derrière en
une chambre, où il avoit une moult grand
huche, laquelle il defferma et le fist entrer
ens, que si le marchand revenoit, qu'il ne
le trouvast pas, et que sa maistresse le viendroit
assez tost mettre hors et parler à luy.
Et tout ce souffrit le gentil galant pour mieulx
avoir, et aussi pour tant qu'il pensoit que l'autre
dist verité. Et incontinent se partit le marchand
le plus celéement qu'il peut, et s'en
alla à son cousin et à sa femme et leur dist:
«Je vous promectz que le rat est prins; mais
il nous fault adviser qu'il en est de faire.» Et
lors son cousin, et par especial sa femme,
qui n'aimoit point l'autre, furent bien joyeulx
de la venue, et dirent qu'il seroit bon qu'on
le montrast aux parens de la femme, affin
qu'ils cognoissent son gouvernement. Et celle
conclusion prinse, le marchand alla à l'ostel
du père et de la mère de sa femme et leur dist
que si jamais ilz vouloient veoir leur fille en
vie qu'ilz venissent hastivement en son logis.
Tantost saillirent sus, et tantdiz qu'ilz s'appoinctoient,
il alla pareillement querir deux
des frères et des seurs d'elle, et leur dist
comme il avoit fait au père et à la mère. Et
puis les mena tous en la maison de son cousin,
56et illec leur compta toute la chose ainsi
qu'elle estoit, et la prinse du rat. Or convient
il savoir comment le gentil galant, pendant ce
temps, se gouverna en celle huche, de laquelle
il fut gaillardement delivré, attendu l'adventure;
et la damoiselle, qui se donnoit grands
merveilles se son amy ne viendroit point, alloit
devant et derrière pour veoir s'elle en orroit
point de nouvelle. Et ne tarda guères que le
gentil compaignon, qui oyt bien que l'en passoit
assez près de luy, et si le laissoit on là,
print à hurter du poing à sa huche tant que
la damoiselle l'oyt qui en fut moult espoentée.
Neantmains demanda elle qui c'estoit, et le
compaignon luy respondit: «Helas! trèsdoulce
damoiselle, ce suis je qui me meurs icy de
chault et de doute, et qui me donne grand
merveille de ce que m'y avez fait bouter, et
si n'y allez ne venez.» Qui fort lors fut esmerveillée,
ce fut elle, et dist: «Ha! vierge Marie!
et pensez vous, mon amy, que je vous
y aye fait mectre?—Par ma foy, dit il, je
ne scay, au mains est venu vostre varlet à
moy, et m'a dit que luy aviez requis qu'il me
mist en l'ostel, et que j'entrasse en ceste huche,
affin que vostre mary ne me trouvast,
si d'adventure il retournoit pour ceste nuyt.—Ha!
dit elle, sur ma vie! ce a esté mon mary.
A ce coup suis je une femme perdue, et est
tout nostre fait sceu et descouvert.—Savez
vous qu'il y a? dit-il. Il convient que l'on me
mette dehors, ou je rompray tout, car je n'en
puis plus endurer.—Par ma foy! dit la damoiselle,
57je n'en ay point la clef, et si vous le
rompez je suis deffaicte, et dira mon mary
que je l'aray fait pour vous sauver.» Finalement
la damoiselle chercha tant qu'elle trouva
des vieilles clefs entre lesquelles en y eut une
qui delivra le pouvre prisonnier. Et quand il
fut hors il troussa sa dame, et luy monstra le
courroux qu'il avoit sur elle, laquelle le print
paciemment. Et à tant se voult partir le gentil
amoureux; mais la damoiselle le print et accola,
et luy dist que s'il s'en aloit ainsi, elle
estoit aussi bien deshonorée que s'il eust rompu
la huche: «Qu'est-il donc de faire? dist le
galant.—Si nous ne mettons quelque chose
dedans et que mon mary le treuve, je ne me
pourray excuser que je ne vous aye mis hors.—Et
quelle chose y mettra l'on? dit le galant,
affin que je parte, car il est heure.—Nous
avons, dit-elle, en cest estable ung asne que
nous y mettrons, si vous me voulez aider.—Oy,
par ma foy, dit il.» Adonc fut cest asne
jecté en la huche, et puis la refermèrent, et le
galant print congé d'un doulx baiser et se
partit en ce point par une yssue de derrière,
et la damoiselle s'en alla prestement coucher.
Et après ne demoura guères que le mary, qui,
tantdiz que ces choses se faisoient, assembla
ses gens et les amena à l'ostel de son cousin,
comme dit est, où il leur compta tout l'estat
de ce qu'on lui avoit dit, et aussi comment
il avoit prins le galant à ses barres. «Et à
celle fin, dit il, que vous ne disiez que je
veille imposer à vostre fille blasme sans cause,
58je vous monstreray à l'œil et au doy le ribauld
qui ce deshonneur nous a fait; et prie, avant
qu'il saille hors, qu'il soit tué.» Adonc chacun
dit que si seroit il. «Et aussi, dit le marchant,
je vous rendray vostre fille pour telle qu'elle
est.» Et de là se partent les aultres avecques
luy, qui estoient moult dolens des nouvelles,
et avoient torches et flambeaulx pour
mieulx choisir par tout, et que rien ne leur
peust eschapper. Et hurtèrent à l'huys si rudement
que la damoiselle y vint premier avant
que nul de léens s'esveillast, et leur ouvrit
l'huys. Et quand ilz furent entrez, elle
ledangea son mary, son père, sa mère et les
aultres, en monstrant qu'elle estoit bien esmerveillée
quelle chose à celle heure les amenoit.
Et à ces motz son mary hausse et luy
donne belle buffe, et luy dit: «Tu le sceras
tantost, faulse telle et quelle que tu es.—Ha!
regardez que vous dictes; amenez vous pour
ce mon père et ma mère ici?—Oy, dist la
mère, faulse garse que tu es, on te monstrera
ton loudier prestement.» Et lors ses seurs dirent:
«Et par Dieu, seur, vous n'estes pas
venue de lieu pour vous gouverner ainsi.—Mes
seurs, dit elle, par tous les sains de
Romme, je n'ay rien fait que une femme de
bien ne doyve et puisse faire, ne je ne doubte
point qu'on doye le contraire monstrer sur
moy.—Tu as menty, dit son mary, je le
monstraray tout incontinent, et sera le ribauld
tué en ta presence. Sus tost, ouvre moy ceste
huche.—Moy! dit elle; et en verité je croy
59que vous resvez, ou que vous estes hors du
sens; car vous savez bien que je n'en portay
oncques la clef, mais pend à vostre cincture
avecques les vostres dès le temps que vous y
mettiez voz estres. Et pourtant, si vous la voulez
ouvrir, ouvrez la. Mais je prie à Dieu que
ainsi vrayement qu'oncques je n'euz compaignie
avecques celuy qui est là dedens enclos,
qu'il m'en delivre à joye et à honneur, et que
la mauvaise envye qu'on a sur moy puisse icy
estre averée et demonstrée; et aussi sera elle,
comme j'ay bon espoir.—Je croy, dit le
mary, qui la veoit à genoux, plorant et gemissant,
qu'elle scet bien faire la chate moillée,
et, qui la vouldroit croire, elle sceroit bien
abuser gens; et ne doubtez, je me suis pieçà
perceu de la traynée. Or sus, je vois ouvrir
la huche; si vous prie, messeigneurs, que
chacun tienne la main à ce ribauld, qu'il ne
nous eschappe, car il est fort et roidde.—N'ayez
paour, dirent ilz tous ensemble, nous
en scerons bien faire.» Adonc tirent leurs
espées et prindrent leurs mailletz pour assommer
le pouvre amoureux, et luy dirent: «Or,
te confesse là, car jamais n'aras prestre de
plus près.» La mère et les seurs, qui ne vouloient
point veoir celle occision, se tirèrent
d'une part; et, ainsi que le bon homme eut
ouvert la huche, et que cest asne veist la lumière,
il commença à recaner si hideusement
qu'il n'y eut là si hardy qui ne perdist sens
et memoire. Et quand ilz virent que c'estoit
ung asne, et qu'il les avoit ainsi abusez, ilz
60se vouldrent prendre au marchant, et luy dirent
autant de honte qu'oncques saint Pierre
eut d'honneurs, et mesmes les femmes luy
vouloient courre sus. Et de fait, s'il ne s'en
fust fuy, les frères de la damoiselle l'eussent
là tué, pour le grand blasme et deshonneur
qu'il luy avoit fait et voulu faire. Et finalement
en eut tant à faire qu'il convint que la paix
et traictié en fussent refaiz par les notables de
la ville, et en furent les accuseurs tousjours
en indignacion du marchant. Et dit le compte
que à celle paix faire y eut grand difficulté et
pluseurs protestacions des amys de la damoiselle,
et d'aultre part pluseurs promesses bien
estroictes du marchant, qui depuis bien et
gracieusement s'i gouverna, et ne fut oncques
homme meilleur à femme qu'il fut toute sa vie;
et ainsi usèrent leurs jours ensemble.
Environ le mois de juillet, alors que
certaines convencions et assemblée
se tenoit entre la ville de Calais et
Gravelinghes, assez près du chastel
d'Oye, à laquelle assemblée estoient pluseurs
princes et grands seigneurs, tant de la
partie de France comme d'Angleterre, pour
adviser et traictier de la rençon de monseigneur
61d'Orléans, estant lors prisonnier du
roy d'Angleterre; entre lesquels de la dicte
partie d'Angleterre estoit le cardinal de Viscestre,
qui à ladicte convencion estoit venu
en grand et noble estat, tant de chevaliers,
escuiers, que d'autres gens d'église. Et entre
les autres nobles hommes avoit ung qui se
nommoit Jehan Stocton, escuier trenchant, et
Thomas Brampton, eschanson du dit cardinal,
lesquels Jehan et Thomas Brampton se entreaymoient
autant ou plus que pourroient
faire deux frères germains ensemble; car de
vestures, harnois et habillemens estoient tousjours
d'une façon au plus près que ilz pouvoient;
et la plus part du temps ne faisoient
que ung lict et une chambre, et oncques n'avoit
on veu que entr'eulx deux que aucunement
y eut quelque courroux, noise ou maltalent.
Et quand le dit cardinal fut arrivé au
dit lieu de Calais, on bailla pour le logis des
ditz nobles hommes l'hostel de Richard Fery,
qui est le plus grand hostel de la dicte ville
de Calais; et ont de coustume les grands
seigneurs, quand ilz arrivent au dit lieu passans
et revenans, d'y logier. Le dit Richard
estoit marié, et estoit sa femme de la nacion
du pays de Hollande, qui estoit belle, gracieuse,
et bien luy advenoit à recevoir gens.
Et durant la dite convencion, à laquelle on
fut bien l'espace de deux mois, iceulx Jehan
Stocton et Thomas Brampton, qui estoient si
comme en l'aage de xxvij à xxviij ans, ayans
leur couleur de cramoisy vive, et en point de
62faire armes par nuyt et par jour; durant lequel
temps, nonobstant les privautez et amitiez
qui estoit entre ces deux seconds et
compaignons d'armes, le dit Jehan Stocton,
au deceu du dit Thomas, trouva manière
d'avoir entrée et faire le gracieulx envers leur
dite hostesse, et y continuoit souvent en devises
et semblables gracieusetiez que on a de
coustume de faire en la queste d'amours; et
en la fin s'enhardit de demander à sa dicte
hostesse la courtoisie, c'est asavoir, qu'il peust
estre son amy et elle sa dame par amours. A
quoy, comme faindant d'estre esbahie de telle
requeste, lui respondit tout froidement que luy
ne aultre elle ne haioit, ne ne vouldroit hayr,
et qu'elle amoit chacun par bien et par honneur.
Mais il povoit sembler à la manière de
sa dicte requeste, qu'elle ne pourroit ycelle
accomplir que ce ne fut grandement à son
deshonneur et scandale, et mesmement de sa
vie, et que pour chose du monde à ce ne
vouldroit consentir. Adonc le dit Jehan respliqua,
disant qu'elle lui povoit trèsbien accorder:
car il estoit celuy qui luy vouloit
garder son honneur jusqu'à la mort, et ameroit
mieulx estre pery et en l'autre siècle tourmenté
que par sa coulpe elle eust deshonneur;
et qu'elle ne doubta en rien que de sa part
son honneur ne fut gardé, luy suppliant de
rechef que sa requeste luy voulsist accorder,
et à tousjours mais se reputeroit son serviteur
et loyal amy. Et à ce elle respondit, faisant
manière de trembler, disant que de bonne
63foy il luy faisoit mouvoir le sang du corps,
de crainte et de paour qu'elle avoit de luy accorder
sa requeste. Lors s'approucha d'elle,
et luy requist ung baiser, dont les dames et
damoiselles du dit pays d'Angleterre sont assés
liberales de l'accorder; et en la baisant
luy pria doulcement qu'elle ne fut paoureuse
et que de ce qui seroit entre eulx deux jamais
nouvelle n'en seroit à personne vivant. Lors
elle lui dist: «Je voys bien que je ne puis de
vous eschapper que je ne face ce que vous
voulez; et puis qu'il fault que je face quelque
chose pour vous, sauf toutesfoiz tousjours
mon bon honneur, vous savez l'ordonnance
qui est faicte de par les seigneurs estans en ceste
ville de Calais, comment il convient que chacun
chief d'hostel face une foys la sepmaine,
en personne, le guet par nuyt, sur la muraille
de la dicte ville. Et pour ce que les seigneurs
et nobles hommes de monseigneur le cardinal,
vostre maistre, sont céens logez en grand
nombre, mon mary a tant fait par le moien
d'aucuns ses amis envers mon dit seigneur le
cardinal, qu'il ne fera qu'ung demy guet, et
entens qu'il le doit faire jeudy prochain, depuis
la cloche du temps au soir jusques à la
mynuyt; et pour ce, tantdiz que mon dit mary
sera au guet, si vous me voulez dire aucunes
choses, les orray trèsvoluntiers, et me trouverez
en ma chambre, avecques ma chambrière»,
la quelle estoit en grand vouloir de
conduire et acomplir les voluntés et plaisirs
de sa maistresse. Lequel Jehan Stocton fut de
64ceste response moult joyeux, et en remerciant
sa dicte hostesse luy dit que point n'y aroit
de faulte que au dit jour il ne venist comme
elle luy avoit dit. Or se faisoient ces devises
le lundy precedent après disner, mais il ne
fait pas à oublier de dire comment le dit Thomas
Brampton avoit ou desceu de son dit
compaignon Jehan Stocton fait pareilles diligences
et requestes à leur dicte hostesse, laquelle
ne luy avoit oncques voulu quelque
chose accorder, fors luy bailler l'une foiz
espoir, et l'autre doubte, en luy disant et remonstrant
qu'il pensoit trop peu à l'honneur
d'elle, car s'elle faisoit ce qu'il requeroit,
elle savoit de vray que son mary et ses parens
et amys luy osteroient la vie du corps.
Et ad ce respondit le dit Thomas: «Ma trèsdoulce
damoiselle et hostesse, pensez que je
suis noble homme, et pour chose qui me peust
advenir ne vouldroye faire chose qui tournast
à vostre deshonneur ne blasme; car ce ne
seroit point usé de noblesse. Mais creez fermement
que vostre honneur vouldroye garder
comme le mien; et ameroye mieulx à morir
qu'il en fust nouvelles, et n'ay amy ne personne
en ce monde, tant soit mon privé, à qui
je vouldroye en nulle manière descouvrir nostre
fait.» Laquelle, voyant la singulière affection
et desir du dit Thomas, luy dit le
mercredy ensuyvant que le dit Jehan avoit
eu la gracieuse response cy dessus de leur
dicte hostesse, que, puis qu'el le véoit en si
grand volunté de luy faire service en tout bien
65et en tout honneur, qu'elle n'estoit point si
ingrate qu'elle ne le vousist recognoistre. Et
lors luy alla dire comment il convenoit que
son mary, lendemain au soir, allast au guet
comme les aultres chefz d'ostel de la ville,
en entretenant l'ordonnance qui sur ce estoit
faicte par la seigneurie estant en la ville; mais,
la Dieu mercy, son mary avoit eu de bons
amis entour monseigneur le cardinal, car ilz
avoient tant fait envers luy qu'il ne feroit que
demy guet, c'est assavoir depuis mynuyt jusques
au matin seulement, et que si ce pendant
il vouloit venir parler à elle, elle orroit
voluntiers ses devises; mais pour Dieu qu'il
y vint si secrètement qu'elle n'en peust avoir
blasme. Et le dit Thomas luy sceut bien
respondre que ainsi desiroit il de faire. Et à
tant se partit en prenant congié. Et le lendemain,
qui fut le dit jour de jeudy, au vespre,
après ce que la cloche du guet avoit esté sonnée,
le dit Jehan Stocton n'oblya pas à aller
à l'heure que sa dicte hostesse luy avoit mise.
Et ainsi qu'il vint vers la chambre d'elle, il
entra et la trouva toute seulle; laquelle le receut
et luy fist trèsbonne chère, car la table y estoit
mise. Lequel Jehan requist que avecques elle
il peust soupper, affin de eulx mieulx ensemble
deviser, ce qu'elle ne luy voult de prime face
accorder, disant qu'elle pourroit avoir charge
si on le trouvoit avec elle. Mais il luy requis,
tant qu'elle le luy accorda; et le soupper fait,
qui sembla estre audit Jehan moult long, se
joignit avecques sa dicte hostesse; et après
66ce s'esbatirent ensemble si comme nu à nu.
Et avant qu'il entrast en la dicte chambre, il
avoit bouté en ung de ses doiz ung aneau d'or
garny d'un beau gros dyamant qui bien povoit
valoir la somme de trente nobles. Et en
eulx devisant ensemble, ledit aneau luy cheut
de son doy dedans le lit, sans ce qu'il s'en
apperceust. Et quand ilz eurent illec esté ensemble
jusques après la xj. heure de la
nuyt, la dicte damoiselle luy pria moult doulcement
que en gré il voulsist prendre le plaisir
qu'elle luy avoit peu faire, et que à tant il
fust content de soy habiller et partir de la
dicte chambre, affin qu'il n'y fust trouvé de
son mary, qu'elle attendoit si tost que la mynuyt
seroit sonnée, et qu'il luy voulsist garder
son honneur, comme il luy avoit promis.
Lequel, ayant doubte que ledit mary ne retournast
incontinent, se leva, habilla et partit
d'icelle chambre ainsi que xij heures estoient
sonnées, sans avoir souvenance de son dit
dyamant qu'il avoit laissé ou lit. Et en yssant
hors de la dicte chambre et au plus près
d'icelle, le dit Jehan Stocton encontra le dit
Thomas Brampton, son compaignon, cuidant
que ce fust son hoste Richard. Et pareillement
le dit Thomas, qui venoit à l'heure que
sa dame luy avoit mise, semblablement cuida
que le dit Jehan Stocton fust le dit Richard,
et attendit ung peu pour savoir quel chemin
tiendroit celuy qu'il avoit encontré. Et puis
s'en alla et entra en la chambre de la dicte
hostesse, qu'il trouva comme entrouverte, laquelle
67tint manière comme toute esperdue et
effrayée, en demandant au dit Thomas, en
manière de grand doubte et paour, s'il avoit
point encontré son mary qui partoit d'illec
pour aller au guet. Lequel luy dist que trop
bien avoit encontré ung homme, mais il ne
savoit qui il estoit, ou son mary ou aultre, et
qu'il avoit ung peu attendu pour veoir quel
chemin il tiendroit. Et quand elle eut ce oy,
elle print hardiement de le baiser, et luy dist
qu'il fust le bien venu. Et assez tost après,
sans demander qui l'a perdu ne gaigné, le dit
Thomas trousse la damoiselle sur le lit en faisant
cela. Et puis après, quand elle vit que
c'estoit, à certes se despoillèrent et entrèrent
tous deux ou lit, car ilz firent armes en sacrifiant
au Dieu d'amours et rompirent pluseurs
lances. Mais en faisant les dictes armes
il advint au dit Thomas une adventure, car il
sentit soubz sa cuisse le dyamant que le dit
Jehan Stocton y avoit laissé; et comme non
fol ne esbahy, le print et le mist en l'un de
ses doiz. Et quand ilz eurent esté ensemble
jusques à lendemain de matin, que la cloche
du guet estoit prochaine de sonner, à la requeste
de la dicte damoiselle il se leva, et en
partant s'entreaccolèrent ensemble d'un baisier
amoureux. Ne demoura guère que le dit
Richart retourna du guet, où il avoit esté
toute la nuyt, en son hostel, fort refroidy et eschargé
du fardeau de sommeil, qui trouva sa
femme qui se levoit; laquelle luy fist faire du
feu, et s'en alla coucher et reposer, car il
68estoit traveillé de la nuyt. Et fait à croire que
aussi estoit sa femme: car, pour la doubte
qu'elle avoit eue du traveil de son mary, elle
avoit bien peu dormy toute la nuyt. Et environ
deux jours après toutes ces choses faictes,
comme les Anglois ont de coustume après
qu'ilz ont oy la messe de aller desjeuner en
la taverne, au meilleur vin, lesdictz Jehan et
Thomas se trouvèrent en une compaignie
d'aultres gentilzhommes et marchans, et allèrent
ensemble desjeuner, et se assirent les
dictz Stocton et Brampton l'un devant l'autre.
Et en mengeant, le dict Jehan regarda sur les
mains du dit Thomas, qui avoit en l'ung de
ses doiz le dict dyamant. Et quand il l'eut
grandement advisé, il luy sembloit vrayement
que c'estoit celuy qu'il avoit perdu, ne savoit
en quel lieu et quand, et pria au dit Thomas
qu'il luy voulsist monstrer le dit dyamant, lequel
luy bailla. Et quand il l'eut en sa main,
recongneut bien que c'estoit le sien, et demanda
au dit Thomas dont il luy venoit, et
qu'il estoit sien. A quoy le dit Thomas respondit
au contraire que non, et que à luy
appartenoit. Et le dit Stocton maintenoit que
depuis peu de temps l'avoit perdu, et que, s'il
l'avoit trouvé en leur chambre où ilz couchoient,
qu'il ne faisoit pas bien de le retenir,
attendu l'amour et fraternité qui tousjours
avoit esté entre eulx deux; tellement que pluseurs
haultes parolles s'en ensuyvirent, et
fort se animèrent et courroussèrent l'un contre
l'autre. Toutesvoies le dit Thomas vouloit
69tousjours ravoir le dit dyamant; mais
n'en peut finer. Et quand les aultres gentilzhommes
et marchans virent la dicte noise,
chacun s'employa à l'accordement d'icelle,
pour trouver manière de les appaiser; mais
rien n'y valoit, car celuy qui perdu avoit le
dit dyamant ne le vouloit laisser partir de ses
mains, et celuy qui l'avoit trouvé le vouloit
ravoir, et tenoit à la belle adventure que l'avoir
eu cest eur et avoir joy de l'amour de
sa dame; et ainsi estoit la chose difficile à
appoincter. Finalement l'un desdictz marchans,
voyant que ou demené de la matère
on n'y prouffitoit en rien, si dist qu'il luy
sembloit qu'il avoit advisé ung aultre expedient,
dont les dictz Jehan et Thomas devroient
estre contens; mais il n'en diroit mot
si les dictes parties ne se soubzmettoient, en
peine de dix nobles, que de tenir ce qu'il en
diroit; dont chacun de ceulx estans en la
dicte compaignie dirent que bien avoit dit
le marchant, et incitèrent les dictz Jehan et
Thomas de faire la dicte soubzmission, et
tant en furent requis qu'ilz s'i accordèrent.
Lequel marchant ordonna que le dit dyamant
seroit mis en ses mains, puis que tous ceulx
qui du dit différent avoient parlé et requis
de l'appaiser n'en n'avoient peu estre creuz,
et que après ce, que, eulx partiz de l'ostel où
ilz estoient, au premier homme, de quelque
estat ou condicion qu'il fust, qu'ilz rencontreroient
à l'yssue du dit hostel, compteroient
toute la manière du dit different et noise estant
70entre les ditz Jehan et Thomas; et ce
qu'il en diroit ou ordonneroit seroit tenu
ferme et stable par les dictes deux parties.
Ne demoura guères que du dit hostel se partit
toute la compaignie, et le premier homme
qu'ilz encontrèrent au dehors d'icelluy, ce
fut le dit Richard, hoste des dictes deux parties;
auquel par le dit marchant fut dit et
narré toute la manière du dit différent. Lequel
Richard, après ce qu'il eut tout oy et qu'il
eut demandé à ceulx qui illec estoient presens
si ainsi en estoit allé, et que les dictes
parties ne s'estoient voulu laisser appoincter
et appaisier par tant de notables personnes,
dist par sentence que le dit dyamant luy demourroit
comme sien et que l'une ne l'autre
des parties ne l'aroit. Et quand le dit Thomas
vit qu'il avoit perdu l'adventure de la
treuve du dit dyamant, fut bien desplaisant.
Et fait à croire que autant estoit le dit Jehan
Stocton, qui l'avoit perdu. Et lors requist le
dit Thomas à tous ceulx qui estoient en la
compaignie, reservé leur dit hoste, qu'ilz voulsissent
retourner en l'ostel où ilz avoient desjeuné,
et qu'ilz leur donneroit à disner, affin
qu'ilz fussent advertiz de la manière et
comment le dit diamant estoit venu en ses
mains; tous lesquelx luy accordèrent. Et en
attendant le disner qui s'appareilloit, leur
compta l'entrée et la manière des devises
qu'il avoit eu avecques son hostesse, comment
et à quelle heure elle luy avoit mis heure pour
se trouver avecques elle, tantdiz que son
71mary seroit au guet, et le lieu où le dyamant
avoit esté trouvé. Lors le dit Jehan Stocton,
oyant ce, en fut moult esbahy, soy donnant
grand merveille; et en soy signant, dist que
tout le semblable luy estoit avenu en la propre
nuyt, ainsi que cy devant est declaré, et
que il tenoit fermement avoir laissé cheoir
son dyamant où le dit Thomas l'avoit trouvé,
et qu'il luy devoit faire plus mal de l'avoir
perdu qu'il ne faisoit au dit Thomas, lequel
n'y perdoit rien, car il luy avoit chier cousté.
A quoy le dit Thomas respondit qu'il ne le
devoit point plaindre si leur hoste l'avoit adjugé
estre sien, attendu que leur hostesse en
avoit eu beaucop à souffrir, et qu'il avoit eu
le pucellaige de la nuytée; et le dit Thomas
avoit esté son page et de son esquyrie et allant
après luy. Et ces choses contentèrent
assez bien le dit Jehan Stocton de la perte de
son dyamant, pource que aultre chose n'en
pouvoit avoir. Et de ceste adventure tous
ceulx qui présens estoient commencèrent à
rire et menèrent grand joye. Et après ce qu'ilz
eurent disné, chacun retourna où bon lui
sembla.
Montbleru se trouva, a environ deux
ans, à la foyre d'Envers, en la compaignie
de monseigneur d'Estampes,
qui le deffrayoit, qui est une chose
qu'il prend assez bien en gré. Ung jour entre
les aultres, d'adventure il rencontra maistre
Ymbert de Playne, maistre Roland Pipe, et
Jehan Le Tourneur, qui luy firent grand
chère. Et pour ce qu'il est plaisant et gracieux,
comme chacun scet, ilz desirèrent sa compaignie
et luy prièrent de venir loger avec eulx,
et qu'ilz feroient la meilleure chère de jamais.
Montbleru de prinsault s'excusa sur monseigneur
d'Estampes, qui l'avoit là amené, et
dist qu'il ne l'oseroit habandonner: «Et la raison
y est bonne, car il me deffraye de tout
point», dit-il. Néantmains toutesfoiz il fut content
d'abandonner monseigneur d'Estampes,
ou cas que entre eulx le voulsissent deffrayer;
et eulx, qui ne desiroient que sa compaignie,
accorderent legierement et de bon cueur ce
marchié. Or escoutez comment il les paya.
Ces trois bon seigneurs, maistre Ymbert,
maistre Roland, et Jehan Le Tourneur, demourerent
à Envers plus qu'ilz ne pensoient
quand ilz partirent de la court, et soubz esperance
73de bref retourner, n'avoient apporté
chacun qu'une chemise; si devindrent les
leurs, leurs couvrechefz et petiz draps, bien
sales, et à grand regret leur venoit d'eulx
trouver en ce party, car il faisoit bien chault,
comme en la saison de Penthecoste. Si les
baillèrent à blanchir à la chambrière de leur
logis ung samedy au soir, quand ilz se couchèrent,
et les devoient avoir blanches au
lendemain, à leur lever. Et si eussent ilz, mais
Montbleru les en garda bien. Et pour venir au
fait, la chambriere, quand vint au matin,
qu'elle eut blanchy ces chemises, couvrechefz
et petiz draps, les sechez au feu, et ploiez
bien et gentement, elle fut appellée de sa
maistresse pour aller à la boucherie faire la
provision pour le disner. Elle fist ce que sa
maistresse luy commenda, et laissa en la cuisine,
sur une scabelle, tout ce bagage, chemises,
couvrechefz, et petiz draps, esperant à
son retour les retrouver; à quoy elle faillit,
car Montbleru, quand il peut veoir du jour,
se lève de son lit et print une robe longue sur
sa chemise, et descendit en bas. Il vint veoir
qu'on disoit en la cuisine, où il ne trouva ame,
fors seullement ces chemises, couvrechiefz,
et petiz draps, qui ne demandoient que marchand.
Montbleru congneut tantost que c'estoit
sa charge, si y mist la main, et fut en
grand effroy où il les pourroit sauver. Une foiz
il pensoit de les bouter dedans les chaudières
et grands potz de cuyvre qui estoient en la
cuisine, aultrefoiz de les bouter en sa manche;
74bref il les bouta en l'estable de ses chevaulx,
bien enfardelées dedans le fain et ung gros
monceau de fiens; et cela fait, il s'en revint
coucher dont il estoit party d'emprès de Jehan
Le Tourneur. Or veezcy la chambriere retournée
de la boucherie, qui ne trouve pas ces
chemises, qui ne fut pas bien contente, et
commence à demander par tout qui en scet
nouvelles. Chacun à qui elle en demandoit
disoit qu'il n'en savoit rien, et Dieu scet la vie
qu'elle menoit. Et veezcy les serviteurs de ces
bons seigneurs qui attendent après leurs chemises,
qui n'osent monter vers leurs maistres,
et enragent tous vifz, si font l'oste et l'ostesse
et la chambriere. Quand vint environ neuf
heures, ces bons seigneurs appellent leurs
gens, mais nul ne vient, tant craindent à dire
les nouvelles de ceste perte à leurs maistres.
Toutesfoiz en la fin, qu'il estoit entre xj et
xij, l'oste vint et les serviteurs; et fut dit à
ces bons seigneurs comment leurs chemises
estoient desrobées, dont les aucuns perdirent
pacience, comme maistre Ymbert et maistre
Roland. Mais Jehan Le Tourneur tint assez
bonne maniere, et n'en faisoit que rire, et appella
Montbleru, qui faisoit la dormeveille, qui
savoit et oyoit tout, et luy dist: «Montbleru,
véezcy compaignons bien en point: on nous
a desrobé noz chemises.—Saincte Marie!
que dictes vous? dit Montbleru, contrefaisant
l'endormy, véezcy mal venu.» Quand on eut
grand pièce tenu parlement de ces chemises
perdues, dont Montbleru cognoissoit bien le
75larron, ces bons seigneurs dirent: «Il est jà
tard, nous n'avons encores point oy de messe,
et si est Dimanche; et si ne povons bonnement
aller sans chemises: qu'est il de faire?—Par
ma foy, dist l'oste, je n'y sçay d'aultre
remède, que je vous preste chacun une
chemise des miennes, telles qu'elles sont; elles
ne sont pas pareilles aux vostres, mais elles
sont blanches, et si ne povez mieulx faire.» Ilz
furent contens de prendre ces chemises de
l'oste, qui estoient courtes et estroictes, et de
dure et aspre toille, et Dieu scet qu'il les faisoit
bon veoir. Ilz furent prestz, Dieu mercy;
mais il estoit si tard qu'ilz ne savoient où ilz
pourroient oyr messe. Alors dist Montbleru,
qui tenoit trop bien manière: «Tant que d'oyr
messe, il est meshuy trop tard; mais je sçay
une eglise en ceste ville où nous ne fauldrons
point de veoir Dieu.—Encores vault il mieulx
que rien, dirent ces bons seigneurs. Allons,
allons, et nous avançons vistement, c'est trop
tardé: car perdre noz chemises, et ne oyr
point aujourdhuy de messe, ce seroit mal sur
mal; et pourtant il est temps d'aler à l'église,
si meshuy nous voulons ouyr la messe.» Montbleru
les mena en la grand eglise d'Envers,
où il y a ung Dieu sur ung asne. Quand ilz
eurent chacun dit une paternostre, ilz dirent
à Montbleru: «Où est ce que nous verrons
Dieu?—Je le vous monstreray», dit il. Alors
il leur monstra ce Dieu sur l'asne, et leur dist:
«Véezlà Dieu: vous ne fauldrez jamais à quelque
heure de veoir Dieu céens.» Ilz se commencèrent
76à rire, jasoit ce que la doleur de
leurs chemises ne fust pas encores appaisée.
Et sur ce point ilz s'en vindrent disner et furent
depuis ne sçay quans jours à Envers; et
après se despartirent sans avoir leurs chemises,
car Montbleru les mist en lieu sauf, et les
vendit depuis cinq escuz d'or. Or advint,
comme Dieu le voult, que en la bonne sepmaine
de quaresme ensuyvant le mercredy,
Montbleru se trouva au disner avecques ces
trois bons seigneurs dessuz nommez; et entre
aultres parolles il leur ramentut leurs chemises
qu'ilz avoient perdues à Envers, et dist:
«Hélas! le pouvre larron qui vous desroba, il
sera bien damné si son meffait ne lui est pardonné
de par Dieu, et de par vous; vous ne
le vouldriez pas?—Ha! dit maistre Ymbert,
par dieu, beau sire, il ne m'en souvenoit plus,
je l'ay pieçà oublié.—Au mains, dit Montbleru,
vous luy pardonnez, faictes pas?—Saint
Jehan, dist il, je ne vouldroye pas qu'il
fust damné pour moy.—Et par ma foy, c'est
bien dit, dist Montbleru. Et vous, maistre
Roland, ne luy pardonnez vous pas aussi?»
A grand peine disoit-il le mot; toutesfoiz il
dist qu'il luy pardonnoit, mais pour ce qu'il
pert à regret, le mot luy coustoit plus à prononcer.
«Et vrayement, vous luy pardonnerez
aussi, maistre Roland, dist Montbleru; qu'avez
vous gaigné d'avoir damné ung pouvre
larron pour une meschante chemise et ung
couvrechef?—Et je luy pardonne vrayement,
dist il lors, et l'en clame quicte, puisqu'ainsi
77est que aultre chose n'en puis avoir.—Et par
ma foy, vous estes bon homme», dist Montbléru.
Or vint le tour de Jehan Le Tourneur.
Si luy dist Montbleru: «Or ça, Jehan, vous ne
ferez pas pis que les aultres, tout est pardonné
à ce pouvre larron de chemises, si à vous ne
tient.—A moy ne tiendra pas, dit il, je luy
ay pieçà pardonné, et luy en baille de rechef
absolucion.—On ne pourroit mieulx dire, dit
Montbleru, et par ma foy, je vous sçay trèsbon
gré de la quictance que vous avez faicte
au larron de voz chemises, et en tant qu'il me
touche, car je suis le larron mesmes qui vous
desrobay voz chemises à Envers; je prens ceste
quictance à mon prouffit, et vous en mercye
toutesfoiz, car je le doy faire.» Quand Montbleru
eut confessé ce larrecin, et qu'il eut
trouvé sa quictance par le party qu'avez oy, il
ne fault pas demander si maistre Ymbert,
maistre Roland et Jehan Le Tourneur furent
bien esbahiz, car ilz ne se fussent jamais
doubtez qui leur eust fait ceste courtoisie. Et
luy fut bien reprouché, voire en esbatant, ce
pouvre larrecin. Mais luy, qui scet son entregens,
se desarmoit gracieusement de tout ce
dont charger le vouloient; et leur disoit bien
que c'estoit sa coustume que de gaigner et de
prendre ce qu'il trouvoit sans garde, specialement
à telles gens qu'ilz estoient. Ilz n'en
firent que rire; mais trop bien demandèrent
comment il les desroba. Et il leur declara tout
au long, et dist aussi qu'il avoit eu de tout ce
78butin cinq escuz, dont ilz n'eurent ne demandèrent
aultre chose.
Il est bien vray que naguères, en ung
lieu de ce pays que je ne puis nommer,
et pour cause; mais au fort, qui
le scet si s'en taise comme je fays,
avoit ung maistre curé qui faisoit raige de confesser
ses parrochiennes. De fait, il n'en eschappoit
pas une qui ne passast par là, voire des
plus jeunes. Au regard des veilles, il n'en tenoit
compte. Quand il eut longuement maintenu
ceste saincte vie et ce vertueux exercice,
et que la renommée en fut espandue par toute
la marche et ès terres voisines, il fut puny en
la façon que vous orrez, et par l'industrie de
l'un de ses parrochiens, à qui toutesfoiz il n'avoit
encores rien meffait touchant sa femme.
Il estoit ung jour au disner, et faisoit bonne
chère en l'ostel de son parrochien que je vous
dy. Et comme il estoient ou meilleur endroit
de leur disner et qu'ilz faisoient le plus grand
het, veezcy leens venir ung homme qui s'appelle
Trenchecoille, lequel se mesle de taillier
gens, d'arracher dens, et d'un grand tas d'aultres
brouilleries; et avoit ne sçay quoy à besoigner
79à l'oste de léens. L'oste l'encueillit
tresbien et le fist seoir, et sans se faire beaucoup
prier, il se fourre avecques nostre curé et
les aultres; et s'il estoit venu tard, il met
peine d'aconsuyvir ceulx qui le mieulx avoient
viandé. Ce maistre curé, qui estoit grand
farseur et fin homme, commence à prendre la
parolle à ce trenchecoille et luy va demander
de son mestier et de cent mille choses, et
le trenchecoille luy respondoit au propos le
mieulx qu'il savoit. A chef de pièce, maistre
curé se vire verz l'oste et en l'oreille luy dist:
«Voulons nous bien tromper ce trenchecoille?—Oy,
je vous en prie, ce dit l'oste;
mais en quelle manière le pourrons-nous faire?—Par
ma foy, dit le curé, nous le tromperons
trop bien, si vous me voulez aider.—Et je
ne demande aultre chose, dit l'oste.—Je vous
diray que nous ferons, dit le curé: je faindray
avoir mal au coillon et marchanderay à
lui de le m'oster, et me feray lyer et mettre
sur la table tout en point, comme pour le
trencher. Et quand il viendra près et il vouldra
veoir que c'est pour ouvrer de son mestier,
je me leveray et luy monstreray le derrière.—Et
que c'est bien dit, dist l'oste, qui
à coup pensa ce qu'il vouloit faire; vous ne
feistes jamais mieulx; laissez nous faire entre
nous aultres, nous vous aiderons bien à parfaire
la farce.—Je le veil, dit le curé.» Après
ces paroles monseigneur le curé rassaillit nostre
trenchecoille d'unes et d'aultres, et en la
parfin luy dist, pardieu, qu'il avoit bien mestier
80d'un tel homme qu'il estoit, et qu'il avoit
ung coillon tout pourry et gasté, et vouldroit
qu'il luy eust cousté bonne chose, et qu'il eust
trouvé homme qui bien luy sceust oster. Et si
froidement le disoit que le le trenchecoille
cuidoit veritablement qu'il deist voir. Lequel
luy respondit: «Monseigneur le curé, je veil
bien que vous sachez, sans nul despriser, ne
moy vanter de rien, qu'il n'y a homme en ce
pays qui mieulx que moi vous sceust aider;
et pour l'amour de l'oste de ceens, je vous
feray de ma peine telle courtoisie, si vous vous
voulez mettre en mes mains, que par droit vous
en devrez estre content.—Et vrayment, dit
maistre curé, c'est bien dit.» Conclusion, pour
abreger, ilz furent d'accort. Et tost après fut
la table ostée, et commença maistre trenchecoille
à faire ses préparatoires pour besoigner;
et d'aultre part le bon curé se mettoit à point
pour faire la farse, qui ne lui tourna pas à jeu,
et devisoit à l'oste et aux aultres comment il
devoit faire. Et tantdis que ces approuches
d'un costé et d'aultre se faisoient, l'oste de
léens vint au trenchecoille, et luy dist:
«Garde bien, quelque chose que ce prestre te
dye, quand tu le tiendras pour ouvrer à ses
coillons, que tu les lui trenches tous deux rasibus,
et n'y fay faulte, si cher que tu as ton
corps.—Saint Martin, si feray je, dist le
trenchecoille, puis qu'il vous plaist. J'ai ung
instrument si prest et si bien trenchant, que je
vous feray present de ses genitoires avant qu'il
ait loisir de moy rien dire.—Or on verra que tu
81feras, dist l'oste; si tu faulx, je ne te fauldray
pas.» Tout fut prest, et la table apportée, et
monseigneur le curé en pourpoint, qui bien
contrefaisoit l'adolé, et promectoit bon vin à
ce trenchecoille. L'oste aussi et les serviteurs
de léens, qui devoient tenir bon curé, qui n'avoient
garde de le laisser eschapper. Et affin
d'estre plus seur, le lièrent trop bien, et luy
disoient que c'estoit pour mieux faire la farce,
et quand il vouldroit ilz le laisseroient aller;
et il les creut comme fol. Or vint ce vaillant
trenchecoille garny à la couverte main de son
petit rasoir, et commença à vouloir mettre les
mains aux coillons de monseigneur le curé:
«A dya! dit monseigneur le curé, faictes à
traict et tout beau; tastez les le plus doulcement
que vous pourrez, et après je vous diray lequel
je veil avoir osté.—Trop bien», dit il: et lors
tout souef lève la chemise et prend ses maistres
coillons, gros et quarrez, et sans en plus
enquerir, subitement les luy trencha tous deux
d'un seul cop. Et bon curé de cryer, et de faire
la plus male vie que jamais fist homme. «Hola!
hola, dist l'oste, pille la pacience, ce qui est fait
est fait; laissez-vous adouber.» Alors le trenchecoille
le mect à point du surplus qui en
tel cas appartient, et part et s'en va, attendant
de l'oste il savoit bien quoy. Or ne fault-il pas
demander se monseigneur le curé fut bien
camus de se veoir ainsi desgarny. Et mectoit
sus à l'oste qu'il estoit cause de son meschef;
mais Dieu scet qu'il s'en excusoit bien, et disoit
que si le trenchecoille ne se fust si tost
82sauvé, qu'il l'eust mis en tel estat que jamais
n'eust fait bien après. «Pensez vous, dit il,
qu'il ne me desplaist bien de vostre ennuy, et
plus beaucop qu'il est advenu en mon hostel?»
Ces nouvelles furent tost vollées par toute la
ville; et ne fault pas dire que aucunes damoiselles
n'en furent bien marries d'avoir perduz
les instrumens de monseigneur le curé; mais
aussi d'aultre part les dolens mariz en furent
si joyeulx qu'on ne vous saroit dire n'escripre
la dixiesme partie de leur lyesse. Ainsi que
vous avez oy fut maistre curé puny, qui tant
d'aultres avoit trompez et deceuz; et oncques
depuis ne se osa veoir entre gens, mais reclus
et plain de melencolie fina bien tost après ses
dolens jours.
Comme souvent l'on mect en terme
pluseurs choses dont en la fin on se
repent, et à tard, advint naguères
que ung gentil compaignon, demourant
en ung village assez près du Mont-Saint-Michel,
se devisoit à ung soupper, present sa
femme, et aucuns estrangiers et pluseurs de
ses voisins, d'un hostellain dudit Mont-Saint-Michel,
83et disoit, affermoit et juroit sur son
honneur, qu'il portoit le plus beau membre, le
plus gros et le plus quarré qui fust en toute
la marche d'environ; et avecques ce, qui n'empire
pas le jeu, il s'en aidoit tellement et si
bien que les quatre, les v, les six foiz ne luy
coustoient non plus que s'on les prinst en
la corne de son chaperon. Tous ceulx de la
table oyrent bien voluntiers le bon bruyt qu'on
donnoit à cet hostellain du Mont-Saint-Michel,
et en parlèrent chacun comme il l'entendoit.
Mais qui que y prinst garde, la dame de
leens, femme au racompteur de l'ystoire, y
presta trèsbien l'oreille, et luy sembla bien
que la femme estoit eureuse et bien fortunée
qui de tel mary estoit douée. Et pensa dèslors
en son cueur que, s'elle povoit trouver honneste
voye et subtille, elle se trouvera quelque
jour audit Saint-Michel, et à l'ostel de
l'homme au gros membre se logeroit; et ne
tiendra que à luy qu'elle n'espreuve si le bon
bruyt qu'on luy donne est vray. Pour executer
ce qu'elle avoit proposé et en son courage
deliberé, au chef de vj ou viij jours, elle print
congé de son mary, pour aller en pelerinage
au Mont-Saint-Michel. Et pour colorer l'occasion
de son voyage, elle, comme femmes sçavent
bien faire, trouva une bourde toute affaictée.
Et son mary ne luy refusa pas le congé,
combien qu'il se doubta tantost de ce qui
estoit. Au partir, son mary luy dist qu'elle
feist son offrande à saint Michel, et qu'elle se
logeast à l'ostel dudit hostellain, et qu'elle le
84recommendast à luy cent mille foiz. Elle promist
de tout accomplir, et sur ce prend congé,
et s'en va, Dieu scet, desirant beaucop
se trouver au lieu de Saint-Michel. Tantost
qu'elle fut partie, et bon mary de monter à
cheval, et par aultre chemin que sa femme tenoit
picque tant qu'il peut au Mont-Saint-Michel,
et vint descendre tout secrètement avant
que sa femme à l'ostel de l'ostellain dessus
dit, lequel trèslyement le receut, et luy fist
grand chère. Quand il fut en sa chambre, il
dist à l'oste: «Or ça, mon hoste, vous estes
mon amy de pieçà, et je suis le vostre; je
vous veil dire qui m'amaine en ceste ville
maintenant. Il est vray qu'environ v ou vj
jours a, nous estions au soupper, en mon hostel,
un grant tas de bons compaignons; et
comme l'on entre en devises, je commençay à
compter comment on disoit en ce pays qu'il
n'y avoit homme mieux oustillé de vous»; et
au surplus luy dist au plus près qu'il peut toutes
les parolles qui alors touchant le propos furent
dictes, et comme dessus est touché. «Or
est il ainsi, dit il, que ma femme entre les
aultres recueillit trèsbien mes parolles, et n'a
jamais arresté tant qu'elle ayt trouvé manière
de impétrer son congé pour venir en ceste
ville. Et par ma foi, je me doubte fort et croy
veritablement que sa principale intencion est
d'esprouver, s'elle peut, si mes parolles sont
vrayes que j'ay dictes touchant vostre gros
membre. Elle sera tantost ceens, je n'en doubte
point, car il luy tarde de soy y trouver; si
85vous prie, quand elle viendra, que la recueillez
lyement et luy faictes bonne chère, et luy
demandez la courtoisie, et faictes tant qu'elle
le vous accorde. Mais toutesfoiz ne me trompez
point: gardez bien que vous n'y touchez;
prenez terme d'aller vers elle quand elle sera
couchée, et je me mettray en vostre lieu, et
vous orrez après bonne chose.—Laissez
moy faire, par ma foy, dist l'ostellain, et je
veil bien et vous promectz que je feray bien
mon personnage.—A dya, toutesfoiz, dit
l'autre, ne me faictes point de desloyauté; je
sçai bien qu'il ne tiendra pas à elle que ne le
facez.—Par ma foy, dist l'ostellain, je vous
asseure que je n'y toucheray»; et non fist il. Il ne
demoura guères que vecy venir nostre gouge
et sa chamberière, bien lassées, Dieu le scet.
Et bon hoste de saillir avant, et de recevoir la
compaignie comme il luy estoit enjoinct, et
qu'il avoit promis. Il fist mener madamoiselle
en une trèsbelle chambre, et luy faire du bon
feu et apporter tout du meilleur vin de leens,
et alla querir de belles cerises toutes fresches,
et vint bancqueter avec elle, en attendant le
soupper. Il commence de faire ses approuches
quand il vit son point; mais Dieu scet comment
on le gecta loing de prinsault. En la parfin
toutesfoiz, pour abreger, marché fut fait
qu'il viendroit coucher avec elle environ la
mynuyt tout secrètement. Et ce contract accordé,
il s'en vint devers le mary de la gouge
et luy compta le cas, lequel à l'heure prinse
entre elle et l'ostellain, il se vint bouter en
86son lieu et besongna le mieulx qu'il peult, et
se leva devant le jour, et se vint remettre en
son lit. Quand le jour fut venu, nostre gouge,
toute melencolieuse, pensive et despiteuse,
car point n'avoit trouvé ce qu'elle cuidoit,
appella sa chambrière, et se levèrent, et le
plus hastivement qu'elles peurent s'abillèrent,
et voulrent paier l'oste et leur escot; mais l'oste
dist qu'il ne prendroit rien d'elle. Et sur ce,
adieu, et se part madamoiselle, sans aller ne
oyr messe ne veoir saint Michel, ne desjeuner
aussi; et sans ung seul mot dire, s'en vint
en sa maison. Mais il vous fault savoir que
son mary y estoit desjà, qui luy demanda qu'on
disoit de bon à saint Michel. Elle, tant marrye
qu'on ne pourroit plus, à peine s'elle daignoit
respondre. «Et quelle chère, dit le mary,
vous a fait vostre hoste! Par Dieu, il est
bon compaignon.—Bon compaignon! dit-elle;
il n'y a rien d'oultrage: je ne m'en saroie
louer que tout à point.—Non, dame,
dist il; et par saint Jehan, je pensoye que
pour l'amour de moy il vous eust deu festoyer
et faire bonne chère.—Il ne me chault, dist-elle,
de sa chère: je ne vois pas en pelerinage
pour la bonne chère de luy ne d'aultre; je ne
pense qu'à ma devocion.—Devocion! dame,
dit il, nostre Dame, vous y avez failly;
je sçay trop bien pourquoy vous estes tant
raffroignée, et que le cueur avez tant enflé.
Vous n'avez pas trouvé ce que vous cuidiez;
il y a bien à dire une once, largement. Dya,
dya, madame, j'ay bien sceu la cause de vostre
87pelerinage: vous cuidiez taster et esprouver
le grand brichouart de nostre hoste de
saint Michel; mais, par saint Jehan, je vous
en ay bien gardée, et garderay, si je puis. Et
affin que vous ne pensiez pas que je vous mentisse
quand je vous disoye qu'il l'avoit si
grand, par Dieu, je n'ay dit chose qui ne soit
vraye; mais il n'est jà mestier que vous en
sachez plus avant que par oyr dire, combien
que, s'il vous eust voulu croire, et je n'y eusse
contredit, vous aviez bonne devocion d'essayer
sa puissance. Regardez comment je
sçay les choses. Et pour vous mettre hors de
suspection, sachez de voir que je vins ennuyt
à l'heure que luy aviez mise, et ay tenu son
lieu; si prenez en gré ce que j'ay sceu faire, et
vous passez doresenavant de ce que vous avez.
Pour ceste foiz il vous est pardonné, mais de
recheoir gardez vous en, pour autant qu'il
vous touche.» La damoiselle, toute confuse et
esbahie, voyant son tort evident, quand elle
peut parler, crya mercy, et promist de non
plus faire. Et je tiens que non fist elle de sa
teste.
N'a guères que j'estoie à Saint-Omer
avec ung grand tas de gentilz compaignons,
tant de céens comme de
Bouloigne et d'ailleurs, et après le
jeu de paulme nous allasmes soupper en l'ostel
88d'un tavernier qui est homme de bien et
beaucop joyeux; et a une trèsbelle femme,
et en grand point, dont il a un trèsbeau filz,
environ de l'eage de six à sept ans. Comme
nous estions tous assis au soupper, le tavernier,
sa femme, et leur filz d'emprès elle,
avecques nous, les aucuns commencèrent à
deviser, les aultres à chanter, et faisions la
plus grand chère de jamais; et nostre hoste,
pour l'amour de nous, ne s'i faindoit pas. Or
avoit esté sa femme ce jour aux estuves, et
son petit filz avecques elle. Si bien s'advisa
nostre hoste, pour faire rire la compaignie,
qu'il demanderoit à son filz de l'estat et gouvernement
de celles qui estoient aux estuves
avecques sa mère. Si luy va dire: «Vien çà,
mon filz; par ta foy, dy moy laquelle de toutes
celles qui estoient aux estuves avecques
ta mère avoit le plus beau con et le plus
gros.» L'enfant, qui se oyoit questionner devant
sa mère, qu'il craindoit comme enfans
font de coustume, vers elle regardoit et ne
disoit mot. Et le père, qui n'avoit pas aprins
de le veoir si muet, luy dist de rechef: «Or
me dy, mon filz, qui avoit le plus gros con?
dy hardiment.—Je ne sçay, mon père, dit
l'enfant, toujours virant le regart vers sa
mère.—Et par dieu, tu as menty, ce dist
son père; or le me dy, je le veil savoir.—Je
n'oseroye, dit l'enfant, pour ma mère; elle
me batteroit.—Non fera, non, dit le père,
tu n'as garde, je t'asseure.» Et nostre hostesse
sa mère, non pensant que son fils deust
89dire ce qu'il dist, luy dit: «Dy, dy hardiment
ce que ton père te demande.—Vous me batteriez,
dit il.—Non feray, non.» Et le père,
qui vit que son filz eut congé de souldre sa
question, luy demanda de rechef: «Or ça,
mon filz, par ta foy, as tu bien regardé tous les
cons de ces femmes qui estoient aux estuves?—Saint
Jehan, oy, mon père.—Et y en avoit il
largement? dy, ne mens point.—Je n'en vy
oncques tant: ce sembloit une droicte garenne
de cons.—Or çà, dy nous maintenant qui
avoit le plus bel et le plus gros.—Vrayment,
ce dist l'enfant, ma mère avoit tout le plus
bel et le plus gros, mais il avoit un si grand
nez.—Si grand nez? dit le père: va, va,
tu es bon filz.» Et nous commenceasmes tous
à rire et à boire d'autant, et parler de cest
enfant qui caquetoit si bien. Mais sa mère
n'en savoit sa contenance, tant estoit honteuse,
pource que son filz avoit parlé du nez;
et croy bien depuis il en fut trèsbien torché,
car il avoit encusé le secret de l'escole. Nostre
hoste fist du bon compaignon; mais il se
repentit assez depuis d'avoir fait la question,
dont la solucion le fist rougir. C'est tout pour
le present.
Ores a trois ans ou environ que une
assez bonne adventure advint à ung
chaperon fourré de parlement de
Paris. Et affin qu'il en soit memoire,
j'en fourniray ceste nouvelle, non pas que je
veille toutesfoiz dire que tous les chaperons
fourrez ne soient bons et veritables; mais car
il y eut non pas ung peu de desloyaulté en
cestuy cy, mais largement, qui est chose estrange
et non accoustumée, comme chacun
scet. Or, pour venir au fait, ce chaperon fourré,
en lieu de dire ce seigneur de parlement, devint
amoureux à Paris de la femme d'un cordoannier
qui estoit belle et gente, et enlangagée
à l'advenant et selon le terrouer. Ce maistre
chaperon fourré fist tant, par moyens d'argent
et aultrement, qu'il parla à la belle cordoannière
dessoubz sa robe et à part, et s'il
avoit d'elle esté bien amoureux avant la joissance,
encores en fut il trop plus feru depuis,
dont elle se parcevoit et donnoit trèsbien
garde, s'en tenoit trop plus fière, et se faisoit
acheter. Luy estant en ceste rage, pour mandement,
prière, promesse, don, ne requeste
qu'il sceust faire, elle s'appensa de non plus
91comparoir, affin encores de luy rengreger et
plus accroistre sa maladie. Et veezcy nostre
chaperon fourré qui envoye ses ambaxadeurs
devers sa dame la cordoannière; mais c'est
pour neant, elle n'y viendroit pour morir. Finalement,
pour abreger, affin qu'elle voulsist
venir vers luy comme aultresfoiz, il luy promist
en la presence de trois ou de iiij qui estoient
de son conseil quant à telles besoignes,
qu'il la prendroit à femme si son mary terminoit
vie par mort. Quand elle eut ceste promesse,
elle se laissa ferrer et vint, comme elle
souloit, au lever et aux aultres heures qu'elle
povoit eschapper, devers le chaperon fourré,
qui n'estoit pas mains feru que l'autre jadiz
d'amours. Et elle, sentant son mary desjà vieil
et ancien, et ayant la promesse desusdicte,
se reputoit desjà comme sa femme. Pou de
temps après, la mort trèsdesirée de ce cordoannier
fut sceue et publiée; et bonne cordoannière
se vient bouter de plain sault en
l'ostel du chaperon fourré, qui la receut joyeusement,
promist aussi de rechef qu'il la prendroit
à femme. Or sont maintenant ensemble
ces deux bonnes gens, le chaperon fourré et
sa dame la cordoannière. Mais, comme souvent
chose eue en dangier est trop plus cher
tenue que celle qu'on a à bandon, ainsi advint
ycy; car nostre chaperon fourré se commença
à ennuyer et lasser de la cordoannière, et soy
refroider de l'amour d'elle. Et elle le pressoit
tousjours de paraccomplir le mariage dont il
avoit fait la promesse, mais il luy dist: «M'amye,
92par ma foy, je ne me puis jamais marier,
car je suis homme d'eglise et tiens benefices
telz et telz, comme vous savez; la promesse
que je vous faiz jadis est nulle, et ce
que j'en feis lors estoit pour la grand amour
que je vous portoye, esperant aussi par ce
moyen vous attraire plus legièrement. «Elle,
cuidant qu'il fust lyé à l'eglise, et soy voyant
aussi bien maistresse de léens que s'elle fust
sa femme espousée, ne parla plus de ce mariage
et alla son chemin accoustumé. Mais
nostre chaperon fourré fist tant par belles parolles
et pluseurs remonstrances, qu'elle fut
contente de se partir de luy et espouser ung
barbier, leur voisin, auquel il donna iij c.
escuz d'or contens; et Dieu scet s'elle partit
bien baguée. Or, vous devez savoir que nostre
chaperon fourré ne fist pas legièrement
ceste despartie ne ce mariage, et n'en fust
point venu à bout si n'eust esté qu'il disoit à
sa dame qu'il vouloit doresenavant servir Dieu
et vivre de ces benefices et soy du tout rendre
à l'eglise. Or fist il tout le contraire,
quand il se vit desarmé d'elle et allyée au
barbier; car il fist secrètement traicter, environ
ung an après, pour avoir en mariage la fille
d'un notable et riche bourgois de Paris. Et
fut la chose faicte et passée, et fut jour prins
et assigné pour les nopces; disposa aussi de
ses benefices, qui ne sont que à simple tonsure.
Ces choses sceues aval Paris et venues à la cognoissance
de la cordoannière, maintenant barbière,
creez qu'elle fut bien esbahie: «Voire,
93dist elle, le traistre, m'a il en ce point deceue?
il m'a laissée soubz umbre d'aller servir Dieu
et m'a baillée à ung aultre. Et par nostre Dame
de Clery, la chose ne demourra pas ainsi.» Non
fist elle, car elle fist comparoir nostre chaperon
fourré devant l'evesque, et illec son procureur
remonstra bien et gentement sa cause,
disant comment le chaperon fourré avoit promis
à la cordoannière, en presence de pluseurs,
que si son mary mouroit qu'il la prendroit
à femme. Son mari mort, il l'a tousjours
tenue jusques environ à ung an qu'il l'a baillée
à ung barbier. Pour abreger, les tesmoings
ouy, et la chose bien debatue, l'evesque adnichilla
et jugea estre nul ledit mariage de ladicte
cordoannière au barbier, et enjoindit et
commenda au chaperon fourré qu'il la prinst
comme sa femme; car elle estoit sienne, et de
droit, puisqu'il avoit eu compaignie charnelle
avecques elle après la promesse dessus dicte.
Ainsi fut nostre chaperon fourré ramené des
meures; il faillit d'avoir la belle fille du bourgois,
et si perdit ses iij c. escus d'or que le
barbier eut, et si luy maintint sa femme plus
d'un an. Et s'il estoit bien mal content d'avoir
sa cordoannière, le barbier estoit aussi
joyeux d'en estre despesché. En la façon qu'avez
oy s'est depuis naguères gouverné l'un
des chaperons fourré du parlement de Paris.
Il n'est pas chose pou acoustumée
ne de nouvel mise sus que femmes
ont fait leurs mariz jaloux, voire,
par Dieu, et coux aussi. Si advint
naguères, en la ville d'Envers, ce propos, que
une femme mariée, qui n'estoit pas des plus
seures du monde, fut requise d'un tresgentil
compaignon de faire la chose que savez.
Et elle, comme courtoise et telle qu'elle estoit,
ne refusa pas le service qu'on luy presentoit,
mais debonnairement se laissa ferrer,
et maintint ceste vie assez et longuement. En
la parfin, comme fortune voult, qui ennemye
et desplaisante estoit de leur bonne chevance,
fist tant que le mary trouva la brigade en present
meffait, dont en y eut de bien esbahiz.
Ne sçay toutesfoiz lequel, ou l'amant, ou l'amye,
ou le mary; toutesfoiz, l'amant, à l'aide
d'une bonne espée à deux mains dont il estoit
saisy, se sauva sans nul mal avoir, et ne fut
de ame poursuy. Or demourèrent le mary et
la femme; de quoy leurs propos furent, il se
peut assez penser. Après toutesfoiz aucunes
parolles dictes, et d'un costé et d'aultre, le mary,
pensant en soy mesmes, puis qu'elle avoit
95encommencé à faire la folye, que fort seroit de
l'en retirer, et quand plus elle n'en feroit, si
estoit tel le cas, que, venu à la cognoissance du
monde, il en estoit noté comme deshonnoré;
consydera aussi de la batre ou injurier de parolles
que c'estoit peine perdue; si s'advisa
à chef de pièce qu'il la chassera paistre ensus
de luy, et ne sera jamais d'elle ordoyée sa
maison au mains qu'il puisse. Si dist à sa femme
assez doulcement: «Or cà, je voy bien que
vous ne m'estes pas telle que vous deussiez
estre par raison; toutesvoies, esperant que jamais
ne vous adviendra, de ce qui est fait ne
soit il plus parlé; mais devisons d'un aultre.
J'ay ung affaire qui me touche beaucop, et à
vous aussi; si vous fault engager tous noz
joyaulx, et si vous avez quelque minot d'argent
à part, il le vous fault mettre avant;
car le cas le requiert.—Par ma foy, dit la
gouge, je le feray volontiers et de bon cueur;
mais que vous me pardonnez vostre maltalent.—N'en
parlez plus, dit il, nen plus que moy.»
Elle, cuidant estre absolue et avoir remission
de tous ses pechez, pour complaire à son
mary, après la noise dessus dicte, bailla ce
qu'elle avoit d'argent, ses verges, ses tixus,
aucunes bourses estoffées bien richement, ung
grand tas de couvrechefs bien fins, pluseurs
pennes entières et de tresbonne valeur; bref,
tout ce qu'elle avoit, et que son mary voulut
demander, elle luy bailla pour en faire son bon
plaisir. «En dya, dist il, encores n'ay je pas
assez.» Quand il eut tout jusques à la robe et
96la cotte simple qu'elle avoit sur elle, «Il me
fault avoir ceste robe, dit il.—Voire, dit-elle,
et je n'ay aultre chose à vestir; voulez vous
que je voise toute nue?—Force est, dit il,
que vous la me baillez, et la cotte simple aussi,
et vous avancez; car, soit par amours ou par
force, il la me fault avoir.» Elle, voyant que
la force n'estoit pas sienne, se desarma de sa
robe et de sa cotte simple, et demoura en
chemise: «Tenez, dit elle, fays je bien ce
qu'il vous plaist?—Vous ne l'avez pas tousjours
fait, dit il; si à ceste heure vous m'obeissez,
Dieu scet si c'est de bon cueur; mais
laissons cela, parlons d'ung aultre. Quand je
vous prins à mariage à la male heure, vous
ne apportastes guères avecques vous, et encore
le tant peu que ce fut, si l'avez vous et
forfait et confisqué; il n'est jà mestier que je
vous redye vostre gouvernement: vous sçavez
mieulx quelle vous estes que nul aultre;
et pour telle que vous estes à ceste heure, je
vous baille le grand congé et vous dy le grand
adieu; veezla l'huys, prenez garin, et si vous
faictes que sage, ne vous trouvez jamais devant
moy.» La pouvre gouge, plus esbahie
que jamais, n'osa plus demourer après ces
horribles parolles, après cest horrible ban,
ains se partit et s'en vint rendre, ce croy je,
à l'ostel de son amy par amours, pour ceste
première nuyt, et fist mettre sus beaucop
d'ambaxadeurs pour ravoir ses bagues et habillemens
de corps; mais ce fut pour neant,
car son mary, obstiné et endurcy en son propos,
97n'en voult oncques oyr parler, et encores
mains de la reprendre; si en fut il beaucop
pressé, tant des amis de son costé comme de
ceulx de la femme; si fut sa bonne femme
contrainte de gaigner au mieulx qu'elle peut
des aultres habillemens, et en lieu de mary
user d'amy, attendant le rappaisement de son
dit mary, qui à l'heure de ce compte estoit
encores mal content de sa dicte femme, et
aucunement ne la vouloit veoir.
Il n'est pas seullement cogneu de
ceulx de la ville de Gand, où le cas
que j'ay à vous descripre n'a pas
long temps advint, mais de la plus
part de ceulx de Flandres, et de vous qui estes
cy presens, que à la bataille qui fut entre
le roy de Honagrie et monseigneur le duc Jehan,
que Dieu absoille, d'une part, et le grand
Turc en son pais de Turquie d'aultre, plusieurs
chevaliers et escuiers françois, flamens,
alemans et picards furent prisonniers, dont les
aucuns furent mors et executez, present le
dit Turc, les aultres en chartre à perpetuité,
les aultres condemnez à estre et faire office
d'esclave, du nombre des quelx fut ung gentil
chevalier du dit pais de Flandres, nommé
98messire Clayz Utenhoven. Et par pluseurs ans
exercea ledit office, qui ne luy estoit pas petit
labeur, mais martire intollerable, attendu les
delices où il avoit esté nourry et l'estat dont
il estoit. Or devez vous savoir qu'il estoit marié
pardeçà à Gand, et avoit espousé une
trèsbelle et bonne dame qui de tout son cueur
l'amoit et tenoit cher, laquelle prioit Dieu
journellement que bref le peust ravoir et reveoir
par deçà, si encores il estoit vif; s'il estoit
mort, que par sa grâce luy voulsist ses pechez
pardonner et le mettre au nombre des glorieux
martirs qui pour le reboutement des infidèles
et l'exaltacion de sa saincte foy catholicque
se sont voluntairement offers et habandonnez
à la mort temporelle. Ceste bonne
dame, qui riche, belle et bonne estoit, et de
grans amys continuellement pressée estoit et
assaillye de ces amys qu'elle se voulsist remarier;
lesquelx disoient et asseurement affermoyent
que son mary estoit mort, et que s'il
fust vif il fut retourné comme les aultres; s'il
fust aussi prisonnier, on eust eu nouvelle de
luy pour faire sa finance. Quelque chose qu'on
dist à ceste bonne dame, ne raison qu'on luy
sceust amener de apparence en cestuy fait,
elle ne vouloit condescendre à ce mariage,
et au mieulx qu'elle savoit s'en excusoit. Mais
que luy valut ceste excusance, certes pou ou
rien; car elle fut ad ce menée de ses parens et
amys qu'elle fut contente d'obéir. Mais Dieu
scet que ce ne fut pas à pou de regret, et estoient
environ neuf ans passez qu'elle estoit
99privée de la presence de son bon et loyal mary,
lequel elle reputoit pieça mort; et si faisoient
la plus part, et presque tous ceulx qui le cognoissoient.
Mais Dieu, qui ses serviteurs et
champions garde et preserve, l'avoit aultrement
disposé; car encores vivoit, faisant son
ennuyeux office d'esclave. Pour rentrer en
matère, ceste bonne dame fut mariée à ung
aultre chevalier, et fut environ demi an en sa
compaignie, sans aultres nouvelles oyr de
son bon mary que les precedentes, c'est asavoir
qu'il étoit mort. D'adventure, comme
Dieu le voult, ce bon et loyal chevalier messire
Clays estant encore en Turquie à l'heure
que madame sa femme s'est ailleurs allyée,
faisant le beau mestier d'esclave, fist tant par
le moien d'aucuns crestians gentilzhommes et
marchans qu'il fut delivré, et se mist en leur
galée, et s'en retourna par deçà. Et comme il
estoit sur son retour, il rencontra et trouva,
passant pays, pluseurs de sa congnoissance
qui trèsjoyeux furent de sa delivrance: car à
la vérité dire il estoit trèsvaillant homme,
bien renommé et vertueux. Et tant s'espandit
le trèsjoyeux bruit de sa désirée délivrance
qu'il parvint en France, en Artoys et en Picardie,
où ses vertuz n'estoient pas mains
cogneues que en Flandres, dont il estoit natif.
Et de ces marches ne tarda guères qu'elles
vindrent en Flandres et jusques aux oreilles
de sa trèsbelle et bonne dame et espouse, qu
fut bien esbahie, et de tous ses sens tant alterée
100et soupprinse qu'elle ne savoit sa contenance.
«Ha! dist elle, à chef de pièce,
quand elle sceut parler, mon cœur ne fut oncques
d'accord de faire ce que mes parens et
amys m'ont à force contrainte de faire. Hélas!
et qu'en dira mon trèsloyal seigneur et mary,
auquel je n'ay pas gardé loyaulté comme je
deusse, mais comme femme fresle, legère et
muable de courage, ay baillé part et porcion
à aultruy de ce dont il estoit et devoit estre
le seul seigneur et maistre? Je ne suis pas
celle qui doit ou ose attendre sa presence; je
ne suys pas aussi digne qu'il me doye ou
veille regarder, ne jamais veoir en sa compaignie.»
Et ces paroles dictes, accompaignées de
grands larmes, son trèshoneste, trèsvertueux
et loyal cueur s'évanuyt, et cheut paulmée.
Elle fut prinse et portée sur ung lit, et luy
revint le cueur; mais depuis ne fut en puissance
d'homme ne de femme de la faire menger
ne dormir, ainçois fut trois jours continuelz
tousjours plorant, en la plus grand tristesse
de cueur que jamais femme fut. Pendant
lequel temps elle se confessa et ordonna
comme bonne chrestienne, priant mercy à
tout le monde, specialement à monseigneur
son mary. Et tost après elle mourut, dont
ce fut trèsgrand dommage; et n'est point à
dire le desplaisir qu'en print mon dit seigneur
son mary, quand il en sceut la nouvelle; et
à cause de son dueil fut en trèsgrand danger
de suyvir par semblable accident sa trèsloyale
101espouse; mais Dieu, qui l'avoit sauvé
d'aultres grands perilz, le preserva de ce
dangier.
Un gentil chevalier d'Alemaigne,
grand voyageur, aux armes preux,
cortois, et de toutes bonnes vertuz
largement doué, au retourner
d'un loingtain voiage, luy estant en ung
sien chasteau, fut requis d'ung son subject
demourant en sa ville mesme d'estre parrain
de tenir sur fons son enfant, dont la mère
s'estoit delivrée droit à la coup du retour du
dit chevalier. Laquelle requeste fut au dit
bourgois libéralement accordée, et jasoit que
le dit chevalier eust en sa vie pluseurs enfans
tenuz sur fons, si n'avoit il jamais donné son
entente aux sainctes parolles par le prestre proferées
ou mistère de ce saint et digne sacrement,
comme il fist à ceste heure; et luy semblerent,
comme elles sont à la verité, plaines
de haulx et divins mistères. Ce baptesme
achevé, comme il estoit liberal et courtois,
affin d'estre veu de ses hommes, demoura à
disner en la ville, sans monter au chasteau,
et luy tindrent compaignie le curé, son compère,
et aucuns aultres des plus gens de bien,
102lesquels, après pluseurs devises, montèrent en
jeu d'unes et d'aultres matères, tant que monseigneur
commença à loer beaucop le digne
sacrement de baptesme, et dist hault et cler,
oyans tous: «Si je savoye veritablement que
à mon baptesme eussent esté pronuncées les dignes
et sainctes parolles que j'ay oyes à ceste
heure au baptesme de mon nouveau filleul, je
ne craindroye en rien le dyable qu'il eust sur
moy puissance ne autorité, sinon seulement
de moy tempter, et me passeroye de faire le
signe de la croix; non pas, affin que bien vous
m'entendez, que je ne sache trèsbien que ce
signe est suffisant à rebouter le diable; mais
ma foy est telle que les paroles dictes au
baptesme d'un chascun cristien, s'elles sont
telles que aujourd'uy j'ay oyes, sont valables
à rebouter tous les dyables d'enfer, s'il en y
avoit encores autant.—En verité, respondit
alors le curé, monseigneur, je vous asseure,
in verbo sacerdotis, que les mesmes paroles
qui ont esté dictes aujourd'uy au baptesme
de vostre filleul furent dictes et celebrées à
vostre baptesme; je le sçay bien, car je mesmes
vous baptisay, et en ay aussi fresche memoire
comme si ce eust hier esté. Dieu fasse
mercy à monseigneur vostre père; il me demanda
le lendemain de votre baptesme qu'il
me sembloit de son nouveau fils; telz et telz
furent vos parrains, et telz et telz y estoient.»
Et racompta toute la manière du baptisement,
et le fist bien certain que mot avant ne mot
arrière n'eut en son baptisement de celuy à
103son filleul. «Et puisqu'ainsi est, dist alors ce
gentil chevalier, je promectz à Dieu mon createur
tant honorer de ferme foy le saint sacrement
de baptesme que jamais, pour quelque
peril, encontre ou assault que le dyable me
face, je ne feray le signe de la croix, mais par
la seule memoire du sacrement de baptesme
l'en chasseray ensus de moy, tant ay ferme
foy en ce divin mistère; et ne me semblera
jamais possible que le dyable puisse nuyre à
homme armé de tel escu; car il est tel et si
ferme que seul y vault sans aultre aide, voire
acompaigné de vraye foy.» Ce disner se passa,
et ne sçay quants ans après, ce bon chevalier
se trouva en une bonne ville en Alemaigne,
pour aucuns affaires qui l'y tirèrent, et fut logé
en l'hostellerie. Comme il estoit ung soir avec
ses gens, après soupper, devisant et esbatant
avec eulx, fain luy print d'aller au retrait; et
car ses gens s'esbatoient, n'en voult nulz
oster de l'esbat; si print une chandelle et tout
seul s'en va au retrait. Comme il entroit dedans,
il vit devant luy ung grand monstre
horrible et terrible, ayant grandes et longues
cornes, les yeux plus alumés que flambe de
fornaise, les braz gros et longs, les griffes
aguez et trenchans, et bref c'estoit ung monstre
trèsespoventable, et ung dyable, comme
je croy. Et pour tel le tenoit le bon chevalier,
lequel de prinsault fut assez esbahi d'avoir
telle rencontre. Néantmains toutesfoiz print
cueur, hardement et vouloir de soy defendre
s'il estoit assailly; et luy souvint du veu qu'il
104avoit fait, et du saint et divin mistère de baptesme.
Et en ceste foy marche vers ce monstre,
que j'appelle dyable, et luy demanda qui
il estoit, et qu'il demandoit. Ce dyable, sans
mot dire, le commença à compter, et bon chevalier
de se defendre, qui n'avoit toutesfoiz
pour toutes armeures que ses mains, car il
estoit en pourpoint comme pour aller coucher,
et son bon escu de ferme foy au saint mistère
de baptesme. La lucte dura longuement, et
fut ce bon chevalier tant las que merveilles de
soutenir ce dur assault. Mais il estoit tant fort
armé de son escu de foy que pou luy nuysoient
les coups de son ennemy. En la parfin que ceste
bataille eut bien duré une bonne heure, ce
bon chevalier se print aux cornes de ce dyable,
et luy en esracha une dont il le bacula
trop bien et malgré luy. Comme victorieux se
partit de luy, et le laissa là comme recréant,
et vint trouver ses gens qui s'esbatoient, comme
ilz faisoient par avant son partement, qui
furent bien effraiez de veoir leur maistre en ce
point eschauffé qu'il estoit tant esgratigné le
visage, le pourpoint, chemises, chausses et
tout desrompu et deschiré, et comme tout hors
d'alaine. «Ha! monseigneur, dirent-ilz, dont
venez vous, et qui vous a ainsi habillé?—Qui?
dit il; ce a esté le deable, à qui je me
suis tant combatu que j'en suis tout hors
d'alaine et en tel point que vous veez; et
vous asseure par ma foy que je tien veritablement
qu'il m'eust estranglé et devoré, se à
ceste heure ne me fust souvenu de mon baptesme
105et du hault mistère de ce saint sacrement,
et de mon veu que je feis ores a ne sçai
quants ans; et creez que je ne l'ai pas faulsé;
car, quelque danger que j'aye eu, oncques ne
feis le signe de la croix, mais souvenant du
saint sacrement dessus dit, me suis hardyment
defendu et franchement eschappé, dont
je loe et mercye nostre seigneur, qui par ce
bon escu de saincte foy m'a si sauvement preservé.
Viennent tous les aultres qui en enfer
sont, tant que ceste enseigne demeure, je ne
les crains; vive, vive nostre benoist Dieu, qui
ses chevaliers de telles armes scet adouber!»
Les gens de ce bon seigneur, oyans leur maistre
ce cas racompter, furent bien joyeux de le
veoir en bon point, mais esbahis de la corne
qu'il leur monstroit, qu'il avoit à ce dyable
de la teste esrachée. Et ne savoient juger,
non fist oncques personne qui depuis la veist,
de quoi elle estoit, si c'estoit os ou corne,
comme aultres cornes sont, ou que c'estoit.
Alors ung des gens de ce chevalier dist qu'il
vouloit aller veoir se ce dyable estoit encores
où son maistre l'avoit laissé, et s'il le trouvoit
il se combatroit à luy et luy arracheroit l'aultre
corne. Son maistre luy dist qu'il n'y allast
point; il dist que si feroit. «N'en fay rien,
dist son maistre, le peril y est trop grand.—Ne
m'en chault, dit l'autre, je y veil aller.—Si
tu me croiz, dit son maistre, tu n'yras
pas.» Quoy qu'il fust, il y voult aller, et desobeir
à son maistre. Il print en sa main une
torche et une grande hache, et vint au lieu où
106son maistre s'estoit combatu. Quelle chose il
y fist, on n'en scet rien, mais son maistre, qui
de luy se doubtoit, ne le sceut si tost suyr
qu'il ne le trouva pas, ne le dyable aussi, et
n'oyt oncques puis nouvelles de son homme.
En la fasson qu'avez oy se combatit ce bon
chevalier au dyable, et le surmonta par la
vertu du saint sacrement de baptesme.
A Saint Omer n'a pas long temps advint
une assez bonne histoire qui
n'est mains vraye que l'euvangile,
comme il a esté et est cogneu de
pluseurs notables gens, dignes de foy et de
croire. Et fut le cas tel, pour abreger: Ung
gentilhomme, chevalier des marches de Picardie,
pour lors bruyant et frez, de grand
autorité et de grand lieu, se vint loger en une
hostellerie qui par le fourrier de monseigneur
le duc Phelippe de Bourgoigne son maistre
luy avoit esté delivrée. Tantost qu'il eut mis
pié à terre, comme il est de coustume aus
dictes marches, son hostesse luy vint au devant,
et trèsgracieusement, comme elle estoit
coustumière de ce faire, le receut et bienviengna;
et luy, des courtois le plus honorable, la
107baisa doulcement, car elle estoit belle et gente
et en bon point, et mise sur le bon bout, appellant
sans mot dire trop bien son marchant
à son baisier et accolement, et de prinsault
n'y eut celuy des deux qui ne pleust bien à
son compaignon. Si pensa le chevalier par
quel train et moien il parviendroit à la joissance
de son hostesse, et s'en descouvrit à ung de
ses serviteurs, qui en peu d'heure tellement
batist les besoignes, qu'ilz se trouvèrent ensemble.
Quand ce gentil chevalier vit son
hostesse preste d'oyr, d'entendre et escouter
ce qu'il vouldroit dire, pensez qu'il fut joyeux
oultre mesure, et de grand haste et ardent desir
qu'il eut d'entamer la matère qu'il vouloit
ouvrir, il oblya de serrer l'huys de la chambre,
que son serviteur au partir de leur assemblement
laissa entrouverte, et commença sa harengue
à l'heure, sans regarder à aultre chose;
et l'ostesse, qui ne l'oyoit pas à regret, luy
respondoit tout au propos, tant qu'ilz estoient
si bien d'accord qu'oncques musicque ne fut
pour eulx plus doulce, instrumens ne pourroient
mieulx estre accordez que eulx deux,
la mercy Dieu, estoient. Or advint, ne sçay
par quelle adventure, ou si l'oste de leens,
mary de l'ostesse, queroit sa femme pour aucune
chose luy dire, en passant par adventure
par devant la chambre où sa femme avec
le chevalier jouoit des cimbales, il en oyt le
son; si se tira vers le lieu où ce beau deduit
se faisoit, et au hurter qu'il fist à l'huys, il
trouva l'atelée du chevalier et de sa femme,
108dont d'eulx il fut le plus esbahy de trop, et en
reculant subitement, doubtant les empescher
et destourber de la doulce œuvre qu'ilz faisoient,
leur dist, pour toutes menaces et tençons:
«Et par la mort bieu, vous estes bien
meschantes gens, et à vostre fait mal regardans,
qui n'avez eu tant de sens, quand vous
voulez faire telz choses, que de serrer et tirer
les huys après vous. Or pensez que c'eust esté
si ung aultre que moy vous eust trouvez! Et,
par Dieu, vous estiez gastés et perduz, et eust
esté vostre fait decelé, et tantost sceu par
toute la ville. Faictes aultrement une aultre
foiz, de par le dyable!» Et sans plus dire tire
l'huys et s'en va; et bonnes gens de raccorder
leurs musettes, et de parfaire la note encommencée.
Et quand ce fut fait, chacun s'en alla
à sa chacune, sans faire semblant de rien; et
n'eust esté, espoir, leur cas jamais descouvert
ou au mains si publicque que de venir à l'oreille
de vous ne de tant d'aultres gens, si
n'eust esté le mary, qui ne se doubtoit pas tant
de ce qu'on l'avoit fait coupaut que de l'huis
qu'il trouva desserré.
A propos de la nouvelle precedente,
es marches de Picardie avoit naguères
ung gentilhomme, et tien
que encores y soit il à ceste heure,
qui tant amoureux estoit de la femme d'un
chevalier son voisin, qu'il n'avoit ne bon jour
ne bonne heure s'il n'estoit auprès d'elle, ou
à tout le mains qu'il en eust nouvelle, et il
n'estoit pas mains cher tenu d'elle, qui n'est
pas pou de chose. Mais la doleur estoit qu'ilz
ne savoient trouver fasson ne manière d'estre
à part et en lieu secret, pour à loisir dire et
deceler ce qu'ilz avoient sur le cueur que, pour
rien en la presence de nul, tant fust leur amy,
n'eussent voulu descouvrir. Au fort, après tantes
males nuitz et jours doloureux, amour, qui
ses serviteurs loyaulx aide et secoure quand
bien luy plaist, leur appresta ung jour trèsdesiré,
ou quel le doloreux mary, plus jaloux
que nul homme vivant, contrainct fut d'abandonner
le mesnaige et aller aux affaires qui
tant luy touchoient, que sans y estre en personne
il perdoit une grosse somme de deniers,
et par sa presence il la povoit conquerir, ce
qu'il fist; en laquelle gaignant, il conquist
bien meilleur butin, comme d'estre nommé
110coux, avec jaloux qu'il avoit nom auparavant;
car il ne fut pas si tost sailly de l'ostel, que le
gentilhomme, qui ne glatissoit après aultre
beste, vint pour se fourrer dedans, et, sans
faire long sejour, incontinent executa ce pour
quoy il venoit, et print de sa dame tout ce
que ung serviteur en ose ou peut demander,
si plaisantement et à si bon loisir qu'on ne
pourroit mieulx souhaitter. Et ne se donnèrent
garde que le mary les surprint; dont ne se
donnèrent nul mal temps, esperans la nuyt
parachever ce que le jour trèsjoieulx, et
pour eulx trop court, avoyent encommencé,
pensant à la verité que le dyable de mary ne
deust retourner jusques au lendemain au disner,
voire au plus tost. Mais aultrement alla,
car les deables le rapportèrent à l'ostel, ne
scay et aussi ne me chault de savoir comment
il sceut tant abreger ses besoingnes; assez
souffist dire qu'il revint le soir, dont la compaignie,
c'est assavoir des deux amans, fut
bien esbahie; et furent si surprins, car point
ne se doubtoient de ce dolent retourner, que
le pouvre gentilhomme n'eut aultre advis que
de se bouter ou retraict de la chambre, esperant
en saillir par quelque voye que sa dame
trouveroit avant que le chevalier y mist le pié;
dont il advint tout aultrement, car nostre
chevalier, qui pour ce jour avoit chevauché
xv ou xvj grosses lieues, estoit tant las qu'il
ne povoit les rains trayner; et voulut souper
en sa chambre où il s'estoit deshousé, et il
fist couvrir, sans aller en la sale. Pensez que le
111bon gentilhomme rendoit bien gorge du bon
temps qu'il avoit eu ce jour, car il mouroit de
faim, de froit et de paour. Et encores, pour
plus enrager et engreger son mal, une toux le
va prendre si grand et horrible que merveille,
et ne failloit guères que chacun coup qu'il
toussoit qu'il ne fust oy de la chambre où
estoit l'assemblée du chevallier, de la dame et
des aultres gens de léens. La dame, qui avoit
l'oeil et l'oreille tousjours à son amy, l'entreoyt
d'adventure, dont elle eut grand frayeur
au cueur, doubtant que son mary ne l'oyst
aussi. Si trouva manière, tantost après soupper,
de se bouter seulette en ce retraict, et
dist à son amy pour Dieu qu'il se gardast
d'ainsi tousser. «Helas! dit il, m'amye, je
n'en puis mais; Dieu scet comment je suis puny;
et, pour Dieu, pensez de moy tirer d'icy.—Si
feray je», dit elle. Et à tant se part, et
bon escuyer de recommencer sa chanson de
tousser, voire si trèshault qu'on l'eust bien
peu oyr de la chambre, si n'eussent esté les
devises que la dame faisoit mettre en termes.
Quand ce bon escuyer se vit ainsi assailly de
la toux, il ne sceut aultre remède, affin de
non estre oy, que de bouter sa teste ou pertuis
du retrait, où il fut bien encensé, Dieu le
scet, de la conficture de léens; mais encores
amoit il ce mieulx que d'estre oy. Pour abreger,
il fut long temps la teste en ce retraict,
crachant, mouchant et toussant, et sembloit
que jamais ne deust faire aultre chose. Neantmains,
après ce bon coup, sa toux le laissa,
112et se cuida tirer dehors; mais il n'estoit en sa
puissance de soy ravoir, tant parestoit avant
et fort bouté leens. Pensez qu'il estoit bien à
son aise. Bref il ne savoit trouver fasson d'en
saillir, quelque peine qu'il y mist. Il avoit tout
le col escorché et les oreilles detrenchées. En
la parfin, comme Dieu le voulut, il s'efforça
tant qu'il eracha l'ays percé du retrait, et le
rapporta à son col; mais en sa puissance
n'eust esté de l'en oster, et quoy qu'il luy fust
ennuyeux, si amoit il mieux estre ainsi que
comme il estoit par avant. Sa dame le vint
trouver en ce point, dont elle fut bien esbahie,
et ne luy sceut secourir, mais luy dist,
pour tous potages, qu'elle ne saroit trouver
fasson du monde de le traire de leens. «Est-ce
cela? dist il; hola, hola! par la mort bieu,
je suis assez armé pour en combatre ung aultre,
mais que j'aye une espée en ma main»,
dont il fut tantost saisy d'une trèsbonne. La
dame le voyant en tel point, quoy qu'elle eust
trèsgrand doubte, ne se pouvoit tenir de rire,
ne l'escuyer aussi. «Or çà, à Dieu me commend,
dist il lors, je m'en voys essayer comment
je passeray par céans; mais premier
brouillez moy le visage bien noir.» Si fist elle, et
le commenda à Dieu. Et bon compaignon, à tout
l'ays du retraict en son col, l'espée nue en sa
main, la face plus noire que charbon, commence
à saillir en la chambre, et de bonne adventure
le premier qu'il encontra ce fut le dolent mary,
qui eut de le veoir si grand paour, cuidant que
ce fust ung dyable, qu'il se laissa tumber du
113hault de luy à terre que à pou qu'il ne se rompit
le col, et fut longuement comme tout
paulmé. Sa femme, l'oyant en ce point, saillit
avant, monstrant plus de semblant d'effroy
qu'elle ne sentoit beaucop, et le print aux
braz, luy demandant qu'il avoit. A chef de
pièce qu'il fut revenu à luy, il dist à voix
casse bien piteuse: «Et n'avez vous veu ce
dyable que j'ay encontré?—Certes si ay, dit
elle; à peu que je n'en suis morte, de la grand
frayeur que j'ay eue à le veoir.—Et dont
peut il venir ceens, dit il, ne qui le nous a
envoyé? Je ne seray de cest an ne de l'autre
rasseuré, tant ay esté espoventé.—Par Dieu,
ne moy aussi, dist la devote dame; creez que
c'est signifiance d'aucune chose. Dieu nous
veille garder et defendre de toute male adventure!
Le cueur ne me gist pas bien de
ceste vision.» Alors tous ceulx de l'ostel dirent
chacun sa rastelée de ce dyable, cuidans
à la verité que la chose fust vraye. Mais la
bonne dame savoit bien la trainnée, qui fut
bien joyeuse de les veoir tous en ceste opinion;
et depuis continua avec le dyable dessus
dit le mestier que chacun fait volentiers,
au desceu du mary et de tous aultres, fors
d'une chambrière secretaire de leurs affaires.
En la bonne et doulce conté de saint
Pol, naguères, en ung gros village
assez prochain de la ville de saint
Pol, avoit ung bon simple laboureur
marié avec une femme belle et en grand
point, de laquelle le curé du dit village estoit
tant amoureux que l'on ne pourroit plus. Et
pour ce qu'il se sentoit si esprins du feu d'amours
et que difficile luy estoit de servir sa
dame sans estre sceu ou à tout le mains suspicionné,
se pensa qu'il ne povoit bonnement
parvenir à la joissance d'elle sans premier avoir
celle du mary, mesmement que necessaire luy
estoit ainsi faire. Cest advis descouvrit à sa
dame pour en avoir son oppinion, qui luy
conseilla souverainement estre propice et très
bonne pour mener à fin leurs amoureuses intencions.
Nostre curé donc, en ensuyvant le
conseil tant de sa dame comme le sien propre,
se fist par gracieux et subtilz moyens accoincte
de celuy dont il vouloit estre compaignon ou
lieutenant, et tant bien se conduisit avec le
bon homme qu'il ne buvoit ne mangoit quelque
jour, meismement quand aultre euvre
faisoit, que tousjours ne parlast de son bon
curé; chacun jour de la sepmaine le vouloit
115avoir à disner, ou à souper; bref riens n'estoit
bien fait à l'ostel du bon homme si le curé
n'estoit present. Et à ce moien, toutesfoiz qu'il
vouloit, il venoit à l'ostel et à telle heure que
bon luy sembloit. Mais quand les voisins de
ce simple laboureur, voyant par adventure ce
qu'il ne povoit veoir, obstant la credence et
faebleté qui luy avoient bandé et caché les
yeulx, luy dirent qu'il ne luy estoit honeste
d'avoir ainsi journellement le repaire du curé,
et que ce ne se povoit ainsi continuer sans le
grand deshonneur de sa femme, mesmement
que les aultres voisins et ses amis l'en notoient
et parloient en son absence. Quand le bon
homme se sentit ainsi aigrement reprins de
ses voisins, et qu'ilz luy blasmoient le repaire
de son curé en son hostel, force luy fut de
dire au curé qu'il se deportast de hanter en sa
maison; et de fait, luy defendit par motz exprès
et menasses que jamais ne s'i trouvast
s'il ne luy mandoit, affermant par grands sermens
que s'il l'y trouvoit, il compteroit avecques
luy et le feroit receveur oultre son plaisir,
et sans luy en savoir gré. La defense despleut
au curé plus que ne vous saroie dire; mais
nonobstant qu'elle fust aigre, pourtant ne furent
les amourettes rompues, car elles estoient
si parfond enracinées ès cueurs des autres deux
parties par les exploiz qui s'en estoient ensuyz,
que impossible estoit les desrompre
ne desjoindre, quelque menace qui sourdre
prist. Or, oez comment nostre curé se gouverna
après que la defence luy fut faicte.
116Par l'ordonnance de sa dame, il print règle et
coustume de la venir visiter toutes les foiz
qu'il sentoit le mary estre absent. Mais assez
lourdement s'i conduisit, car il ne sceut faire
sa visitacion sans le sceu des voisins qui
avoient esté cause que la defense avoit esté
faicte, ausquelx le fait autant desplaisoit que
s'il leur eust touché singulièrement. Le bon
homme fut de rechef adverty par eulx, qui luy
dirent que le curé avoit prins accoustumance
d'aller estaindre le feu en son hostel comme
paravant la defense. Nostre simple mary,
oyant ces nouvelles, fut bien esbahy et encores
plus courroucé la moitié, lequel, pour y
trouver expedient et convenable remède, pensa
tel moyen que je vous diray. Il dist à sa femme,
sans monstrer aultre semblant que tel qu'il
avoit accoustumé, qu'il vouloit aller, ung jour tel
qu'il nomma, mener à saint Omer une charrettée
de blé, et que pour mieulx besoigner,
il y vouloit mesmes aler. Quand le jour nommé
qu'il vouloit partir fut venu, il fist, ainsi
qu'on a de coustume en Picardie, et specialement
entour saint Omer, charger son chariot
de blé à mynuyt, et à celle mesme heure
voulut partir, et quand tout fut appareillé et
prest, print congé à sa femme, et vuida avecques
son chariot. Et si tost qu'il fut hors de
sa porte, elle la ferma et tous les huys de sa
maison. Or vous devez entendre que nostre
marchant de blé fist son saint Omer de l'ostel
d'un de ses amys qui demouroit au bout de
la ville, où il alla arriver, et mist son chariot
117en la cour du dit amy, qui savoit toute la
traynnée, et lequel il envoya pour faire le
guet et escouter à l'entour de sa maison pour
veoir si quelque larron y viendroit. Ce bon
voisin et amy, quand il fut à l'endroit où il
devoit asseoir son guet, il se tapit au coing
d'une forte haye espesse, duquel lieu luy apparoient
toutes les entrées de la maison au
dit marchant, dont il estoit serviteur et grand
amy en ceste partie. Guères n'eut escouté que
veezcy maistre curé qui vient pour alumer sa
chandelle, ou pour mieulx dire pour l'estaindre,
et tout coyement et doulcement hurte à
l'huys de la court; lequel fut tantost oy de
celle qui n'avoit pas talent de dormir en celle
attente: c'estoit sa dame, laquelle sortit habilement
en chemise, et vint mettre ens son
confesseur, et puis ferme l'huys, le menant au
lieu où son mary deust avoir esté. Or revenons
à nostre guet, qui, quand il parceut tout
ce qui fut fait, se leva de son guet, et s'en
alla sonner sa trompette et declara tout au
bon mary. Sur quoy incontinent conseil fut
prins et ordonné en ceste manière: le marchand
de blé faindit retourner de son voyaige
avecques son chariot de blé, pour certaines
adventures qu'il doubtoit luy advenir ou estre
advenues; si vint hurter à sa porte et hucher
sa femme, qui se trouva bien esbahie quand
elle oyt sa voix; et tant ne le fut qu'elle ne
print bien le loisir de mucer son amoureux
le curé en ung casier qui estoit en la chambre.
Et pour vous donner à entendre quelle chose
118c'est ung casier, c'est ung garde-mangier en
la façon d'une huche, long et estroict par raison
et assez profund. Après que le curé fut
mussé où l'on musse les œufz, le beurre, le
fourmage et aultres telles vitailles, la vaillante
mesnagière, comme moitié dormant, moitié
veillant, se presenta devant son mary, et luy
dist: «Helas! mon bon mary, quelle adventure
pouvez vous avoir, que si hastivement retournez?
certainement il y a aucune chose et
meschef qui ne vous laisse faire vostre voyage?
Helas! pour Dieu, dictes le moy tost.» Le bon
homme, qui ne povoit plus s'il n'enrageoit,
combien que semblant ne fist, voulut aller
en sa chambre, et illec dire les causes de son
hastif retour. Quand il fut où il cuidoit trouver
son curé, c'est assavoir en sa chambre,
commença à compter les raisons de la rompture
de son voyaige. Premier dit que pour la
suspicion qu'il avoit de la desloyaulté d'elle,
craindoit trèsfort estre du reng de bleuz vestuz,
qu'on appelle communement noz amis,
et que au moien de ceste suspicion estoit il
ainsi tost retourné. Item, que ceste suspicion
avoit si trèsfort frappé et hurté à son ymaginacion,
que, quand il s'estoit trouvé hors de sa
maison, aultre chose ne luy venoit au devant,
que le curé estoit son lieutenant tantdiz qu'il
alloit marchander. Item, pour experimenter
son ymaginacion, dit qu'il estoit ainsi retourné,
et à celle heure voulut avoir la chandelle et
regarder si sa femme osoit bien couscher sans
compaignie en son absence. Quand il eut
119achevé les causes de son retour, la bonne
dame s'escrya, disant: «Ha! mon bon mary,
dont vous vient maintenant ceste vaine jalousie?
Avez vous perceu en moy aultre chose
qu'on ne doit veoir ne juger d'une bonne,
loyale et preude femme? Helas! que maudicte
soit l'heure qu'oncques je vous cogneu,
et que l'alyance fut de moy avec vous, pour
ainsi à tort estre suspicionnée de ce que mon
cueur ne sceut oncques penser. Ha! vous me
cognoissez encores mal, et ne savez combien
net et entier mon cueur veult estre et demourer.»
Le bon marchant eust peu estre contraint
de croire ses bourdes, s'il n'eust rompu sa
parolle; si dist qu'il vouloit averer son ymaginacion.
Incontinent, et sans plus la laisser
sermonner, vint sercher et visiter les angletz
de sa chambre à tous lez au mieulx qu'il luy
fut possible; esquelx lieux, quand il les eut
visitez et qu'il n'y trouvoit point ce qu'il queroit,
il se donna garde du casier, et jugea
qu'il convenoit que son compaignon y fust, et
sans en monstrer semblant, hucha sa femme
et luy dist: «M'amye, combien que sans
cause et à grand tort je vous suspicionne
d'estre vers moy desloyale, et que telle ne
soiez que ma faulse ymaginacion m'apporte,
toutesfoiz je suis si ahurté et enclin à croire et
m'arrester en mon opinion, que impossible
m'est d'estre jamais plaisamment avecques
vous. Et pour ce je vous prie que soiez contente
que la divorce et separacion soit faicte
de nous deux, et que amoureusement partissons
120noz biens communs par egale porcion.»
La gouge, qui desiroit assez ce marché, affin
que plus aiséement se trouvast avec son curé,
accorda sans guères dissimuler à la requeste
de son mary, par telle condicion toutesfoiz
qu'elle faisant la part des meubles, elle commenceroit
et feroit le premier choix. «Et
pour quelle raison, dit le mary, voulez vous
choisir la première? c'est contre tout droit et
justice.» Ilz furent longtemps en different pour
choisir premier; mais en la fin le mary vaincquit,
qui print le premier et print le casier, où
il n'y avoit que flans, tartes et fourmages, et
aultres menues vitailles, entre lesquelx nostre
curé estoit ensevely, et lequel oyoit ces bons
devis qui à sa cause se faisoient. Quand le
mary eut choisy le casier, la dame choisit la
chaudière, puis le mary ung aultre meuble,
puis elle ung aultre, et ainsi consequemment
jusques ad ce que tout fut party et porcionné.
Après laquelle parchon faicte le bon mary dist:
«Je suis content que vous demourez en ma
maison jusques ad ce que aurez trouvé logis
pour vous; mais de ceste heure je veil emporter
ma part, et la mectre à l'ostel d'un de
mes voisins.—Faictes en, dist elle, vostre
bon plaisir.» Et il demanda une bonne longue
corde, et en lya et adouba son casier, puis
fist venir son charreton, à qui fist atteler son
casier d'un cheval, et luy chargea qu'il le
menast à l'ostel d'un tel son voisin. La bonne
dame, oyant ceste deliberacion, laissoit tout
convenir, car de donner conseil au contraire
121ne s'osoit avancer, doubtant que le casier ne
fust ouvert; ainsi abandonna tout à telle adventure
que advenir povoit. Le casier, ainsi
que dit est, fut attelé au cheval, et mené par
la rue, pour aller où le bon homme l'avoit
ordonné. Mais guères n'ala loing que le maistre
curé, à qui les œufz et le beurre crevoient
les yeulx, cria pour Dieu mercy. Le charreton,
oyant ceste voix piteuse resonnant de ce
casier, descendit tout esbahy, et hucha les
gens et son maistre, qui ouvrirent le casier, où
ilz trouvèrent le pouvre prisonnier, doré et
empapiné d'œufz, de fromaige, de laict et
aultres choses plus de cent. Ce pouvre amoureux
estoit tant piteusement appoincté qu'on
ne savoit du quel il avoit le plus. Et quand le
bon mary le vit en ce point, il ne se peut
tenir de rire, combien que courroussé deust
estre. Si le laissa courre, et vint à sa femme
monstrer comment il n'avoit eu trop grand
tort d'estre suspicionneux de sa faulse desloyauté.
Elle, qui se vit par exemple vaincue,
cria mercy, et il luy fut pardonné par telle
condicion que si jamais le cas luy advenoit,
elle fust mieulx advisée de mettre son homme
aultre part que ou casier, car le curé en avoit
eu sa robe en peril d'estre à tousjours gastée.
Et après ce, ilz demourèrent ensemble long
temps, et rapporta l'omme son casier, et ne
sçay point que son curé s'i trouvast depuis, lequel,
au moien de ceste adventure, fut, comme
encores est, appellé sire Baudin casier.
Ainsi que naguères monseigneur le seneschal
de Boulennois chevauchoit
parmy le pays d'une ville à l'aultre,
en passant par ung hamelet
l'on y sonnoit au sacrement, et pource
qu'il avoit doubté de non povoir venir à la
vile où il contendoit en temps pour oyr
messe, car l'heure estoit près de midy, il s'advisa
qu'il descendroit audit hamelet pour veoir
Dieu en passant. Il descendit à l'huis de l'eglise,
et puis s'en alla rendre assez près de
l'aultier où l'on chantoit la grand messe, et si
prochain se mist du prestre qui celebroit, qu'il
le povoit en celebrant de costé percevoir.
Quand il eut levé Dieu et calice, et fait ainsi
comme il appartient, pensant à part luy, après
qu'il eut veu monseigneur le seneschal estre
derrière luy, et non sachant si à bonne heure
estoit venu pour veoir Dieu lever; ayant toutesfoiz
opinion qu'il estoit venu tard, il appella
son clerc et luy fist alumer arrière la
torche, puis en gardant les cerimonies qu'il
fault faire et garder, leva encores une foiz
Dieu, disant que c'estoit pour monseigneur le
seneschal. Et puis ce fait, proceda oultre jusques
ad ce qu'il fust parvenu à son agnus Dei;
123lequel quant il l'eut dit trois foiz, et que son
clerc luy bailla la paix pour baiser, la refusa,
et, en rabrouant trèsbien son clerc, disant
qu'il ne savoit ne bien ne honneur, la fist bailler
à monseigneur le seneschal, qui la refusa
de tous poins deux ou trois foiz. Et quand le
prestre vit que monseigneur le seneschal ne
vouloit prendre la paix devant luy, il laissa
Dieu qu'il tenoit en ses mains, et print la paix
et la porta à monseigneur le seneschal, et luy
dist que s'il ne la prenoit devant luy il ne la
prendroit jà luy mesmes: «Ce n'est raison,
dist le prestre, que j'aye la paix devant vous.»
Adonc, monseigneur le seneschal, voyant
que sagesse n'avoit illec lieu, s'accorda au
curé et print la paix, puis le curé après; et ce
fait, s'en retourna parfaire sa messe de ce qui
restoit à parfaire.
Au temps de la guerre des deux partiz,
les ungs nommez Bourgoignons,
les aultres Ermignacz, advint à
Troyes, en Champaigne, une assez
gracieuse adventure, qui trèsbien vault la racompter
et mectre en compte, qui fut telle.
Ceulx de Troies, pour lors que par avant ilz
eussent esté Bourgoignons, s'estoient tournez
124Ermignacz, et entre eulx avoit conversé ung
compaignon à demy fol, non pas qu'il eust
perdue l'entière cognoissance de raison, mais
à la verité il tenoit plus du costé de dame
folie que de raison, quoy que aucunesfoiz il
executast, et de la main et de la bouche, pluseurs
besoingnes que plus sage de luy n'eust
sceu achever. Pour venir doncques au propos
encommencé, le galant sus dit estant en
garnison avec les Bourgoignons à sainte Manehot,
mist une journée en termes avec ses
compaignons, et dist que s'ilz le vouloient
croire, il leur bailleroit bonne doctrine pour
attrapper ung grand ost des loudiers de Troyes,
lesquelx, à la verité, il haioit mortellement,
et ilz ne l'amoient guères, mais le menassoient
tousjours de pendre s'ilz le povoient
tenir. Veezcy qu'il dist: «Je m'en yrai vers
Troyes et m'approucheray des fauxbourgs, et
feray semblant d'espier la ville, et de tenter
de ma lance les fossez, et si près de la ville
m'approucheray que je seray prins. Je suis
seur que si tost que le bon bailly me tiendra, il
me condemnera à pendre, et nul de la ville ne
s'i opposera pour moy, car ilz me hayent trestous.
Ainsi seray-je bien matin mené au gibet,
et vous serez embuschez au bosquet qui
est au plus près. Et tantost que vous orrez
venir moy et ma compaignie, vous sauldrez sur
l'assemblée, et en prendrez et tiendrez à vostre
volunté, et me delivrerez de leurs mains.»
Tous les compaignons de la garnison s'i accordèrent,
et dirent, puis qu'il osoit bien entreprendre
125ceste adventure, ilz luy aideroient à
la fournir. Et pour abreger, le gentil folastre
s'approucha de Troyes, comme il avoit devant
dit, et, comme il desiroit, fut prins, dont le
bruyt s'espandit tost parmy toute la ville; et
n'y eut celuy qui ne le condemnast à pendre;
mesme le bailly, si tost qu'il le vist, dist et
jura par ses bons dieux qu'il seroit pendu par
la gorge. «Hélas! monseigneur, disoit-il, je
vous requier mercy, je ne vous ay rien meffait.—Vous
mentez, ribauld, dist le bailly, vous
avez guydé les Bourgoignons en ceste marche,
et avez encusé les bon bourgois et marchans
de ceste ville; vous en aurez vostre payement,
car vous en serez au gibet pendu.—Ha! pour
Dieu, monseigneur, dit nostre bon compaignon,
puis qu'il fault que je meure, au moins
qu'il vous plaise que ce soit bien matin, et
que en la ville où j'ay eu tant de cognoissance
et d'accointance, je ne reçoyve trop
publicque punicion.—Bien, bien, dist le
bailly, on y pensera.» Le lendemain, dès le
point du jour, le bourreau avec sa charette
fut devant la prison, où il n'eust guères esté
que veezcy venir le bailly à cheval et ses
sergens et grand nombre de gens pour l'acompaigner,
et fut nostre homme mis, troussé
et lyé sur la charette, et, tenant sa musette,
dont il jouoit continuellement, on le maine
devers la Justice, où il fut plus acompaigné,
quoy qu'il fust matin, que beaucoup
d'aultres n'eussent esté, tant estoit hay en
la ville. Or devez vous savoir que les compaignons
126de la garnison de saincte Manehot
n'oblièrent pas de eulx embuscher au bois
auprès de la dicte Justice, dès la mynuyt, tant
pour sauver leur homme, quoy qu'il ne fust
pas des plus sages, tant aussi pour gaigner
prisonniers et aultres choses s'ilz povoient.
Eulz là doncques venuz et arrivez, disposèrent
de leur fait comme de guerre et ordonnèrent
une gaitte sur un arbre, qui leur devoit dire
quand ceulx de Troyes seroient à la Justice.
Celle gaitte ainsi mise et logée dist qu'elle
feroit bon devoir. Or sont venuz et descenduz
ceulx de la Justice devant le gibet, et le plus
abregement que faire se peut, le bailly commende
qu'on despesche nostre povre coquard,
qui estoit bien esbahy où ses compaignons
estoient, qu'ilz ne venoient ferir dedans ces
ribaulx Erminacz. Il n'estoit pas bien à son
aise, mais regardoit devant et derrière, et le
plus le boys; mais il n'oyoit ne veoit rien. Il
se confessa le plus longuement qu'il peut,
toutesfoiz il fut osté du prestre, et, pour abreger,
monte sur l'eschelle, et luy là venu fut
bien esbahy, Dieu le scet, et regarde et veye
tousjours vers ce bois; mais c'estoit pour
neant, car la gaitte ordonnée pour faire saillir
ceulx qui rescourre le devoient étoit sur cest
arbre endormye; si ne savoit que dire ne que
faire ce pouvre homme, sinon qu'il pensoit
estre à son derrain jour. Le bourreau, à chef
de pièce, fist ses preparacions pour luy bouter
la hart au col pour le despescher. Et quand il
vit ce, il s'advisa d'un tour qui luy fut bien
127proufitable, et dist: «Monseigneur le bailly,
je vous prie pour Dieu que avant que on
mette plus avant la main en moy, que je puisse
jouer une chanson de ma musette, et je ne
vous demande plus; je suis après content de
morir, et vous pardonne ma mort et à tout le
monde.» Ceste requeste luy fut passée, et sa
musette luy fut en hault portée. Et quand il la
tint, le plus à loysir qu'il peut, il la commence
à sonner, et joua une chanson que les compaignons
de l'embusche dessus dicte cognoissoient
trèsbien, et y avoit: «Tu demeures trop,
Robinet, tu demeures trop.» Et au son de la
musette la gaitte s'esveilla, et de paour qu'elle
eut se laissa cheoir du hault en bas de l'arbre
où elle estoit, et dist: «On pend nostre
homme! Avant, avant, hastez vous tost.» Et
les compaignons estoient tous prestz; et au
son d'une trompette saillirent du bois, et se
vindrent fourrer sur le bailly et sur tout le
mesnage qui devant le gibet estoit. Et à cest
effroy, le bourreau fut tant esperdu et esbahy
qu'il ne savoit et n'eut oncques l'advis de luy
bouter la hart au col, et le bouter jus, mais
luy pria qu'il luy sauvast la vie, ce qu'il eust
fait trèsvoluntiers; mais il ne fut pas en sa
puissance; trop bien fist il aultre chose et meilleur,
car luy, qui sur l'eschelle estoit, cryoit
à ses compaignons: «Prenez chula cà, prenez
cestuy; ung tel est riche, ung tel est mauvais
garnement.» Bref, les Bourgoignons tuèrent un
grand tas en venue de ceulx de Troyes, et
prindrent des prisonniers ung grand nombre,
128et sauvèrent leur homme en la façon que vous
oés, qui bien leur dist que jour de sa vie n'eut
si belles affres qu'il avoit à ceste heure eu.
L'on m'a pluseurs foiz dit et compté
par gens dignes de foy ung bien gracieux
cas dont je fourniray une petite
nouvelle, sans y descroistre ne
adjouster aultre chose que servant au propos.
Entre les aultres chevaliers de Bourgoigne
ung en y avoit naguères, lequel, contre la
coustume et usage du pais, tenoit à pain et
à pot une donzelle belle et gente, en son
chasteau que point ne veil nommer. Son chapellain,
qui estoit jeune et frez, voyant ceste
belle fille, n'estoit pas si constant que ne fust
par elle souvent tenté, et en devint trop bien
amoureux. Et quand il vit mieulx son point,
compta sa rastelée à madamoiselle, qui estoit
plus fine que moustarde; car la mercy Dieu
elle avoit rendy et couru pais tant que du
monde ne savoit que trop. Elle pensoit bien
en soy mesmes que si elle accordoit au prestre
sa requeste, son maistre, qui veoit cler,
quelque moien qu'elle trouvast, s'en donneroit
bien garde, et ainsi perdroit le plus pour
129le mains. Si delibera de descouvrir l'embusche
à son maistre, qui n'en fist que rire, car
assez s'en doubtoit, attendu les regards, devises
et esbatemens qu'il avoit veu entre eulx
deux; ordonna neantmains à sa gouge qu'elle
entretenist le prestre, voire sans faire la courtoisie,
et si fist elle si bien que nostre sire en
avoit tout au long du braz. Et nostre bon
chevalier souvent luy disoit: «Par dieu! par
dieu! nostre sire, vous estes trop privé de
ma chambrière; je ne sçay qu'il y a entre vous
deux, mais si je savoye que vous y pourchassissiez
rien à mon desavantage, nostre Dame!
je vous punyroie bien.—En verité, monseigneur,
respondit maistre domine, je n'y calenge
ne demande rien; je me devise à elle,
et passe temps, comme les aultres de ceans;
jour de ma vie ne luy requis d'amours ne
d'aultre chose.—Pour tant le vous dy je,
dist le seigneur; si aultrement en estoit, je n'en
seroie pas content.» Si nostre domine avoit
bien poursuy au paravant de ces parolles, plus
aigrement et à toute force continua sa poursuite,
car où qu'il rencontrast la gouge, de tant
près la tenoit que contraincte estoit, voulsist
ou non, donner l'oreille à sa doulce requeste;
et elle duicte et faicte à l'esperon et à la lance,
endormoit nostre prestre et l'assommoit, et
en son amour tant fort le boutoit qu'il eust
pour elle ung Ogier combatu. Si tost que de
luy s'estoit sauvée, tout le plaidoyé d'entre
eulx deux estoit au maistre par elle racompté,
qui grand plaisir en avoit. Et pour faire la
130farse au vif, et bien tromper son chapellain,
il commenda à sa gouge qu'elle luy assignast
journée d'estre en la ruelle du lit où ilz couchoient,
et luy dist: «Si tost que monseigneur
sera endormy, je feray tout ce que vous
vouldrez; rendez vous donc en la ruelle tout
doulcement.» Et fault, dit il, que tu le laisses
faire, et moy aussi: je suis seur que quand
il cuidera que je dorme, qu'il ne demourra
guères à t'enferrer, et j'aray appresté à l'environ
de ton devant le las jolis où il sera
attrappé.» La gouge en fut contente, et
fist son rapport à nostre sire, qui jour de sa
vie ne fut plus joieux, et sans penser ne ymaginer
peril ne danger où il se boutoit, comme
en la chambre de son maistre, ou lit et à la
gouge de son maistre, toute raison estoit de
luy à cest cop arrière mise; seullement luy
chailloit d'accomplir sa folle volunté, combien
que naturelle et de pluseurs accoustumée.
Pour faire fin à long procès, maistre prestre
vint à l'heure assignée bien doulcement en la
ruelle, Dieu le scet; et sa maistresse luy dist
tout bas: «Ne sonnez mot; quand monseigneur
dormira, je vous toucheray de la main
et venez emprès moy.—En la bonne heure»,
ce dit il. Le bon chevalier, qui à ceste heure
ne dormoit mie, se tenoit à grand peine de
rire; toutesfoiz, pour faire la farse, il s'en garda,
et, comme il avoit proposé et dit, il tendit
son filé ou son las, lequel qu'on veult, tout à
l'endroit de la partie où maistre prestre avoit
plus grand desir de hurter. Or est tout prest,
131et nostre sire appellé, et au plus doulcement
qu'il peut entre dedans le lit, et sans guères
barguigner il monte dessus le tas pour veoir plus
loing. Si tost qu'il fut logé, bon chevalier tire
bien fort son las, et dit tout hault: «Ha! ribauld
prestre, estes vous tel?» Et bon prestre
de soy retirer. Mais il n'ala guères loing,
car l'instrument qu'il vouloit accorder au bedon
de la gouge estoit si bien du las encepé,
qu'il n'avoit garde de deslonger, dont si trèsesbahy
se trouva qu'il ne savoit sa contenance
ne que advenu il luy estoit. Et de plus fort
en plus fort tiroit son maistre le las, qui grand
douleur luy eust esté, si paour et esbahissement
ne luy eussent tollu tout sentement. A
chef de pièce il revint à luy, et sentit trèsbien
ces douleurs, et bien piteusement pria mercy
à son maistre, qui tant grand faim avoit de rire
que à peine il savoit parler. Si luy dist il
neantmains après qu'il eust trèsbien aval la
chambre parbondy: «Allez vous en, nostre
sire, et ne vous advienne plus; ceste
foiz vous sera pardonnée, mais la seconde
seroit irremissible.—Hélas! monseigneur,
ce respond il, jamais ne m'aviendra; elle fut
cause de ce que j'ay fait.» A ce coup, il
s'en alla, et monseigneur se recoucha, qui
espoir acheva ce que l'autre encommença.
Mais sachez bien qu'oncques puis ne s'i trouva
le prestre au sceu du maistre. Bien peut estre
qu'en recompense de ses maulx la gouge en
eut depuis pitié, et, pour sa conscience acquitter,
luy presta son bedon, et tellement s'accordèrent
132que le maistre en valut pis tant en
biens comme en honneurs. Et du surplus je
me tais et à tant.
Ung gentilhomme des marches de
Flandres, ayant sa mère bien ancienne
et trèsfort debilitée de maladie,
plus languissant et vivant à
malaise que nulle aultre femme de son eage,
esperant d'elle mieulx valoir et amender, combien
que ès marches de France il feist sa residence,
la visitoit souvent; et à chacune foiz
que vers elle venoit, tousjours estoit tant de
mal oppressée, qu'on cuidast bien que l'ame
en deust partir. Et une foiz entre les aultres,
comme il l'estoit venu veoir, elle au partir luy
dist: «Adieu, mon filz, je suis seure et me
semble que jamais vous ne me verrez; car je
m'en vois morir.—Ha dya, ma mère, respondit
il, vous m'avez tant ceste leczon recordée
que j'en suis saoul et ennuyé; deux
ans, trois ans sont jà passés et expirez que
tousjours ainsi m'avez dit, mais vous n'en
avez rien fait; prenez bon jour, je vous en
prie, si n'y faillez point.» La bonne damoiselle,
oyant de son filz la response, quoyque
133malade et vieille fust, en soubriant luy dist
adieu. Or se passèrent puis ung an, deux
ans, tousjours en languissant. Ceste femme si
fut arrière de son filz visitée, et ung soir,
comme en son lit en l'ostel d'elle estoit couchée,
tant fort oppressée de mal qu'on cuidoit
bien qu'elle allast à Mortaigne, si fut ce bon
filz appelé de ceulx qui gardoient sa mère,
et luy dirent que bien à haste à sa mère venist,
car seurement elle s'en alloit. «Dictes
vous donc, dit il, qu'elle s'en va? Par ma foy,
je ne l'ose croire; tousjours dit elle ainsi, mais
rien n'en fait.—Nenny, nenny, dirent ses gardes,
c'est à bon escient; venez vous en, car on
voit bien qu'elle s'en va.—Je vous diray,
dist il: allez devant et je vous suyz; et dictes
bien à ma mère, puis qu'elle s'en veult
aller, que par Douay point ne s'en aille, car
le chemin est trop mauvais; à peu que davant
hier moy et mes chevaulx n'y demourasmes.»
Il se leva neantmains, et housse sa robe longue
et se mect en train pour aller veoir si sa
mère feroit la derrenière et finable grimace.
Luy là venu, la trouva fort malade et que passé
avoit une subite faulte qui la cuidoit bien
emporter; mais, Dieu mercy, elle avoit ung
petit mieulx. «N'est ce pas ce que je vous
dy? commence à dire ce bon filz; l'on dit
tousjours ceens, et si fait elle mesme, qu'elle
s'en va et qu'elle se meurt, et rien n'en fait.
Prengne bon terme, de pardieu, comme tant
de foiz luy ay dit, et si ne faille point. Je m'en
retourne dont je vien; et si vous advise pour
134toutesfoiz que vous ne m'appellez plus, s'elle
s'en devoit aller toute seulle, si ne lui feray
je pas à ceste heure compaignie.» Or appartient
que je vous compte la fin de mon emprinse.
Ceste damoiselle ainsi malade que dit est revint
de ceste extreme maladie, et comme auparavant
depuis vesquit en languissant l'espace
de trois ans, pendant lesquelx ce bon
filz une foiz d'adventure la vint veoir, et à ce
coup qu'elle rendit l'esperit. Mais le bon fut
quant on le vint querir pour estre au trespas
d'elle, qu'il vestoit une robe neuve, et n'y
vouloit aller. Message sur aultre venoit vers
luy, car sa bonne mère, qui tiroit à la fin, le
vouloit veoir et recommender aussi son ame.
Mais tousjours aux messagiers respondoit:
«Je sçay bien qu'elle n'a point de haste,
qu'elle attendra bien que ma robe soit mise à
point. En la parfin tant luy fut dit et remonstré
qu'il s'en alla devers sa mère, sa robe
neuve vestue sans les manches, lequel quand
en ce point fut d'elle regardé, luy demanda
où estoient les manches de sa robe, et il dist:
«Elles sont là dedens, qui n'attendent estre
parfaictes sinon que vous nous descombrez
la place.—Si seront donc tantost achevéez,
ce dist la bonne damoiselle: car je m'en vois
à Dieu, au quel humblement mon ame recommende,
et à toy, mon filz.» Et lors cy prins
cy mis, la croix entre ses braz bien serréement
reposant, rendit l'ame à Dieu, sans plus mot
dire; laquelle chose voyant son bon fils, commença
tant fort à plorer et soy desconforter
135que jamais ne fut veu le pareil, et n'estoit nul
qui conforter le sceust; tant fort mesmes le print
il au cueur que devant n'en tenoit compte par
semblant, que au bout de quinze jours de
dueil il mourut.
Au pais de Brabant, qui est bonne
marche et plaisante, fournye à droit
et bien garnye de belles filles, et
bien sages coustumièrement, et le
plus et des hommes on soult dire, et se trouve
assez veritable, que tant plus vivent et plus
sont sotz, naguères advint que ung gentilhomme
en ce point né et destené s'avolenta
d'aller voyager oultre mer en divers lieux,
comme en Cypre, en Rhodes, et ès marches
d'environ; et au derrenier fut en Hierusalem,
où il receut l'ordre de chevalerie. Pendant
lequel temps de son voyage, sa bonne femme
ne fut pas si oiseuse qu'elle ne presta son
quoniam à trois compaignons ses voisins, lesquelx,
comme à court plusieurs servent par
temps et termes, eurent leur audience. Et tout
premier ung gentil escuier frisque, frez et
friant en bon point, qui tant rembourra son
bas à son chier coust, tant en substance de
136son corps que en despence de pecune, car à
la verité elle tant bien le pluma qu'il n'y failloit
point renvoier, qu'il s'ennuya et retira,
et de tous poins l'abandonna. L'aultre après
vint, qui chevalier estoit et homme de grand
bruyt, qui bien joyeux fut d'avoir gaigné la
place, et besoigna au mieulx qu'il peut en la
façon comme dessus, moyennant de quibus,
que la gouge tant bien savoit avoir que nul
aultre ne l'en passoit. Et bref, se l'escuier qui
paravant avoit la place avoit esté rongé et
plumé, damp chevalier n'en eut pas mains.
Si tourne bride et print garin, et aux aultres la
queste abandonna. Pour faire bonne bouche,
la damoiselle d'un maistre prestre s'accointa,
et, quoy qu'il fust subtil et ingenieux et sur
argent bien fort luxurieux, si fut il rançonné
de robes, de vaisselles, et d'aultres bagues
largement. Or advint, Dieu mercy, que le
vaillant mary de ceste gouge fist savoir sa
venue, et comment en Hierusalem avoit esté
fait chevalier; si fist sa bonne femme l'ostel
apprester, tendre, parer, nectoyer et orner au
mieulx qu'il fut possible. Bref, tout estoit bien
net et plaisant, fors elle seulement, qui en
l'ostel estoit, car du pluc et butin qu'elle avoit
à la force de ses reins conquesté avoit acquis
vaisselle et tapisserie, linge et aultres meubles
en bonne quantité. A l'arriver que fist le
doulx mary, Dieu scet la joye et grand feste
qu'on luy fist, celle en especial qui mains en
tenoit de compte, c'est asavoir sa vaillant
femme. Je passe tous ses bienviengnans, et
137vien ad ce que monseigneur son mary, quoy
que coquard fust et estoit, se donna garde
de foison de meubles, courant aval son hostel,
qui avant son voyage n'estoit léens.
Vint aux coffres, aux buffetz, et en assez
d'aultres lieux, et trouve tout multiplié, dont
l'avertin luy monta en la teste, et de prinsault
devyna ce qui estoit; si s'en vint tost bien
eschaufé et trèsmal meu devers sa bonne
femme, et demanda dont sourdoient tant
de biens comme ceulx que j'ay dessus nommez.
«Saint Jehan, ce dist ma dame, monseigneur,
ce n'est pas mal demandé; vous
avez bien cause d'en tenir telle manière,
et il semble que vous soiés courroussé, qui
vous voit.—Je ne suis pas trop à mon
aise, dit il, car je ne vous laissay pas tant
d'argent à mon partir, et si n'en povez tant
avoir espergné que pour avoir acquis tant de
vaisselle, tant de tapisserie, et le surplus des
bagues que je trouve céens; il fault, et je
n'en doubte, car j'ay cause, que quelqu'ung
se soit de vous accointé qui nostre
mesnage ait ainsi renforcé?—Et pardieu,
monseigneur, respond la simple femme, vous
avez tort, qui pour bien faire me mettez sus
telle vilannie; je veil bien que vous le sachez
que je ne suis pas telle, mais meilleur en tous
endroiz que à vous n'appartient; et n'est-ce
pas bien raison qu'avec tout le mal que j'ay
eu d'amasser et espergner, pour accroistre et
embellir vostre hostel et le mien, j'en soye
reprochée, lesdengée et tencée? C'est bien
138loing de recognoistre ma peine comme ung
bon mary doit faire à sa bonne preude femme.
Telle l'avez-vous, meschant maleureux, dont
c'est dommage.» Ce procès, quoy qu'il fust plus
long, pour ung temps se cessa, et s'avisa
maistre mary, pour estre de l'estat de sa femme
asseuré, qu'il feroit tant avec son curé, qui son
trèsgrand amy estoit, que d'elle orroit la devote
confession, ce qu'il fist au moien du curé, qui
son fait conduisit; car ung bien matin, en la
bonne sepmaine que de son curé pour soy
confesser s'approucha, en une chapelle secrète
devant il l'envoya, et à son mary vint,
qu'il adouba de son habit, et pour estre son
lieutenant l'envoya devers sa femme. Si nostre
mary fut joyeux, il ne le fault jà demander.
Quand en ce point il se trouva, il vint en la
chappelle, et ou siége du prestre sans mot dire
entra; et sa femme d'approcher, qui à genoux
se mist devant ses piez, cuidant pour vray
estre son curé, et sans tarder commença sa
confession et dist Benedicite. Et nostre sire son
mary respondit Dominus, et au mieulx qu'il
sceut, comme le curé l'avoit aprins, assovit
de dire ce qui affiert. Après que la bonne
femme eut dit la confession generale, descendit
au particulier, et vint parler comment,
durant le temps que son mary avoit esté dehors,
ung escuier avoit esté son lieutenant,
dont elle avoit en or, en argent et en bagues
beaucop amendé. Et Dieu scet que en oyant
ceste confession, le mary estoit bien à son
aise; s'il eust osé, voluntiers l'eust tuée à
139ceste heure; toutesfoiz, affin d'oyr encores le
surplus, s'il y est, aura il pacience. Quand elle
eut dit tout au long de cest escuier, du chevalier
s'est accusée, qui comme l'autre l'avoit
bien baguée. Et bon mary, qui de dueil se
crève et fend, ne scet que faire de soy descouvrir
et bailler l'absolution sans plus attendre;
il n'en fist rien néantmains, et print
loysir et pacience d'escouter ce qu'il orra.
Après le tour du chevalier, le prestre vint en
jeu, dont elle s'accusa bien humblement;
mais, par nostre dame, à cest coup, bon mary
perdit pacience et n'en peut plus oyr, si jecta
jus chape et surplis, et se monstrant, luy dist:
«Faulse et desloyale, or voiz je et cognois
bien vostre grand trahison! et ne vous suffisoit-il
de l'escuier et puis du chevalier, sans
à ung prestre vous donner, qui par Dieu plus
me desplaist et courrousse que tout ce que fait
avez.» Vous devez savoir que de prinsault
ceste vaillant femme fut esbahie et soupprinse;
mais le loysir qu'elle eut de respondre si trèsbien
l'asseura et sa contenance de manière si
bien ordonna, que, à l'oyr, sa response estoit
plus asseurée que la plus juste de ce monde;
faisoit à Dieu son oroison; si respondit à chef
de pièce comme le saint esperit l'inspira, et
dist bien froidement: «Pouvre coquard, qui
ainsi vous tourmentez, savez-vous bien au
mains pour quoy? Or, oyez-moy, s'il vous
plaist; et pensez-vous que je ne sceusse trèsbien
que c'estiez vous à qui me confessoie?
Si vous ay servy comme le cas le requiert, et
140sans mentir de mot vous ay confessé tout mon
cas; véezcy comment: De l'escuier me suis
accusée, et c'estes vous, mon doulx amy;
quand vous m'eustes en mariage, vous estiez
escuier, et lors feistes de moy ce qu'il vous
pleut, et me fournistes, vous le savez, Dieu
scet comment. Le chevalier aussi dont j'ay
touché et m'en suis encoulpit, par ma foy,
vous estes celuy, car à vostre retour vous
m'avez fait dame. Et vous estes aussi le prestre,
car nul, si prestre n'est, ne peut oyr confession.—Par
ma foy, m'amye, dist lors le
chevalier, or m'avez vous vaincu et bien
monstré que sage et trèsbonne vous estes, et
que sans cause et à tort et trèsmal adverty
vous ay chargée et dit du mal assez, dont il
me desplaist, et m'en repens, et vous en crye
mercy, vous promettant de l'amender à vostre
dit.—Legièrement il vous est pardonné, ce
dit la vaillant femme, puis que le cas vous
cognoissez.» Ainsi qu'avez oy fut le bon chevalier
deceu par le subtil et percevant engin
de sa desloyalle femme.
Au bon pays de Bourbonnoys, où voluntiers
les bonnes besoignes se font,
avoit l'aultre hier ung medicin, Dieu
scet quel; oncques Ypocras ne Gallien
ne practicquèrent ainsi la science comme il
faisoit: car en lieu de cyrops, de buvraiges,
de doses, d'electuaires et de cent mille aultres
besoignes que medicins solent ordonner tant
à conserver la santé de l'homme que pour la
recouvrer s'elle est perdue, il ne usoit seullement
que d'une manière de faire, c'est assavoir,
de bailler clistères. Quelque maladie
qu'on luy apportast ou denunçast, tousjours
faisoit bailler clistères, et toutesfoiz si bien
luy venoit en ses besoignes et affères que chacun
estoit content de luy, et garisoit chacun,
dont son bruyt creut et augmenta qu'on l'appeloit
par tout, tant ès maisons des princes et
seigneurs comme en grosses abbayes et bonnes
villes. Et ne fut oncques Aristote ne Gallien
ainsi autorisé, par especial du commun
peuple, que ce bon maistre dessus dit. Et
tant monta sa renommée que pour toute chose
l'on demandoit son conseil; et estoit tant entonné
incessamment qu'il ne savoit au quel
142entendre. Se une femme avoit rude mary, fel
et mauvais, elle venoit au remède à ce bon
maistre. Bref, de tout ce dont on peust demander
conseil d'homme, nostre bon maistre
avoit la huée. Advint ung jour que ung bon
simple homme champestre avoit perdu son
asne; et après la longue queste d'icelluy,
s'advisa de tirer vers ce maistre qui si trèssage
estoit; et à la coup de sa venue il estoit
tant avironné de peuple qu'il ne savoit au quel
entendre. Ce bon homme néantmains rompit
la presse, et, quoy que le maistre parlast et respondist
à pluseurs, luy compta son cas, c'est
asavoir de son asne qu'il avoit perdu, priant
pour Dieu qu'il luy voulsist radressier et bailler
chose dont il le peust recouvrer. Ce maistre,
qui plus aux aultres que à luy entendoit,
quand le bruyt et son de son langage, dont rien
il n'avoit entendu, fut finy, se vira devers luy,
cuidant qu'il eust aucune enfermeté; et affin
d'en estre despesché, dist à ses gens: «Baillez
luy clistère.» Et ce dit, devers les aultres
se tourna. Et le bon simple homme qui
l'asne avoit perdu, non sachant que le maistre
avoit dit, fut prins des gens du maistre,
qui tantost, comme il leur estoit chargé, luy
baillèrent ung clistère, dont il fut bien esbahy,
car il ne savoit que c'estoit. Quand il eut
ce clistère, dès qu'il fut dedans son ventre,
il picque et s'en va, sans plus demander de
son asne, cuidant certainement par ce le retrouver.
Il n'eut guères esté avant que le
ventre luy brouilla et grouilla tellement qu'il
143fut contraint de soy bouter en une vieille masure
inhabitable, pour faire ouverture au clistère,
qui demandoit la clef des champs. Et au
partir qu'il fist, il mena si grant bruyt que
l'asne du pouvre homme, qui passoit assez
près, comme esgaré et venu d'adventure,
commence à racaner et cryer; et bon homme
de s'avancer et lever sus et chanter Te Deum,
et venir à son asne, qu'il cuidoit avoir recouvert
ou trouvé par le clistère que luy fist bailler
le maistre, qui eut encores plus de renommée
sans comparaison que paravant. Car des
choses perdues on le tenoit vray enseigneur,
et de toute science aussi le trèsparfait docteur,
quoy que d'un seul clistère toute ceste renommée
venist. Ainsi avez oy comment l'asne fut
trouvé par ung clistère, qui est chose bien
apparente et qui souvent advient.
Es marches d'Alemaigne, comme pour
vray oy naguères compter à deux
gentilz seigneurs dignes de croire,
advint que une fille, de l'eage d'environ
de xv. à xvj. ans, fut donnée en mariage
144à ung bon gentil compaignon, qui tout devoir
faisoit de paier le deu que voluntiers demandent
femmes sans mot dire, quand en cest
eage et tel estat sont. Mais, quoy que le pouvre
homme feist bien la besoigne et s'efforsast
espoir plus souvent qu'il ne deust, si n'estoit
euvre qu'il fist agréablement receu, et ne faisoit
incessamment sa femme que rechigner, et
souvent ploroit bien tendrement comme si
tous ses amys fussent mors. Son mary, la
voyant ainsi lamenter, ne se savoit assez esbahir
quelle chose luy povoit falloir, et luy
demandoit doulcement: «Helas! m'amye,
et qu'avez vous? Et n'estes vous pas bien
vestue, bien logée, bien servye, et de tout ce
que gens de nostre estat pevent par raison
desirer bien convenablement partie?—Ce
n'est pas là qu'il me tient, respondit elle.—Et
qu'est ce donc? dictes le moy, ce dit il,
et si je y puis remède mettre, pensez que je
le feray pour y mettre et corps et biens.» Les
plus des foiz elle ne respondoit mot, mais
tousjours rechignoit et de plus en plus triste
chère et matte elle faisoit, que le mary ne
portoit pas bien paciemment, quand savoir
ne povoit la cause de ceste doléance. Tant en
enquist que partie il en sceut, car elle luy
dist qu'elle estoit trop desplaisante qu'il estoit
si petitement fourny de cela que vous savez,
c'est asavoir du baston de quoy on plante les
hommes, comme dit Bocace. «Voire! dist
il, et est ce cela dont tant vous dolez? Et
par mon serment, vous avez bien cause. Toutesfoiz
145il ne peut estre aultre, et fault que
vous en passez tel qu'il est, voire si vous ne
voulez aller au change.» Ceste vie se continua
ung grand temps, tant que le mary, voyant
l'extimacion d'elle, assembla ung jour à ung
disner ung grant tas des amys d'elle, et leur
remonstra le cas comme il est icy dessus touché,
et disoit qu'il luy sembloit qu'elle n'avoit
cause de se douloir de luy en ce cas, car il
cuidoit aussi bien estre party de l'instrument
naturel que voisin qu'il eust: «Et affin, dist
il, que j'en soye mieulx creu, et vous voiez
son tort evident, je vous monstreray tout.» Il
mist sa denrée avant sur la table, devant tous
et toutes, et dist: «Veezci de quoy.» Et sa
femme de plorer de plus belle: «Et par saint
Jehan, dirent sa mère, sa seur, sa tante, sa
cousine, sa voisine, m'amye, vous avez tort;
et que demandez vous? voulez vous plus demander?
et qui est celle qui ne devroit estre
contente d'ung mary ainsi estoffé? Ainsy m'ayde
Dieu, je me tiendroye bien eureuse d'en avoir
autant, voire beaucop mains; appaisez vous,
appaisez vous, et faictes bonne chère doresenavant.
Par dieu! vous estes la mieulx partie
de nous toutes, ce croy-je.» Et la jeune espousée,
oyant le collége des femmes ainsi parler,
leur dist, bien fort plorant: «Véezcy le petit
asnon de céans, qui n'a guères d'aage avec
demy an, et si a l'instrument grand et gros
de la longueur d'un bras.» Et en ce disant,
tenoit son braz destre par le coute, et si le
branloit trop bien. «Et mon mary, qui a bien
146xxiiij ans, n'en a que ce tant peu qu'il a monstré;
vous semble-t-il que j'en doyve estre
contente?» Chacun commença à rire, et elle
de plus plorer, tant que l'assemblée longuement
fut sans mot dire. Alors la mère print la
parolle, et à part dist à sa fille tant d'unes et
d'aultres que aucunement se contenta; mais
ce fut à grand peine. Véezcy la cause des filles
d'Alemaigne; si Dieu plaist, bien tost seront
ainsi en France.
Puis que les comptes et histoires des
asnes sont acevez, je vous feray en
bref et à la verité ung bien gracieux
compte d'un chevalier que la plus
part de vous, mes bons seigneurs, congnoissez
de pieçà. Il fut bien vray que le dit chevalier
s'adventura trèsfort, comme il est assez
de coustume aux jeunes gens, d'une trèsbelle,
gente et jeune dame, et du quartier du pays
où elle se tenoit la plus bruyant et la plus renommée.
Mais toutesfoiz, quelque pourchaz,
quelque semblant, quelque devoir qu'il sceust
faire pour obtenir sa grace, jamais il ne peut
parvenir d'estre serviteur retenu; dont il estoit
mains que bien content, attendu que tant
ardemment, tant loyallement et tant entierement
147l'amoyt que jamaiz femme ne le fut
mieulx. Et n'est pas à oblier que autant faisoit
pour elle qu'oncques serviteur fist pour sa
dame, comme de joustes, d'habillemens; et
néantmains, comme dit est, tousjours trouvoit
sa dame rude et mal tractable, et luy monstrant
mains de semblant d'amour que par raison
ne deust: car elle savoit, et de vray, que
loyallement et cherement de luy estoit bien
fort aymée. Et à dire la verité, elle luy estoit
trop dure, et fait assez à penser qu'il procedoit
de fierté, dont elle estoit plus que bon ne luy
fust, comme on disoit, remplye. Les choses
estans comme dit est, une aultre dame voisine
et amye de la dessus dicte, voyant la queste
du dit chevalier, fut tant esprise de son amour
que plus on ne pourroit, et, par trop bonne
fasson qui trop longue seroit à descripre, fist
tant que ce bon chevalier s'en apperceut;
dont il ne se meut que bien à point, tant fort
s'estoit donné à sa rebelle et rigoreuse maistresse.
Trop bien, comme gracieux qu'il estoit,
tout sagement entretenoit celle de luy esprinse,
affin que si à la cognoissance de l'autre fust
parvenu, cause n'eust eu d'en rien blasmer
son serviteur. Or escoutez quelle chose advint
de ces amours, et quelle en fut la conclusion.
Ce bon chevalier amoureux, qui pour la distance
du lieu ne povoit estre si souvent emprès
sa dame que son loyal cueur et trop
amoureux desiroit, s'advisa ung jour de prier
aucuns chevaliers et escuiers, ses bons amys,
qui toutesfois de son cas rien ne savoient, d'aller
148esbattre, voler et querir les lièvres en la
marche du pais où sa dame se tenoit, sachant
de vray par ses espies que le mary d'elle n'y
estoit point, mais estoit venu à court, où souvent
se tenoit, comme celluy de qui se fait ce
compte. Comme il fut proposé de ce chevalier
amoureux et de ses compaignons, se partirent
le lendemain, bien matin, de la bonne ville
où la court se tenoit, et, tout querans les lièvres
passèrent temps jusques à basse nonne,
sans boire ne sans menger. Et en grand haste
vindrent repaistre en ung petit village; et
après le disner, qui fut court et sec, montèrent
à cheval et de plus belles s'en vont querans
les lièvres. Et le bon chevalier, qui ne tiroit
qu'à une, menoit tousjours la brigade le plus
qu'il povoit arrière de la bonne ville, où ses
compaignons avoient grand vouloir de retirer,
et souvent luy disoient: «La vespre approuche,
il est heure de retirer à la ville; si nous
n'y advisons, nous serons enfermez dehors,
et nous fauldra gesir en ung meschant village
et tous morir de faim.—Vous n'avez
garde, disoit nostre amoureux, il est encore
heure assez; et au fort je sçay ung lieu en ce
quartier où l'on nous fera trèsbonne chère;
et pour vous dire, si à vous ne tient, les dames
nous festieront. Comme gens de court se
trouvent voluntiers avec les dames, ilz furent
contens de soy gouverner à l'appetit de celuy
qui les avoit mis en train, et passèrent le temps
querans les lièvres et les perdris tant que le
jour dura. Or vint l'heure de venir au logis,
149si dist le chevalier à ses compaignons: «Tirons,
tirons pais, je vous mainray bien.» Environ
une heure ou deux de nuyt, ce bon chevalier
et sa compaignie arrivèrent à la place
où se tenoit la dame dessus dicte, de qui tant
fort estoit feru la guide de la compaignie, qui
mainte nuyt en avoit laissé le dormir. On hurta
à la porte du chasteau, et varletz assez tost
vindrent avant, qui demandoient qu'on vouloit.
Et celuy à qui le fait touchoit print la
parolle et leur dist: «Messeigneurs, monseigneur
et madame sont ilz céans?—En
verité, respondit l'un pour tous, monseigneur
n'y est pas, mais madame y est.—Vous luy
direz, s'il vous plaist, que telz et telz chevaliers
et escuiers de la court, et moy ung tel,
venons d'esbatre et querre les lièvres en ceste
marche, et nous sommes esgarez jusques à ceste
heure, qui est trop tard de retourner à la ville.
Si luy prions qu'il luy plaise nous recevoir
pour ses hostes pour meshuy.—Voluntiers»,
dist il. Il vint faire ce message à sa maistresse,
laquelle cy prins cy mis fist faire la response
sans venir vers eulx, qui fut telle: «Monseigneur,
dit le varlet, madame vous fait savoir
que monseigneur son mary n'est pas icy, dont
il luy desplaist, car, s'il y fust, il vous feist
bonne chère; et en son absence elle n'oseroit
recevoir personne; si vous prie que luy pardonnez.»
Le chevalier meneur de l'assemblée,
pensez qu'il fut bien esbahy et trèshonteux
d'oyr ceste response, car il cuidoit bien veoir
à loisir sa maistresse et deviser tout son cueur
150saoul, dont il se treuve arrière et bien loing;
et encores beaucop luy grève d'avoir amené
ses compaignons en lieu où il s'estoit vanté
de les bien faire festoyer. Comme sachant et
gentil chevalier, il ne monstra pas ce que son
pouvre cueur portoit; si dist de plain visage à
ses compaignons: «Messeigneurs, pardonnez
moy que je vous ay fait paier la bée; je ne
cuidoie pas que les dames de ce pais fussent
si peu courtoises que de refuser ung giste aux
chevaliers errans; prenés en pacience. Je vous
promectz par ma foy de vous mener ailleurs,
ung peu ensus de céans, où l'on nous fera
toute aultre chère.—Or avant donc, dirent
les aultres, picquez avant: bonne adventure
nous doint Dieu.» Ilz se mettent au chemin; et
estoit l'intencion de leur guide de les mener
à l'hostel de la dame dont il estoit le cher tenu,
et dont mains de compte il tenoit que par raison
il ne deust; et conclud à ceste heure de
soy oster de tous poins de l'amour de celle
qui si lourdement avoit refusé la compaignie,
et dont si peu de bien luy estoit venu estant
en son service; et se delibera d'amer, servir et
obéir tant que possible luy seroit celle qui
tant de bien luy vouloit, et où, se Dieu plaist,
se trouvera tantost. Pour abreger, après la
grosse pluye que la compaignie eut plus d'une
grosse heure et demye sur le dos, ont arrivé
à l'hostel de la dame dont naguères parloye;
et hurta l'on de bon het à la porte, car il estoit
bien tard, environ neuf ou dix heures de nuyt,
et doubtoient fort qu'on ne fust couché. Varlez
151et meschines saillirent dehors, qui s'en vouloient
aller coucher, et demandent qu'est ce là? Et on
leur dist. Ilz vindrent à leur maistresse, qui
estoit jà en cotte simple, et avoit mis couvrechef
de nuyt; et luy dirent: «Madame, à la
porte est monseigneur de tel lieu, qui veult
entrer, et avec luy aucuns aultres chevaliers
et escuiers de la court, jusques au nombre de
trois.—Ilz soient les trèsbien venuz, dist
elle; avant, avant, vous telz et telz, allez
tuer chappons et poullailles, et ce que nous
avons de bon, et mectez en haste.» Bref, elle
disposa comme femme de bien et de grant
façon, comme elle estoit et encores est, tout
subit les besoignes comme vous orrez tantost.
Et print bien à haste sa robe de nuyt, et ainsi
attournée qu'elle estoit, le plus gentement
qu'elle peut vint au devant des seigneurs
dessusdis, deux torches devant elle et une
seulle femme avecques elle, trèsbelle fille;
les aultres mettoient les chambres à point. Elle
vint rencontrer ses hostes sur le pont du chasteau,
et le gentil chevalier qui tant estoit en
sa grace, comme des aultres la guide et le
meneur, se mist en front devant, et en faisant
les recognoissances, il la baisa, et puis après
tous les aultres la baisèrent pareillement. Alors,
comme femme bien enseignée, dist aux seigneurs
dessus ditz: «Messeigneurs, vous soiez
les trèsbien venuz; monseigneur tel, c'est
assavoir leur guide, je le cognois de pieçà,
il est, de sa grace, tout de céens; s'il luy plaist,
il fera mes accointances devers vous.» Pour
152abreger, accointances furent faictes, le soupper
assez tost appresté, et chacun d'eulx logié
en belle et bonne chambre bien garnye de
tapisserie et de toute aultre chose necessaire.
Si vous fault dire que tantdiz que le soupper
s'apprestoit, la dame et le bon chevalier se
devisèrent tant et si longuement, et se porta
conclusion entre eulx que pour la nuyt ilz ne
feroient que ung lit, car de bonne adventure
le mary n'estoit point léens, mais plus de quarante
lieues loing. Or est heure, tantdiz que
ce soupper s'appreste, que ces devises se font,
et que l'on souppe le plus joyeusement que
l'on pourroit. Après les adventures du jour,
que je vous dye de la dame qui son hostel refusa
à la brigade dessus dicte, mesmes à celuy
que bien savoit qui plus l'amoit que tout le
monde, et fut si mal courtoise qu'oncques
vers eulx ne se monstra. Elle demanda à ses
gens, quand ilz furent vers elle retournez de
faire leur message, quelle chose avoit respondu
le chevalier. L'un luy dist: «Madame,
il le fist bien court: trop bien dist il
qui menoit ses gens en ung lieu en sus d'icy
où l'on leur feroit tout recueil et meilleure
chère.» Elle pensa tantost ce qui estoit et
dist en soy mesmes: «Ha! il s'en est allé à
l'ostel d'une telle, qui, comme bien sçay, ne le
voit pas envis. Léens se tractera, je n'en
doubte point, quelque chose à mon prejudice.»
Et elle estant en ceste ymaginacion et
pensée, subitement le dur courage que tant
rigoreux avoit envers son serviteur porté
153fut tout changé et alteré, et en trèscordial
et bon vouloir transmué, dont envye pour
ceste heure fut cause et motif; conclusion
oncques ne fut tant rigoreuse que à ceste
heure trop plus ne soit doulce et desireuse
d'accorder à son serviteur tout ce qu'il vouldroit
requerir. Ainsi va la besoigne. Et doubtant
que la dame où la brigade estoit ne
joyst de celuy que tant avoit traicté durement,
escripvit unes lettres de sa main à son serviteur,
dont la plus part des lignes estoient de
son precieux sang escriptes, qui contenoit en
effect que, tantost ces lettres veues, toutes
aultres choses mises arrière, il venist vers
elle avecques le porteur tout seul, et il seroit
si agreablement receu que oncques serviteur
ne fut plus content de sa dame qu'il seroit.
Et, en signe de plus grand verité, mist dedans
la lettre ung dyamant que bien cognoissoit.
Ce porteur, qui estoit seur, print la lettre et
vint trouver au lieu dessus dit le chevalier
auprès de son hostesse au souper et toute
l'assemblée. Tantost après graces, le tira d'un
costé, et, en luy baillant la lettre, dist qu'il
ne feist semblant de rien, mais qu'il accomplist
le contenu. Ces lettres veues, le bon
chevalier fut bien esbahy et encores plus
joyeux; car combien qu'il eust conclu et deliberé
de soy retirer de l'amour et accointance
de celle qui luy escripvoit, si n'estoit il pas si
converty que la chose que plus il desiroit ne
luy fust par ceste lettre permise. Il tira son
hostesse à part, et luy dist comment son maistre
154le mandoit hastivement, et que force luy
estoit de partir tout à ceste heure, et monstroit
bien semblant que bien luy desplaisoit. Celle
qui estoit auparavant la plus joyeuse, attendant
ce que tant avoit desiré, devint triste et
ennuyeuse, à peu de monstre. Il monte à cheval
et laisse ses compaignons léens, et avec
le porteur des lettres vient et arrive tantost
après mynuyt à l'ostel de sa dame, de laquelle
le mary estoit naguères retourné de court et
s'apprestoit pour s'en aller coucher, dont
Dieu scet en quel point en estoit celle qui son
serviteur avoit mandé querir par ces lettres.
Ce bon chevalier, qui tout le jour avoit culetté
la selle, tant en la queste des lièvres comme
pour querir logis, sceut à la porte que le mary
de sa dame estoit arrivé, dont il fut aussi joyeux
que vous povez penser. Si demanda à sa guide
qu'il estoit de faire? Si advisèrent ensemble
qu'il feroit semblant de soy estre esgaré de ses
compaignons, et que de bonne adventure il
avoit trouvé ceste guide qui léens l'avoit
adressé. Comme il fut dit il fut fait, en la
male heure, et vint trouver monseigneur et
madame, et fist son personnage ainsi qu'il
sceut. Après boire une foiz, qui pou de bien
luy fist, on le mena en sa chambre pour coucher,
où guères ne dormit la nuyt, et lendemain
au matin avec son hoste à la court retourna
sans riens accomplir du contenu de la
lettre dessus dicte. Et vous dy que là ne à
l'aultre oncques puis ne retourna, car tost après
la court se partit du pais, et il suyvit le train,
155et tout fut mis en non challoir et oubly, comme
souvent advient.
Or escoutez, s'il vous plaist, qu'il
advint en nostre chastellenie de
Lisle, d'un bergier des champs et
d'une jeune pastorelle qui ensemble
ou assez près l'un de l'autre gardoient leurs
brebiz. Marché se porta entre eulx deux, une
foiz entre les aultres, à la semonce de nature,
qui desjà les avoit elevez en eage de cognoistre
que c'est de ce monde, que le bergier
monteroit sur la bergière pour veoir plus loing,
pourveu toutesfoiz qu'il ne l'embrocheroit neant
plus avant que le signe qu'elle mesme fist sur
son instrument naturel du bergier de sa main,
qui estoit environ deux doiz, la teste franche;
et estoit le signe fait d'une more noire qui
croist sur les hayes. Cela fait, ilz se mettent à
l'ouvrage de par Dieu, et bon bergier se fourre
dedens, comme s'il ne coutast rien, sans regarder
mercque, ne signe, ne promesse qu'il
eust faicte à sa bergière, car tout ce qu'il avoit
ensevelit jusques au manche; et si plus en
eust eu, il trouva lieu assez pour le loger. Et
la belle bergière, qui jamais ne fut à telles
nopces, tant aise se trouva que jamais ne
156voulsist faire aultre euvre. Les armes furent
achevées, et se tira tantost chacun vers ses
brebis, qui desjà s'estoient d'eulx fort esloignées,
à cause de leur absence. Tout fut rassemblé
et mis en bon train, et bon bergier,
pour passer temps comme il avoit de coustume,
se mist en contrepoix entre deux haloz
sur une balochouère, et là s'esbatoit et estoit
plus aise que ung roy. La bergière se mist à
faire ung chapelet de florettes sur la rive d'un
fossé assez loignet de la balochoère au bergier,
et regardoit tousjours, disant la chansonnette
jolye, pour veoir s'il reviendrait point
à la morse; mais c'estoit la maindre de ses
pensées. Et quand elle vit qu'il ne venoit point,
elle commence à hucher tant qu'elle peut:
«Hau! Hacquin! Hacquin!» Et il respond:
«Que veulx tu? que veulx tu?—Vien çà, vien
çà, dit elle, si feras.» Mais elle disoit tout
oultre; et Hacquin, qui en avoit son saoul,
luy respondit: «En nom Dieu, j'ay aussi cher
que je ne face neant que je face; je m'esbas
bien ainsi.» Et toute jour balochoit. Et dame
bergière rehuche de plus belle: «Vien çà,
Hacquin, je te laisseray tout bouter plus avant,
sans faire mercque n'enseigne, ainsi que tu
vouldras.—Saint Jehan! dit Hacquin, j'ay
passé le seing de la more, et bouté tout ens
jusques aux pennes; mais vous n'en arez plus
aussi maintenant.» Si se reprint Hacquin à
balocher, et laissa la bergière faire son chapellet,
à qui bien desplaisoit de ce qu'il la
laissoit oyseuse.
Comme il est de coustume par tous
païs que par les villes et villages
souvent s'espartent les religieux
mendians, tant de l'ordre des Jacobins,
Cordeliers, Carmes, et Augustins,
pour prescher les vices, les vertuz exaulser et
loer, advint que, à Libers, bonne petite ville
en la conté d'Artoys, arriva ung carme du
couvent d'Arras, par ung dimenche matin,
ayant intencion d'y prescher, comme il fist
bien et dévotement et haultement; car il estoit
bon clerc et très beau langagier. Tantdiz
que le curé disoit la grand messe, maistre
carme se pourmenoit, attendant que quelqu'ung
le feist chanter pour gaigner deux patars
ou trois gros; mais nul ne s'en avançoit.
Et ce voyant une ancienne damoiselle vefve,
à qui print pitié du pouvre religieux, luy fist
dire messe, et par son varlet bailler deux patars,
et encores prier de disner. Et maistre
moyne happa cest argent, promectant de venir
au disner, comme il fist tantost qu'il eut
presché et que la grand messe de la parroiche
fut finie. La damoiselle qui l'avoit fait chanter
et semondre au disner se partit de l'eglise,
elle et sa chambrière, et vindrent à l'ostel
158faire tout prest pour recevoir le prescheur, qui
en la conduicte d'un serviteur de la dicte damoiselle
vint arriver à l'ostel, où il fut receu
bien honnestement; et, après les mains lavées,
la damoiselle luy assigna sa place, et
elle se tint auprès de luy, et le varlet et la
chambrière se misrent à servir, et de prinsault
apportèrent la belle porée avecques beau lard,
et belles trippes de porc, et une langue de
beuf rostie. Dieu scet comment, tantost que
damp moyne vit la viande, il tire ung beau,
long et large cousteau, bien trenchant, qu'il
avoit à sa cincture, tout en disant Benedicite,
et puis se mect en besoigne à la porée. Tout
premièrement qu'il eut despeschée, et le lard
aussi, sy prins cy mis, de là il se tire à ces
trippes belles et grasses, et fiert dedans comme
ung loup dedans les brebis. Et avant que
la bonne damoiselle son hostesse eust à moitié
mengé sa porée, il n'y avoit ne trippe ne trippette
dedans le plat. Si se prend à ceste langue
de beuf, et de son coulteau bien trenchant
en deffist tant de pièces qu'il n'en demoura
oncques lopin. La bonne damoiselle, qui tout
ce sans mot dire regardoit, souvent regardoit
l'oeil sur son varlet et sa chambrière, et eulx,
en soubzriant tout doulcement, pareillement la
regardoient. Elle fist apporter une pièce de bon
beuf salé et une belle pièce de mouton de bon
endroit, et mettre sur la table. Et bon moine,
qui n'avoit appetit nesq'un chien, s'apiert à la
pièce de beuf, et s'il avoit eu peu de pitié des
trippes et de la langue de beuf, encores en
159eut il mains de mercy de ce beau beuf entrelardé.
Son hostesse, qui grand plaisir prenoit
à le veoir menger, trop plus que le varlet et
la meschine, qui entre leurs dens le maudisoient,
luy faisoit tousjours emplir sa tasse si
tost qu'elle estoit vuide. Et pensez qu'il descouvroit
bien viande, et point n'espargnoit le
boire. Il avoit si grand haste de fournir son
pourpoint qu'il ne disoit mot, si pou non.
Quand la pièce de beuf fut comme toute mengée
et despeschée, et plus part de celle de
mouton, de laquelle l'ostesse avoit ung tantinet
mengé, elle voyant que son hoste n'estoit
encores saoul, fist signe à sa chambrière
qu'elle apportast ung gros jambon cuict du
jour devant pour la garnison de l'ostel. La
chambrière, tout maudisant le prestre qui tant
gourmandoit, fist le commendement de sa
maistresse, et mist le jambon sur la table. Et
bon moyne, sans demander qui vive, frappe
sus et le navra et affola; car de prinsault il luy
trencha le jaret, et, ensuyvant le terminé propos,
de tous poins le desmembra, et n'y laissa
que les os. Qui adonc veist rire le varlet et la
meschine, il n'eust jamais eu les fièvres, car
il avoit desgarny tout l'ostel, et avoient grand
doubte qu'il ne les mangeast aussi. Pour abréger,
après tous les mets dessusdiz, la dame
fist mectre à la table ung très beau fromage
gras, et ung plat bien fourny de tartes, de
pommes, et de fromage, avecques la belle
pièce de beurre frez, dont on ne rapporta si
petit non. Le disner fut fait ainsi qu'avez oy,
160et vint à dire graces, que maistre prescheur
pronunça enflé comme ung ticquet, et en là
fin il dist à son hostesse: «Damoiselle, je
vous mercye de voz biens; vous m'avez tenu
bien aise, la vostre mercy. Je prie à celuy qui
repeut cinq mille hommes de pains d'orge et
de deux poissons, dont après qu'ilz furent
saoulez de menger, demoura de relief xij. corbeilles,
qu'il le vous veille rendre.—Saint
Jehan, dist la meschine, qui s'avança de parler,
sire, vous en povez bien tant dire; je croy
que, si vous eussez esté l'un de ceulx qui là
furent repeuz, qu'on n'en eust point rapporté
de relief, car vous eussez bien tout mangé, et
moy aussi se je y eusse esté.—Vrayement,
m'amye, dit le moyne, qui estoit ung garin
tout fait, je ne vous eusse point mengée,
mais je vous eusse bien embrochée et mise en
rost, ainsi que vous pensez qu'on fait.» La
dame commença à rire, et si firent le varlet et
la chambrière, malgré qu'ilz en eussent. Et
nostre moyne, qui avoit la panse farcye, mercya
de rechef son hostesse, qui si bien l'avoit
repeu, et s'en alla en quelque aultre village
gaigner son soupper; je ne sçay s'il fut tel que
le disner.
Tandiz que quelqu'ung s'avancera de
dire quelque bon compte, j'en feray
ung petit qui ne vous tiendra guères,
mais il est veritable et de nouvel
advenu. J'avoie ung mareschal qui bien et
longuement m'avoit servy de son mestier; il
luy print volunté de soy marier; si le fut, et à
la plus devoiée femme qui fust, comme on disoit,
en tout le païs. Et quand il cogneut que
par beau ne par lait il ne la povoit oster de sa
mauvaistié, il l'abandonna, et ne se tint plus
avec elle, mais la fuyoit comme tempeste;
car, s'il l'eust sceue en une place, jamais n'y
eust tiré, mais tousjours au contraire. Quand
elle vit qu'il la fuyoit ainsi, et qu'elle n'avoit à
qui tencer ne monstrer sa devoiée manière, elle
se mist en la queste de luy et partout le suyvoit,
Dieu scet disant quelx motz; et l'aultre
se taisoit et picquoit son chemin. Et elle tant
plus montoit sur son chevalet, et disoit de
maulx et de maledictions à son pouvre mary,
plus que ung deable ne saroit faire à une ame
damnée. Un jour entre les aultres, voyant que
son mary ne respondoit mot à chose qu'elle proposast,
le suyvant par la rue, devant tout le
monde cryoit tant qu'elle povoit: «Vien-çà,
162traistre! parle à moy; je suis à toy, je suis à
toy.» Et mon mareschal, qui estoit devant, disoit
à chacun mot qu'elle disoit: «J'en donne
ma part au deable, j'en donne ma part au
deable.» Et ainsi la mena tout du long de la
ville de Lille toujours cryant: «Je suis à
toy»; et l'autre respondoit: «J'en donne ma
part au deable.» Tantost après, comme Dieu
voulut, ceste bonne femme mourut, et l'on demandoit
à mon mareschal s'il estoit fort courroucié
de la mort de sa femme, et il disoit
que jamais si grand eur ne luy vint, et que
si Dieu luy eust donné ung souhait à choisir,
il eust demandé la mort de sa femme, «laquelle,
disoit il, estoit tant male et obstinée en
malice que, si je la savoye en paradis, je n'y
vouldroye jamais aller tant qu'elle y fust, car
impossible seroit que paix fust en nulle assemblée
où elle fust. Mais je suis seur qu'elle est
en enfer, car oncques choses creée n'approucha
plus à faire la manière des deables qu'elle faisoit.»
Et puis on luy disoit: «Et vrayement il
vous fault remarier et en querre une bonne,
paisible et preude femme.—Maryer! disoit
il; j'aymeroye mieulx me aller pendre au gibet
que jamais me rebouter ou dangier de trouver
enfer, que j'ay, la Dieu mercy, à ceste heure
passé.» Ainsi demoura et est encores; ne
sçay je qu'il fera.
Depuis cent ans en çà ou environ,
ès marches de France est advenu,
en une bonne paroisse, une joyeuse
adventure que je mettray ycy pour
croistre mon nombre, et pource qu'elle est
digne d'estre ou reng des aultres. En ladicte
bonne ville avoit ung maryé, de qui
la femme estoit belle, doulce et gracieuse,
et avec tout ce trèsamoureuse d'un seigneur
d'eglise, son propre curé et prochain voisin,
qui ne l'aimoit rien mains qu'elle luy; mais
de trouver la manière comment ilz se pourroient
conjoindre bien amoureusement ensemble
fut difficile, combien qu'en la fin fust trouvée,
et par l'engin de la dame, en la fasson
que je vous diray. Le bon mary orfèvre estoit,
tant allumé et ardent en convoitise qu'il
ne dormoit heure ne bon somme pour labourer.
Chacun jour se levoit une heure ou deux
devant jour, et laissoit sa femme prendre la
longue crastine jusques à viij. ou à ix. heures,
ou si longuement qu'il luy plaisoit. Ceste
bonne et entière amoureuse, voyant son mary
chacun jour continuer la diligence et entente
de soy lever pour ouvrer et marteler, s'advisa
qu'elle employroit avecques son curé le temps
164qu'elle estoit habandonnée de son mary, et que
à telle heure son dit amoureux la pourroit visiter
sans le sceu de son dit mary, car la maison
du curé tenoit à la sienne sans moyen. La
bonne manière fut descouverte et mise en termes
à nostre curé, qui la prisa trèsbien, et luy
sembla bien que trèsaisément le feroit et secretement.
Ainsi doncques que la façon fut trouvée
et mise en termes, tout ainsi fut elle executée,
et le plustost que les amans purent, et
la continuèrent par aucun temps qui dura assez
longuement. Mais comme fortune, envyeuse
peut estre de leur bien et doulx passetemps,
le vouloit, leur cas fut descouvert maleureusement
en la manière que vous orrez. Cest orfèvre
avoit ung serviteur, qui estoit amoureux
et jaloux trèsgrandement de sa dame; et pource
que trèssubtilement avoit perceu nostre maistre
curé parler à sa dame, il se doubtoit trèsfort
de ce qui estoit. Mais la manière comment
ce povoit faire, il ne le pouvoit ymaginer, si
n'estoit que le curé viensist à l'heure qu'il forgeoit
au plus fort avec son maistre. Ceste
ymaginacion lui hurta tant à la teste qu'il fist le
guet et se mist aux escoutes pour savoir la
verité de ce qu'il ignoroit. Il fist si bon guet
qu'il perceut et eut vraye experience du fait;
car, une matinée, il vit le curé venir tantost
après que l'orfèvre fut vuidé de sa chambre,
et y entrer, puis fermer l'huys. Quand il fut
bien asseur que sa suspicion estoit vraye, il
se descouvrit à son maistre, et luy dist en ceste
manière: «Mon maistre, je vous sers, de vostre
165grâce, non pas seulement pour gaigner vostre
argent, menger vostre pain, et faire bien et
loyalement vostre besoigne, mais aussi pour
garder vostre honneur et vostre dommage empescher;
et si aultrement faisoie, digne ne seroye
d'estre vostre serviteur. J'ay eu dès pieçà
suspicion que nostre curé vous feist desplaisir,
et le vous ay celé jusques ore que j'en ay eu
la vraye experience; et affin que vous ne cuidez
que je vous veille en vain tromper, je
vous prie que nous allions en vostre chambre,
et sçay que l'on l'y trouvera maintenant.
Quand le bon homme oyt ces nouvelles, il se
tint trèsbien de rire, et fut content de visiter
sa chambre en la compaignie de son varlet,
qui luy fist promectre qu'il ne tueroit point le
curé, car aultrement ne luy vouloit point tenir
compaignie, mais trop bien vouloit qu'il fust
bien puny. Ilz montèrent en la chambre, qui
fut tantost ouverte; et le mary entra le premier,
et vit que monseigneur le curé tenoit sa
femme entre ses braz et forgeoit ainsi qu'il
povoit; si s'escrya disant: «A mort, à mort,
ribauld! Qui vous a cy bouté?» Qui fut adoncques
bien esbahy, ce fut maistre curé, et demanda
mercy. «Ne sonnez mot, ribauld prestre,
ou je vous tueray maintenant.—Ha!
mon voisin, pour Dieu mercy, dit le curé,
faicte de moi vostre bon plaisir.—Par l'ame
de mon père, avant que vous m'eschappez,
je vous mettray en tel estat que jamais
n'arez volunté de marteler sur enclume
femenine. Sus, laissez vous manyer, si vous ne
166voulez morir.» Le pouvre maleureux se laissa
lyer par ses deux ennemis sur ung bancq, le
ventre dessus, et les deux jambes esraillées en
dehors du bancq. Si bien fut lyé qu'il ne povoit
rien mouvoir que la teste; puis fut porté ainsi
marescaucié en une petite maisonnette qui estoit
derrière l'ostel de l'orfèvre, et estoit la place
où il fondoit son argent. Quand il fut ou lieu
où l'on le vouloit avoir, l'orfèvre envoya querir
deux grands clouz à large teste, desquelx
il attacha au bancq les deux marteaulx qui
avoient en son absence forgé sur l'enclume de
sa femme, et puis le deslya de tous poins. Si
print après une poignée d'estrain, et en bouta
le feu en la maisonnette, et habandonna nostre
curé, et s'enfuyt en la rue crier au feu.
Quand le prestre se vit environné de feu, et
que remède n'y avoit qu'il ne luy faillist perdre
les genitoires ou estre brullé, se lève et s'encourt,
et laisse sa bourse cloée. L'effroy du
feu fut tantost elevé par toute la rue; si venoient
les voisins pour l'estaindre. Mais nostre
curé les faisoit retourner, disant qu'il en
venoit, et que tout le dommage qui en povoit
advenir estoit jà advenu, et que aider plus
n'y pouvoient; mais il ne leur disoit pas que
le dommage luy competoit. Ainsi fut le pouvre
amoureux curé salarié du service qu'il fist à
amours, par le moien de la faulse et traistresse
alousie du varlet, comme vous avez oy.
En la bonne ville de Rouen, puis peu
de temps en çà, ung jeune homme
print à mariage une tendre jeune
fille, aagée de xv ans ou environ.
Le jour de leur grand feste, c'est assavoir des
nopces, la mère de ceste fille, pour garder et
entretenir les cerimonies accoustumées en tel
jour, escolla et introduisit la dame des nopces,
et luy aprint comment elle se devoit gouverner
pour la première nuyt avec son mary. La
belle fille, à qui tardoit l'attente de la nuyt
dont elle recevoit la doctrine, mist grosse
peine et grand diligence de retenir la leczon
de sa bonne mère; et luy sembloit bien que
quand l'heure seroit venue où elle devroit
mettre à execution celle leczon, qu'elle en
feroit si bon devoir que son mary se loeroit
d'elle, et en seroit trèscontent. Les nopces
furent honorablement faictes en grand solennité,
et vint la desirée nuyt; et tantost après
la feste faillye, que les jeunes gens furent retraiz
et qu'ilz eurent prins congié du sire des
nopces et de sa dame, la bonne mère, les
cousines, voisines et aultres privées femmes
prindrent nostre dame des nopces et la menèrent
168en la chambre où elle devoit coucher
pour la nuyt avec son espousé, où elles la desarmèrent
de ses atours, joyaux, et la firent
coucher ainsi qu'il estoit de raison; puis luy
donnèrent bonne nuyt, l'une disant: «M'amye,
Dieu vous doint joye et plaisir de vostre
mary, et tellement vous gouverner avecques
luy que ce soit au salut de voz deux ames.»
L'autre disoit: «M'amye, Dieu vous doint telle
paix et concordance avec vostre mary que
puissez faire euvre dont les sains cieulx soient
remplis.» Et ainsi chacune faisant sa prière
se partit. La mère, qui demoura la derrenière,
reduist à memoire son escoliere sur la doctrine
et leczon que aprinse luy avoit, luy
priant que penser y voulsist. Et la bonne fille,
qui, comme l'on dit communement, n'avoit
pas son cueur en sa chausse, respondit que
trèsbonne souvenance avoit de tout, et que
bien l'avoit, Dieu mercy, retenu. «C'est bien
fait, dist la mère; or je vous laisse et vous
recommende à la grace de Dieu, luy priant
qu'il vous donne bonne adventure. Adieu,
belle fille.—Adieu, bonne et sage mère.»
Si tost que la maistresse de l'escole fut vuidée,
nostre mary, qui à l'huys n'attendoit aultre
chose, entra ens; et la mère l'enferma et tira
l'huys, et luy pria qu'il se gouvernast sagement
avec sa fille. Il promist que aussi feroit il; et
si tost que l'huys fut fermé, il, qui n'avoit que
son pourpoint en son dos, le rue jus et monte
sur le lit, et se joinct au plus près de sa dame
la lance au poing, et luy presente la bataille.
169A l'approucher de la barrière où l'escarmouche
se devoit faire, la dame prend et empoigne
ceste lance droicte comme ung cornet de vachier;
et tantost qu'elle la sent aussi dure et
de grosseur trèsbonne, s'escrye, disant que
son escu n'estoit assez puissant pour recevoir
les horions de si gros fust. Quelque devoir que
nostre mary peust faire, ne peut trouver la
manière d'estre receu à cest escu ne ceste
jouste; la nuyt se passa sans rien besoigner,
qui despleut moult à nostre sire des nopces.
Mais au fort il print pacience, esperant recouvrer
tout la nuyt prochaine, où il fut autant oy
que à la première, et ainsi à la troisiesme, quatriesme,
et jusques à la quinziesme, où les armes
furent accomplies, comme je vous diray.
Quand les xiij. jours furent passez que noz deux
jeunes gens sont mariez, combien qu'ilz n'eussent
encores ensemble tenu mesnage, la mère
vint visiter son escolière, et, après cent mille
devises qu'elles eurent ensemble, luy demanda
l'on de ce mary quel homme il estoit, et s'il
faisoit bien son devoir. Et la fille disoit qu'il
estoit trèsbon homme, doulx et paisible.
«Voire mais, disoit la mère, fait il bien ce
que l'on doit faire?—Oy, disoit la fille,
mais...—Quelz mais? Il y a à dire en son fait,
dit la mère, je l'entends bien; dictes le moy
et ne le me celez point. Est-il homme pour
accomplir le deu à quoy il est obligé par mariage
et dont je vous ay baillé la leczon?»
La bonne fille fut tant pressée qu'il luy convint
dire que l'on n'avoit encores rien besoigné en
170son ouvrouer; mais elle taisoit qu'elle fust
cause de la dilacion, et que tousjours eust refusé
la jouste. Quand la mère entendit ces
doloreuses nouvelles, Dieu scet quelle vie
elle mena, disant que par ses bons dieux elle
y mettroit remède et bref, et que tant avoit
de bonne accointance de monseigneur l'official
de Roen qu'il luy seroit amy et qu'il favoriseroit
à son bon droit. «Or çà, ma fille,
dist elle, il vous convient desmarier; je ne
fais nulle doubte que je n'en trouve bien la
fasson; et soiez seure que vous le serez ainçois
qu'il soit deux jours de ceste heure, et
vous feray avoir aultre homme qui si paisible
ne vous lairra; laissez moy faire.» Ceste bonne
femme, à demy hors du sens, vint compter
ce grand meschef à son mary, père de la fille
dont je fais mon compte, et luy dist bien
comment ilz avoient perdu leur fille, amenant
les raisons pour quoy et comment, et concluant
aux fins de la desmarier. Tant bien
compta sa cause que son mary tira de son
costé, et fut content que l'on feist citer nostre
nouveau maryé, qui ne savoit rien de ce qu'ainsi
on se plaignoit de luy sans cause. Toutesfoiz
il fut cité à personnellement comparoir à l'encontre
de monseigneur le promoteur, à la requeste
de sa femme, et par devant monseigneur
l'official, pour quitter sa femme et luy
donner licence d'aultre part soy marier, ou
alleguer les causes et raisons pour quoy, en tant
de jours qu'il avoit esté avec elle, n'avoit monstré
qu'il estoit homme comme les aultres, et
171fait ce qu'il appartient aux mariez. Quand le
jour fut venu, les parties se presentèrent en
temps et lieu; ils furent huchez à dire et plaidoyer
leur cause. La mère à la nouvelle mariée
commença à compter la cause de sa fille,
et Dieu scet comment elle alleguoit les loiz
que l'on doit maintenir en mariage, lesquelles
son gendre n'avoit accomplies ne d'elles usé;
pour quoy requeroit qu'il fust desjoinct de sa
fille, et de ceste heure mesme, sans faire long
procès. Le bon jeune homme fut bien esbahy
quand ainsi oyt blasmer ses armes; guères
n'attendit à respondre aux allegations de son
adversaire, et trèsfroidement et de manière
rassise compter son cas, et comment la femme
luy avoit tousjours fait refus quand il avoit
voulu faire le devoir. La mère, oyant ces responses,
plus marrye que devant, combien
que à peine le vouloit elle croire, demanda à
sa fille s'il estoit vray ce que son mary avoit
respondu; et elle dist: «Vrayement, mère,
oy.—Ha! maleureuse, dist la mère, comment
l'avez vous refusé? Que vous avoye
dit et monstré pluseurs foiz? Vous avoys je
baillé celle leczon?» La pouvre fille ne savoit
que dire, tant estoit honteuse et desplaisante.
«Toutesfoiz, dist la mère, je veil savoir la
cause pour quoy vous avez fait le refus si
vous ne me voulez courousser mortellement,
car je n'aray jamais bien, ou si saray pour
quoy et quelle raison vous n'avez voulu consentir
à vostre mary.» La fille confessa tout,
et dist ouvertement en jugement que pource
172qu'elle avoit trouvée la lance de son champion
si grosse, ne luy avoit osé bailler l'escu, doubtant
qu'il ne la tuast, comme elle encores en
doubtoit, et ne se vouloit desmouvoir de ceste
doubte, combien que sa mère luy disoit que
doubter ne craindre n'en devoit. Et après ce,
adressa sa parolle au juge en disant: «Monseigneur
l'official, vous avez oy la confession
de ma fille et les defences de mon gendre; je
vous prie, appoinctez sur le different et rendez
vostre sentence diffinitive.» Monseigneur
l'official, pour appoinctement, fist couvrir un
lit en sa maison, et ordonna par arrest que
les deux mariez yroient coucher ensemble,
enjoignant à la mariée qu'elle empoignast
baudement le bourdon joustouer et le mist
ou lieu où il estoit ordonné. Et quand celle
sentence fut rendue, la mère dist: «Grand
mercy, monseigneur l'official, vous avez trèsbien
jugé. Or avant, ma fille, faictes ce que
vous devez faire, et gardez de venir à l'encontre
de l'appoinctement de monseigneur
l'official; mettez la lance ou lieu où elle doit
estre.—Et je suis au fort contente, dist la
fille, de la mettre et bouter où il faut, mais
si elle y devoit pourrir, je ne l'en retireray
jà.» Ainsi se partirent de jugement, et allèrent
mettre à execution sans sergent la sentence
de monseigneur l'official, car eulx mesmes
firent l'execution. Et par ce moyen nostre
gendre vint à chef de sa jousterie, dont il
fut plutost tanné que celle qui n'y avoit voulu
entendre.
Au gent et plantureux pais de Hollande
avoit, n'a pas cent ans, ung
gentil chevalier logé en ung bel et
bon hostel où il y avoit une trèsbelle
jeune chambrière servant, de laquelle
trèsamoureux estoit, et pour l'amour d'elle
tant avoit fait au fourrier du duc de Bourgoigne,
que cest hostel luy avoit delivré, affin de
mieulx pourchasser et conduire sa queste, et
venir aux fins et intencions où il entendoit et
où amours le faisoient encliner. Quand il eut
esté environ cinq ou vj. jours en ceste hostelerie,
luy survint par accident une maleureuse
adventure, car une maladie le print en
l'œil si grieve, qu'il ne le povoit tenir ouvert,
tant en estoit aspre la doleur. Et pour ce que
trèsfort doubtoit de le perdre, mesmement
que c'estoit le membre où il devoit plus de
guet et de soing, manda le cyrurgien de monseigneur
le duc, qui pour ce temps en la ville
estoit. Et devez savoir que ledit cyrurgien
estoit ung trèsgentil compaignon, le plus renommé
du pais, et le fist venir parler à luy.
Et sitost que maistre cyrurgien vit cest œil il
le jugea comme perdu, ainsi par adventure
174qu'ils sont coustumiers de juger des maladies,
affin que quand ilz les ont sanéez, ils en
emportent plus de prouffit et de loenge. Le
bon chevalier, à qui desplaisoit d'oyr telles
nouvelles, demandoit s'il y avoit nul remède
pour le garir; et l'autre dist que trèsdifficile
seroit, neantmoins il oseroit bien entreprendre
à garir avec l'ayde de Dieu, mais qu'on le
voulsist croire. «Si vous me voulez garir et
delivrer de ce mal sans la perte de mon œil,
je vous donneray bon vin, dit le chevalier.»
Le marché fut fait, et entreprint garir net
cest œil, Dieu avant, et ordonna les heures qu'il
viendroit chacun jour pour le mettre à point.
Or entendez que chacune foiz que nostre cyrurgien
venoit visiter son malade, la belle
chambrière le compaignoit et tenoit tousjours
ou boitte ou palette, et aidoit à remuer le
pouvre patient, qui oublyoit la moitié de son
mal quand il sentoit la presence de sa dame.
Si ce bon chevalier estoit bien feru et avant
de ceste chambrière, si fut le cyrurgien, qui,
toutes les foiz qu'il venoit faire sa visitacion,
fichoit ses doulx regards sur ce beau poly
viaire de ceste chambrière, et tant s'i ahurta
qu'il luy declara son cas, et eut trèsbonne audience,
car de prinsaut on luy accorda et
passa ses doulces requestes; mais la manière
comment on pourroit actuellement et par effect
mettre à execution ses ardans desirs, l'on ne
la savoit comment trouver. Or toutesfoiz, à
quelque peine que ce fut, la façon fut trouvée
par la prudence et subtilité du cyrurgien, qui,
175fut telle: «Je donneray, dist il, à entendre à
monseigneur mon patient que son œil ne se
peut garir si n'est que son aultre œil soit caché,
car l'usage qu'il a à regarder empesche
la garison de l'autre malade. S'il est content,
dit il, qu'il soit caché et bendé, ce nous sera
la plus convenable voye du monde pour prendre
nos delicz et plaisances, et mesmement
en sa chambre, affin que l'on y prenne mains
de suspicion.» La fille, qui avoit aussi grant
desir que le cyrurgien, prisa trèsbien ce conseil,
ou cas que ainsi ce pourroit faire. «Nous
l'essayerons», dit le cyrurgien. Il vint à
l'heure accoustumée voir cest œil malade, et
quand il l'eut descouvert fist bien de l'esbahy:
«Comment! dit il, je ne vis oncques tel mal;
cest œil cy est plus lait qu'il y a xv. jours. Certainement,
monseigneur, il sera bon mestier
que vous ayez pacience.—Comment? dit le
chevalier.—Il fault que vostre bon œil soit
couvert et caché tellement qu'il n'ayt point de
lumière une heure ou environ après que je
aray assis l'emplastre et ordonné l'autre; car
en verité il l'empesche à garir sans doubte.
Demandez, disoit il, à ceste belle fille qui l'a
veu chacun jour, comment il amende.» Et la
fille disoit qu'il estoit plus lait que paravant:
«Or çà, dit le chevalier, je vous habandonne
tout; faictes de moy tout ce qu'il vous plaist;
je suis content de cligner tant que l'on vouldra,
mais que garison s'ensuive.» Les deux
amans furent adonc bien joyeux, quand ilz
virent que le chevalier fut content d'avoir
176l'œil caché. Quand il fut appoincté et qu'il
eut les yeulx bandez, maistre cyrurgien fainct
de partir comme il avoit de coustume, promettant
de tantost revenir pour descouvrir
cest œil. Il n'ala guères loing, car assez près
de son pacient, sur une couche jecta sa dame,
et d'aultre planecte qu'il n'avoit remué son
chevalier visita les cloistres secrez de la chamberiere.
Trois, quatre, cinq, six foiz maintint
ceste manière de faire envers ceste belle fille,
sans ce que le chevalier s'en donnast garde,
combien qu'il en oyst la tempeste, mais non
sachant que ce vouloit estre, jusques à six foiz
qu'il se doubta pour la continuacion; à laquelle
foiz, quand il oyt le tamburch et noise
des combattans, esracha bandeaulx et emplastres,
et rua tout au loing, et vit les deux
amoureux qui se demenoient tellement l'un
contre l'autre qu'il sembloit qu'ilz deussent
menger l'un l'autre, tant mettoient et joindoient
leurs dens ensemble. «Et qu'est ce là,
dist-il, maistre cyrurgien? m'avez vous fait
jouer à la cligne musse pour me faire ce
desplaisir? Doit estre mon œil gary par ce
moien? Dictes, m'avez vous baillé de ce jeu?
Et, par saint Jehan! je m'en doubtoie bien
que j'estoie plus souvent visité pour l'amour
de ma chambrière que pour mes beaulx yeulx.
Or, bien, bien, je suis en vostre dangier,
sire, et ne me puis encore venger; mais ung
jour viendra que je vous feray souvenir.» Le
cyrurgien, qui estoit le plus gentil compaignon
et des aultres le meilleur homme, commença
177à rire, et firent la paix, et croy bien
que tous deux, quand l'oeil fut gary, s'accordèrent
à besoigner par terme.
En une gente petite ville cy entour,
que je ne veil pas nommer, est n'a
guères advenu adventure dont je
vous fourniray une petite nouvelle.
Il y avoit ung bon, simple, rude paisant,
marié à une plaisant et assez gente femme,
laquelle laissoit le boire et le menger pour
amer par amours. Le bon mary d'usage demouroit
trèssouvent aux champs, en une maison
qu'il y avoit, aucunesfoiz trois jours, aucunesfoiz
quatre jours, aucunesfoiz plus, aucunesfoiz
mains, ainsi qu'il luy venoit à plaisir,
et laissoit sa femme prendre du bon temps
à la bonne ville, comme elle faisoit; car affin
qu'elle ne s'espantast, elle avoit toujours ung
homme qui gardoit la place du bon homme et
entretenoit son ouvrouer de paour que le rouil
ne s'i prenist. La règle de ceste bonne bourgoise
estoit de attendre toutesfoiz son mary
jusques ad ce qu'on ne voyoit guères, et jusques
ad ce qu'elle se tenoit seure de son mary
qu'il ne retourneroit point ne laissoit venir le
178lieutenant, de paour que trompé ne feust. Elle
ne sceut mettre si bonne ordonnance en sa
veille ou règle accoustumée que trompée ne
fust; car une foiz, ainsi que son mary avoit
demouré deux ou trois jours routiers, et pour
le quatriesme avoit attendu aussi tard qu'il
estoit possible avant la porte clorre de la
ville, cuidant que pour ce jour ne deust
point retourner, ferma l'huys et les fenestres
comme les aultres jours, et mist son amoureux
au logis, et commencerent à boire d'autant et
faire grand chère. Guères n'avoient assis à
la table que nostre mary vint hucquer à l'huys,
tout esbahi qu'il le trouva fermé. Et quand la
bonne dame l'oyt, fist sauver son amoureux
et le fist bouter soubz le lict, pour le plus
abreger, puis vint demander à l'huys qui avoit
hurté: «Ouvrez, ouvrez, dist le mary.—Ha
mon mary, dit-elle, estes vous là? Je vous
devoye demain bien matin envoier ung message
et faire savoir que ne retournissiez point.—Comment!
quelle chose y a il? dit le bon
mary.—Quelle chose? vrai Dieu de paradis!
dit elle; helas! les sergens ont esté
céans plus de deux heures et demye, pour
vous mener en prison.—En prison! dit il;
comment, en prison? Quelle chose ay je meffait!
A qui dois-je? Qui se plaint de moy?—Je
n'en scay rien, dit la rusée, mais ilz avoient
grand volunté de mal faire; ilz sembloit qu'ilz
voulsissent tuer quaresme.—Voire mais,
disoit nostre ami, ne vous ont ilz point dit
quelle chose ilz me vouloient?—Nenny, dit
179elle, fors que s'ilz vous tenoient, vous n'eschapperiez
de la prison devant long temps.—Ils
ne me tiennent pas, Dieu mercy, encores!
A dieu, je m'en retourne.—Où yrez vous?
dit elle, qui ne demandoit aultre chose.—Dont
je viens, dit il.—Je yray doncques
avec vous, dit-elle.—Non ferez; gardez
bien et gracieusement la maison, et ne dictes
point que j'ay icy esté.—Puis que vous voulez
retourner aux champs, hastez vous, dit
elle, avant que l'on ferme la porte; il est jà
tard.—Quand elle seroit fermée, si feroit tant
le portier pour moy qu'il reouvriroit trèsvoluntiers.»
A ces motz il se part, et quand il vint
à la porte, il la trouva fermée, et pour prière
qu'il sceust faire, le portier ne la voult ouvrir.
Il fut bien mal content de ce qu'il convenoit
qu'il retournast à sa maison, doubtant les sergents;
toutesfoiz falloit il qu'il y retournast,
s'il ne se vouloit coucher sur les rues. Il vint
arrière hurter à son huys, et la dame, qui
s'estoit reatellée avecques son amoureux, fut
plus esbahie que devant; elle sault sus, et
vint à l'huys toute esperdue, disant: «Mon
mary n'est point revenu, vous perdez temps.—Ouvrez,
ouvrez, m'amye, dit le bonhomme,
ce suis-je.—Hellas! hélas! vous n'avez
point trouvé la porte ouverte. Je m'en doubtoye
bien, dit elle; veritablement, je ne voy
remède en vostre fait que ne soiez prins, car
les sergens me dirent, il m'en souvient maintenant,
qu'ilz retourneroient sur la nuyt.—Or
çà, dist-il, il n'est mestier de long sermon;
180advisons qu'il est de faire.—Il vous faut musser
quelque part ceans, dit elle, et si ne sçay
lieu ne retraict où vous puissez estre bien asseur.—Seroye
je point bien, dit l'autre, en
nostre colombier? qui me chasseroit là?» Et
elle, qui fut moult joyeuse de ceste invencion
et expedient trouvé, feindant toutesfoiz, dist:
«Le lieu n'est grain honneste; il y fait trop puant.—Il
ne me chault, dit-il; j'ayme mieulx me bouter
là pour une heure ou deux et estre sauvé,
que en aultre honeste lieu et estre trouvé.—Or
ça, dit elle, puis que vous avez ce ferme et bon
courage, je suis de vostre opinion que vous y
mussiez.» Ce vaillant homme monta en ce colombier,
qui se fermoit par dehors à clef, et se
fist illec enfermer, et pria sa femme que si les
sergens ne venoient tantost après, qu'elle le
mist dehors. Nostre bonne bourgoise habandonna
son mary, et le laissa toute la nuyt rencouller
avec les colons, à qui ne plaisoit guères,
et n'estoit de mot sonné ne huché; tousjours
doubtoit ces sergens. Au point du jour, qui
estoit l'heure que l'amoureux se partoit du logis,
ceste bonne femme vint hucher son mary
et luy ouvrit l'huys, qui demanda comment
on l'avoit là laissé si longuement tenir compagnie
aux colons. Et elle, qui estoit faicte à
l'euvre, luy dist comment les sergens avoient
toute nuyt veillé autour de leur maison, et
que pluseurs foiz avoit à eulx devisé, et qu'ilz
ne faisoient que partir, mais ilz avoient dit
qu'ilz viendroient à telle heure qu'ils le trouveroient.
Le bon homme, bien esbahy quelle
181chose ces sergens luy povoient vouloir, se
partit incontinent et retourne aux champs, promettant
bien que de long temps ne reviendroit.
Et Dieu scet que la gouge le print bien en
gré, combien qu'elle s'en monstrast doloreuse.
Et par tel moien elle se donna meilleur
temps que devant, car elle n'avoit quelque
soing du retour de son mary.
En ung petit hamelet ou village de ce
monde, assez loing de la bonne ville,
est advenue une petite histoire qui
est digne de venir en l'audience de
vous, mes bons seigneurs. Ce village ou hamellet,
ce m'est tout ung, estoit habité d'un moncelet
de bons, rudes et simples paysans qui
ne savoient comment ilz devoient vivre. Et si
bien rudes et non sachans estoient, leur curé
ne l'estoit pas une once mains, car luy mesme
failloit à cognoistre ce qui est necessaire à
tous generalement, comme je vous en monstreray
par l'experience, par ce qui luy advint.
Vous devez savoir que ce prestre curé, comme
je vous ay dit, avoit sa teste affulée de
simplesse si parfecte, qu'il ne savoit point annuncer
les festes des sains, qui viennent chacun
182an et à jour determiné, la plus part,
comme chacun scet. Et quand ses parroissiens
demandoient quand la feste seroit, il failloit
à la coup de le dire. Entre aultres telles
faultes qui souvent advenoient, en fist une qui ne
fut pas petite, car il laissa passer cinq sepmaines
du quaresme sans point l'annuncer à ses
parroissiens. Mais entendez comment il perceut
qu'il avoit failly. Le samedy qui estoit la
nuyt de la blanche Pasque, que l'on dist Pasques
flories, luy vint volunté d'aller à la bonne
ville pour aucune chose qu'il y besoignoit.
Quand il entra en la bonne ville, et qu'il chevauchoit
parmi les rues, il perceut que les prestres
faisoient provision de palmes et aultres
verdures, et veoit que au marché on les vendoit
pour servir à la procession pour lendemain.
Qui fut bien esbahy, ce fut maistre curé,
combien que semblant n'en fist. Il vint aux
femmes qui vendoient ces palmes ou boyz, faignant
que ce fust pour aultre chose n'estoit venu
à la bonne ville, et puis hastivement monte
à cheval chargé de sa marchandise, et picque
en son village, et le plustost que possible luy
fut s'y trouva, et avant qu'il fust descendu de
son cheval rencontra aucuns de ses parroissiens
auxquelx il commenda que l'on allast sonner
les cloches, et que chacun de ceste heure venist
à l'eglise, où il leur vouloit dire aucunes
choses necessaires pour le salut de leurs ames.
L'assemblée fut tantost faicte, et se trouva
chacun en l'eglise, où monseigneur le curé,
tout housé et esperonné, vint bien embesoigné,
183Dieu le scet, et monta devant l'aultier, et
dist les motz qui s'ensuyvent: «Mes bonnes
gens, je vous signifie et vous faiz assavoir que
aujourd'uy a esté la veille de la feste et solemnité
de Pasques flories, et de ce jour en huit
prochain vous arez la veille de la grand Pasque
que l'on dit Pasques communiaulx.» Quand
ces bonnes gens oyrent ces nouvelles, commencèrent
à murmurer, et eulx esbahir trèsfort
comment se povoit ce faire. «Ho, dist le
curé, je vous appaiseray tantost, et vous diray
vraies raisons pour quoy vous n'avez que viij
jours de quaresme à faire voz penitences pour
ceste année; et ne vous esmaiez jà de ce que
je vous diray, que le quaresme est ainsi venu
tard. Je tien qu'il n'y a celuy de vous qui ne
sache bien et soit recors comme ceste année
les froidures ont esté longues et aspres, merveilleusement
plus que oncques mais; et long
temps a qu'il ne fist aussi perilleux et dangereux
chevaucher comme il a fait tout l'yver,
pour les verglaz et neges qui ont longuement
duré. Chacun de vous scet ceci estre vray
comme l'euvangile, pour quoy ne vous donnez
merveilles de la longue demeure de quaresme,
mais emerveillez vous encores comment
il est peu venir, mesmement que le chemin
est si long jusques à sa maison. Si vous
prie que le veillez excuser, et luy mesme vous
en prie, car aujourdhuy j'ay disné avecques
luy.» Et leur nomma le lieu, c'est assavoir la
ville où il avoist esté. «Et pourtant, dist-il,
disposez vous de venir ceste sepmaine à confesse,
184et de comparoir demain à la procession
comme il est de coustume céens. Et ayez pacience
ceste foiz; l'année qui vient, si Dieu
plaist, sera plus doulce, par quoy il viendra
ainsi qu'il a chacun an d'usage.» Ainsi monseigneur
le curé trouva le moien d'excuser sa
simplesse et ignorance, et, en donnant la beneisson,
descendit de sa predicacion, disant:
«Priez Dieu pour moy et je le prieray pour
vous.» Et s'en alla à sa maison appoincter son
boys et ses palmes, pour les faire le lendemain
servir à la procession.
Pour accroistre et amplier mon nombre
des nouvelles que j'ay promis
compter et descripre, j'en monstreray
cy une dont la venue est
fresche. Ou gentil pays de Brabant, qui est
celuy du monde où les bonnes adventures
adviennent souvent, avoit ung bon et loyal
marchant duquel la femme estoit trèsfort malade,
en gisant, pour l'aigreur de son mal, continuellement
sans habandonner son lit. Ce bon
homme, voyant sa bonne femme ainsi attaincte
et languissant, menoit la plus doloreuse vie
du monde, tant marry et desplaisant estoit
185qu'il ne povoit plus, et avoit grand doubte
que la mort ne l'en fist quicte. En ceste doleance
perseverant, et doubtant la perdre, se
vint rendre aux piez d'elle et luy donnoit esperance
de garison, et la reconfortoit au
mieulx qu'il povoit, l'amonnestant de penser
au sauvement de son ame. Et après qu'il eut
aucun petit de temps devisé avec elle et finé
ses amonnestemens et exortacions, luy cria
mercy, luy requerant que si aucune chose luy
avoit meffait, qu'il luy fust pardonné par elle.
Entre les cas où il se sentoit l'avoir courroussée,
luy declara comment il estoit bien recors
qu'il l'avoit troublée pluseurs foiz, et trèssouvent,
de ce qu'il n'avoit besoigné sur son
harnois, que l'on peut appeller cuirasses,
toutes les foiz qu'elle eust bien voulu; et
mesmes que bien le savoit, dont trèshumblement
luy requeroit pardon et mercy. Et la
pouvre malade, ainsi qu'elle povoit parler,
luy pardonnoit les petiz cas et legiers; mais
ce derrain ne pardonnoit-elle point voluntiers
sans savoir les raisons qui avoient meu et induict
son mary à non fourbir son harnois,
quand mesmes il savoit bien que c'estoit le
plaisir d'elle, et que aultre chose ne demandoit.
«Comment! dit-il, voulez vous morir
sans pardonner à ceulx qui vous ont meffait?—Je
suis contente, dist elle, de le pardonner,
mais je veil savoir qui vous a meu; aultrement
ne le pardonneray je jà.» Le bon
mary, pour trouver moien d'avoir pardon,
cuidant bien faire la besoigne, dist: «M'amye,
186vous savez que pluseurs foiz avez esté
malade et deshaitée, combien que non pas
tant que maintenant je vous voy; et durant
la maladie je n'ay jamais osé presumer de
vous requerre de bataille, doubtant que pis
vous en fust; et soyez toute seure que ce que
j'en ay fait, amour le m'a fait faire.—Taisez
vous, menteur que vous estes; oncques ne fus
si malade ne si deshaitée pour quoy j'eusse
fait refus de combatre; querez moy aultre
moien, si voulez avoir pardon, car cestuy cy
ne vous aidera; et puis qu'il vous convient
tout dire, meschant et lasche bonhomme que
vous estes, et aultre ne fustes oncques, pensez
vous qu'en ce monde cy soit medicine qui
plus puisse aider ne susciter la maladie d'entre
nous femmes que la doulce et amoureuse
compaignie des hommes? Me voiez vous bien
deffaicte et seche par grefté de mal? Aultre
chose ne m'est mestier que compaignie de
vous.—Ho! dit l'aultre, je vous gariray
prestement.» Il sault sur le lit, et besoigna le
mieulx qu'il peut, et tantost qu'il eut rompu
deux lances, elle se lève et se mist sur ses
piez. Puis demye heure après alla par les
rues, et ses voisines, qui la cuidoient comme
morte, furent trèsesmerveillées jusques ad ce
qu'elle leur dist par quelle voie elle estoit ravivée,
qui dirent tantost qu'il n'y avoit que
ce seul remède. Ainsi le bon marchant aprint
à garir sa femme, qui luy tourna à grand prejudice,
car souvent se faindoit malade pour
recevoir la medicine.
Ainsi que j'estoye n'a guères en la
conté de Flandres, en l'une des
plus grosses villes du pays, ung
gentil compaignon me fist ung
joyeux compte d'un homme maryé, de qui la
femme estoit tant luxurieuse et chaulde sur
potage et tant publicque, que à paine estoit
elle contente qu'on la cuignast en plaines rues
avant qu'elle ne le fust. Son mary savoit bien
que de telle condicion estoit, mais de subtilier
ne querir remède pour luy donner empeschement,
il ne le savoit trouver, tant estoit à ce
joly mestier rusée. Il la menassoit de la batre,
de la laisser seule ou de la tuer; mais querez
qui le face! autant eust il prouffité de menasser
ung chien enragé ou aultre beste. Elle se
pourchassoit à tous lez et ne demandoit que
hutin; il y avoit peu d'hommes en toute la
contrée où elle repairoit pour estaindre une
petite estincelle de son grand feu; et quiconques
la barguignoit, il l'avoit aussi bien à
creance que à argent sec, fust l'homme vieil,
layt, bossu, contrefait ou d'aultre quelque
deffigurance; bref, nul ne s'en alloit sans
denrée reporter. Le pouvre mary, voyant
188ceste vie continuer, et que grosses menasses
rien n'y prouffitoient, il s'advisa qu'il l'espanteroit
par une voye et manière qu'il trouva.
Quand il la peut avoir seulle en sa maison, il
luy dist: «Or çà, Jehanne ou Betriz, ainsi
qu'il l'appelloit, je voy bien que vous estes
obstinée en vostre meschante vie, et que, à
quelque menasse ou punicion que je vous face,
vous n'en comptez non plus que si je me taisoie.—Helas!
mon mary, dit elle, en verité, j'en
suis plus courroussée que vous n'estes, et trop
plus me desplaist; mais je n'y puis remède
mettre, car je suis tellement née soubz telle
estoille pour estre preste et servant aux hommes.—Voire
dya, dist le mary, y estes vous
destinée? Sur ma foy, j'ay bon remède et hastif.—Vous
me tuerez, dit elle, aultre n'y a.—Laissez
moy faire, dist il, je sçay mieulx
beaucop.—Et quel, dit elle, que je le sache?—Par
la mort bieu, dist il, je vous hocheray
tant ung jour que je vous bouteray ung quarteron
d'enfans ou ventre, et puis je vous habandonneray,
et les vous lairray seulle nourrir.—Vous!
dit elle; mais où prins? Vous
n'avez pour commencer; telles menasses m'espantent
pou, je ne vous crain. Touchez cela;
si j'en desmarche, je veil qu'on me tonde en
croix; et s'il vous semble que vous ayez puissance,
avancez vous, et commencez tout
maintenant; je suis preste pour livrer le moulle.—Au
deable telle femme, dist le mary, qu'on
ne peut par quelque voye corriger.» Il fut contraint
de la laisser passer sa destinée; trop
189plustost se fust ecervelé et rompu la teste
pour la reprendre que luy faire tenir le derrière
coy, pour quoy la laissa courre comme
une lisse entre deux douzaines de chiens, et
accomplir tous ses vouloirs et desordonnez
desirs.
En la bonne cité de Mix, en Lorraine,
avoit puis certain temps en
çà une bonne bourgoise maryée
qui estoit tout oultre de la confrarie
de la houlette; et rien ne faisoit plus voluntiers
que ce joly esbatement que chacun scet; et où
elle povoit desploier ses armes, elle se monstroit
vaillant et pou redoubtant horions. Or,
entendez quelle chose luy advint en exercent
son mestier: elle estoit fort amoureuse d'un
gros chanoine qui avoit plus d'argent que ung
vieil chien n'a de puces; mais pour ce qu'il
demouroit en lieu où les gens estoient à toutes
heures, comme on diroit à une gueule baée ou
place publicque, elle ne savoit comment se
trouver avec son chanoine. Tant subtilia et
pensa à sa besoigne, qu'elle s'avisa qu'elle
se descouvreroit à une sienne voisine qui estoit
sa seur d'armes touchant le mestier et
190usance de la houlette; et luy sembla qu'elle
pourroit aller veoir son chanoine accompaignée
de sa voisine, sans qu'on y pensast nul
mal ou suspeçonnast. Ainsi qu'elle advisa, ainsi
fist elle; et comme si pour une grosse matère
fust allée devers monseigneur le chanoine,
ainsi honorablement et gravement y alla elle
accompaignée comme dit est. Pour estre bref,
incontinent que noz bourgoises furent arrivées,
après toutes salutacions, ce fut la principale
qui s'encloit avec son amoureux le chanoine,
et fist tant qu'il luy bailla une monteure,
ainsi qu'il peut. La voisine, voyant l'autre
avoir l'audience et gouvernement du maistre
de léens, n'en eut pas peu d'envye, et luy
desplaisoit que l'on ne luy faisoit ainsi comme
à l'autre. Au vuider de la chambre, celle qui
avoit sa pitance dist: «Ça, voisine, en yrons-nous?—Voire,
dit l'autre, s'en va l'on ainsi?
Si l'on ne me fait la courtoisie comme à vous,
par dieu, j'accuseray la compaignie et le mesnage;
je ne suis pas icy venue pour chaufer
la cire.» Quand l'on perceut sa bonne volunté,
on luy offrit le clerc de ce chanoine,
qui estoit ung fort et roidde galant, et homme
pour la trèsbien fournir; de quoy elle ne tint
compte, mais le refusa de tous poins, disant
que aussi bien vouloit-elle avoir le maistre que
l'autre, aultrement ne seroit-elle contente. Le
chanoine fut contraint, pour sauver son honneur,
de s'accorder. Quand ce fut fait, elle
voulut bien adonc dire à Dieu et se partir.
Mais l'autre ne le voulut pas, ains dist toute
191courroussée que elle qui l'avoit amenée et estoit
celle pour qui l'assemblée estoit faicte
devoit estre mieulx partie que l'autre, et qu'elle
ne se partiroit point qu'elle n'eust encores ung
picotin. Le chanoine fut bien esbahy quand il
entendit les nouvelles, et combien qu'il priast
celle qui vouloit avoir le surcroiz, toutesfoiz,
ne se voult rendre contente. «Or ça, de par
Dieu, dist il, puisqu'il fault que ainsi soit, je
suis content, mais plus n'y revenez pour tel
pris.» Quand les armes furent accomplies, celle
damoiselle au surcroiz à dire adieu dist à son
chanoine qu'il leur falloit donner aucune chose
gracieuse pour souvenance. Et sans se faire
trop importuner ne traveiller de requestes, et
aussi pour estre delivré d'elles, il avoit ung
demeurant de couvrechefz qu'il leur donna, et
la principale receut le don, et en remercyant
dirent adieu. «C'est, dist-il, ce que je vous
puis maintenant donner; prenez chacune en
gré, je vous en prie.» Elles ne furent guères
loing allées, qu'en plaine rue la voisine qui
avoit eu sans plus ung picotin dist à sa compaigne
qu'elle vouloit avoir sa part de leur
don. «Et bien, dit l'autre, je suis contente;
combien en voulez vous avoir?—Fault-il
demander cela? dit elle; j'en doy avoir la moitié
et vous autant.—Comment osez vous
demander, dist l'autre, plus que vous n'avez
deservy? Avez vous point de honte? Vous
savez que vous n'avez esté qu'une foiz avecques
le chanoine, et moy deux foiz; et pardieu,
ce n'est mie raison que vous soiez partie
192aussi avant que moy.—Par dieu, j'en
aray autant que vous, dit l'autre; ay je pas
fait mon devoir aussi avant que vous?—Comment
l'entendez vous?—N'est ce pas
autant d'une foiz que de deux? Et affin que
vous cognoissez ma volunté, sans tenir cy
halle de neant, je vous conseille que me baillez
ma part justement de la moitié, ou vous
arez incontinent hutin; me voulez vous ainsi
gouverner?—Voire dya, dist sa compaigne,
y voulez-vous proceder d'euvre de fait? Et
par la naissance Dieu, vous n'en arez fors ce
qui sera de raison, c'est assavoir des trois pars
l'une, et j'aray le remanent; ay je pas eu plus
de peine que vous?» Adonc l'aultre hausse
et de bon poing charge sur le visage de sa
voisine, qui ne le tint pas longuement sans le
rendre, apellans l'une l'autre ribaulde. Bref,
elles s'entre batirent tant et de si bonne manière
que à bien petit qu'elles ne s'entre-tuèrent;
et l'une appelloit l'autre ribaulde. Quand
les gens de la rue virent la bataille de ces
deux compaignes, qui peu de temps devant
avoient passé par la rue ensemble amoureusement,
furent tous esbahiz, et les vindrent
tenir et deffaire l'une de l'autre. Puis leurs
mariz furent huchez, qui vindrent tantost, et
chacun d'eux demandoit à sa femme la matère
de leur different. Chacune comptoit à son
plus beau; et tant par leur faulx donner à entendre,
sans toutesfoiz toucher de ce pour
quoy la question estoit meue, les animèrent et
esmeurent l'ung contre l'autre, tellement qu'ilz
193se vouloient entretuer, si les sergens ne fussent
survenuz, qui les menèrent tous deux
refroider en belle prison. La justice fut à toute
diligence sollicitée de leurs amys pour leur
delivrance; mais pour ce que le cas estoit venu
pour le debat des femmes, premier le conseil
voult savoir dont avoit procedé le fondement
de la question entre les deux femmes; elles
furent mandées et contrainctes de confesser
que ce avoit esté pour faire parchon d'une
pièce de couvrechefs, et cetera. Les gens du
conseil, qui estoient bons et sages, voyans
que la cognoissance de ceste cause appartenoit
au roy de bourdelois, tant pour les merites
de la cause que pour ce que les femmes
estoient de ses subjectes, la renvoyèrent pardevant
luy. Et pendant le procès, les bons
mariz demourèrent en la prison, attendans la
sentence diffinitive qui devoit estre rendue sur
l'avis des subjects du roy, qui, pour le nombre
infiny d'eulx, est taillée de demourer pendue
au clou.
Tantdiz que j'ay bonne audience, je
veil compter ung gracieux compte
advenu au bon et gracieux païs de
Haynau. En ung gros village du païs
que j'ay nommé avoit une gente femme mariée
qui amoit plus beaucop le clerc ou
coustre de l'eglise parochial dont elle estoit
paroissienne que son mary; et pour trouver
moien de soy trouver avec son coustre, faindit
à son mary qu'elle devoit ung pelerinage
à quelque saint qui n'estoit pas loing d'illec,
comme d'une lieue ou environ, et que promis
luy avoit quant elle avoit esté en traveil, luy
priant qu'il fust content qu'elle y allast ung
jour qu'elle nomma, avec une sienne voisine
qui ce mesme jour y alloit. Le bon simple
mary, qui ne se doubtoit de rien, accorda ce
pelerinage, mais il vouloit qu'elle revenist le
jour qu'elle partiroit. «Peut estre, dit elle, retourneray
je au disner, ainsi que le temps nous
aprendra; mais premièrement, dit elle, il
convient que j'aye une paire de bons souliers.»
Tout luy fut liberalement accordé; et
pource que le mary demouroit seul, il luy
195dist qu'elle appoinctast son disner et soupper
tout ensemble, avant qu'elle se partist, aultrement
il yroit menger à la taverne. Elle fist
son commendement, car le jour de son partement
se leva bien matin pour aller à la boucherie,
et appoincta ung bon poussin et une
pièce de mouton, et puis manda le cordoennier
qui luy chaussa ses souliers. Et quand
toutes ses preparacions furent faictes, dist à
son mary que tout estoit prest, et qu'elle alloit
querir de l'eaue beneiste pour soy partir
après. Elle entre en l'eglise, et le premier
homme qu'elle trouva, ce fut celuy qu'elle
queroit, c'est assavoir son coustre, à qui elle
compta ces nouvelles, comment elle avoit
congié d'aller en pelerinage, et cetera, pour
toute la journée. «Mais il y a ung cas, dit elle;
je suis seure que si tost qu'il sentira que je
seray hors de l'ostel il s'en ira à la taverne,
et n'en retournera jusques au vespre bien
tard; je le cognois tel: et pourtant j'ayme
mieulx demourer à l'ostel tantdiz qu'il n'y
sera point que aller hors. Et doncques vous
vous rendrez une demye heure entour de
nostre hostel, affin que je vous mecte ens
par derrière, s'il advient que mon mary n'y
soit point; et s'il y est nous yrons faire nostre
pelerinage.» Elle vint à l'ostel, où elle trouva
encores son mary, dont elle ne fut pas trop
contente, qui luy dist: «Comment estes vous
cy encores?—Je m'en vois, dit elle, chausser
mes soulliers, et puis je ne tarderay guères que
je partiray.» Elle alla au cordoennier, et tantdiz
196qu'elle faisoit chausser ses souliers, son
mary passe par devant l'ostel au cordoennier
avec ung aultre son voisin qui alloit de coustume
à la taverne. Et combien qu'elle supposast
que, pource qu'il estoit acompaigné du
dit voisin, il s'en allast sur le bancq, toutesfoiz
si n'en avoit il nulle volunté, mais s'en
alloit sur le marché, pour trouver encores ung
ou deux bons compaignons et les amener
disner avecques luy au commencement qu'il
avoit davantage, c'est assavoir ce poussin et
la pièce de mouton. Or nous lairrons ycy
nostre mary sercher compaignie, et retournerons
à celle qui chaussoit ses souliers, qui, si
tost que chaussez furent, revint à l'ostel le
plus hastivement qu'elle peut, où elle trouva
le gentil coustre qui faisoit la procession entour
de l'ostel, à qui elle dist: «Mon amy,
nous sommes les plus eureux du monde, car
j'ay veu mon mary qui va à la taverne; j'en
suis seure, car il a ung sien goisson qu'il
maine par le bras, lequel ne le lairra pas retourner
quand il vouldra; et pour tant donnons
nous bon temps jusques à la nuyt. J'ay
appoincté ung bon poussin et une belle pièce
de mouton, dont nous ferons goghettes.» Et
sans plus rien dire le mist ens, et laissa l'huis
de devant entrouvert, affin que les voisins ne
se doubtassent. Or retournons maintenant à
nostre mary, qui a trouvé deux bons compaignons,
avec le premier dont j'ay parlé, lesquelz
il amaine pour desfaire ce poussin en
la compaignie de beau vin de Beaulne, ou
197aultre meilleur, s'il est possible d'en finer. A
l'arriver à sa maison, il entra le premier, où
incontinent qu'il fut entré il perceut noz
deux amans, qui faisoient ung pou d'ouvrage.
Et quand il vit sa femme qui avoit les jambes
levées, il luy dist qu'elle n'avoit garde de
user ses souliers, et que sans raison avoit traveillé
le cordoennier, puis qu'elle vouloit faire
son pelerinage par telle manière. Il hucha ses
compaignons et dist: «Messeigneurs, regardez
comment ma femme ayme mon prouffit; de
paour qu'elle ne use ses beaulx neufs souliers,
elle chevauche sur son doz; il ne l'a pas telle
qui veult.» Il prend ung petit demourant de ce
poussin, et luy dist qu'elle parfist son pelerinage;
puis ferma l'huys et la laissa avec son
coustre, sans luy aultre chose dire; et s'en
alla à la taverne, dont il ne fut pas tensé au
retourner, ne les aultres foiz quand il y alloit,
pource qu'il n'avoit rien ou pou parlé de ce
pelerinage que sa femme avoit fait à l'ostel.
Es marches de Picardie, ou diocèse
de Teroenne, avoit puis an et demy
en çà, ou environ, ung gentil
curé demourant à la bonne ville,
qui faisoit du gorgias tout oultre. Il portoit
la robe courte, chausses tirées, à la fasson
de court; tant gaillard estoit que l'on ne povoit
198plus, qui n'estoit pas pou d'esclandre
aux gens d'eglise. Le promoteur de Teroenne,
qui telles manières de gens appellent
dyable, fut informé du gouvernement de
nostre gentil curé, et le fist citer pour le corriger
et luy faire muer ses meurs. Il comparut à
tout ses habitz courts, comme s'il n'eust tenu
compte du promoteur, cuidant par aventure
que pour ses beaulx yeux on le deust delivrer;
mais ainsi n'advint. Quand il fut devant
monseigneur l'official, sa partie, le promoteur,
lui compta sa legende au long, demanda,
par ses conclusions, que ses habillemens et
aultres menues manières de faire luy fussent
defendues; et avec ce, qu'il fust condemné en
certaine emende. Monseigneur l'official, voyant
à ses yeux que tel estoit nostre curé qu'on luy
baptisoit, luy fist les deffenses, sur les peines
du canon, que plus ne se desguisast en telle
manière qu'il avoit fait, et qu'il portast longues
robes et courts cheveux; et avec ce, le condemna
à paier une bonne somme d'argent. Il
promist que ainsi feroit il, et que plus ne seroit
cité pour telles choses. Il print congié au
promoteur et retourna à sa cure; si tost qu'il
fut venu, il fist hucher le drapier et le parmentier,
si fist tailler une robe qui luy traisnoit
plus de trois quartiers, disant au parmentier
les nouvelles de Teroenne, comment c'est
assavoir avoit esté reprins de porter courte
robe, et qu'on luy avoit chargé de la porter
longue. Il vestit ceste robbe longue et
laissa croistre ses cheveulx de sa teste et de sa
199barbe, et en cest estat servoit sa parroiche,
chantoit messe et faisoit les autres choses appartenant
à curé. Le promoteur fut arrière
adverty comment son curé se gouvernoit oultre
la règle et bonne et honeste conversacion des
personnes d'eglise, qui le fist citer comme
devant, et il y comparut ès mesmes habitz
longs. «Qu'est cecy? dist monseigneur l'official
quand il fut devant luy; il semble que
vous vous mocquez des statuz et ordonnances
de l'eglise; voiez vous point comme les aultres
prestres s'abillent? Si ne fust pour l'honneur
de voz bons amys, je vous feroie affuler
la prison de ceans.—Comment, monseigneur,
dist nostre curé, ne m'avez vous pas
chargé de porter longue robe et longs cheveulx?
Ne fays je pas ainsi que m'avez commendé!
N'est pas ceste robe assez longue,
mes cheveux sont ilz point longs? Que voulez
vous que je face?—Je veil, dist monseigneur
l'official, que portez robe et cheveulx à
demy longs, ne trop ne pou; et pour ceste
grand faulte, je vous condemne à paier dix
livres au promoteur, vingt blancs à la fabrice
de ceans, et autant à monseigneur de Teroenne,
à convertir à son aumosne.» Nostre
curé fut bien esbahy, mais toutefois il faillit
qu'il passast par là. Il prend congé et revient
à sa maison, et pensa comment il s'abilleroit
pour garder la sentence de monseigneur l'official.
Il manda le parmentier, à qui il fist tailler
une robe longue d'un costé, comme celle
200dont nous avons parlé, et courte comme la
première de l'autre costé, puis se fist barbaier
du costé où la robe estoit courte; et en ce
point alloit par les rues et faisoit son divin
office. Et combien qu'on lui dist que c'estoit
mal fait, si n'en tenoit il toutesfoiz compte.
Le promoteur en fut encores adverty, et le fist
citer comme devant. Quand il comparut, Dieu
scet comment monseigneur l'official fut malcontent;
à peine qu'il ne saillit de son siége
hors du sens, quand il regardoit son curé estre
habillé en guise de mommeur. Si les aultres
deux foiz avoit esté bien rachassé, il le fut
encores mieulx à ceste foiz, et condemné en
belles et grosses amendes. Lors nostre bon
curé, se voyant ainsi desplumé d'amendes et
de condemnacions, dist: «Monseigneur l'official,
il me semble, sauve vostre reverence,
que j'ay fait vostre commandement; et entendez
moy, je vous diray la raison.» Adoncques
il couvrit sa barbe longue de sa main qu'il estandit
sus, et dist: «Si vous voulez, je n'ay
point de barbe.» Puis mist sa main de l'aultre
costé, couvrant la partie tondue ou rase, et
dist: «Si vous voulez, longue barbe. Est ce
pas ce que m'avez commendé?» Monseigneur
l'official, voyant que c'estoit ung vrai trompeur,
et qu'il se trompoit de luy, fist venir le
barbier et le parmentier, et devant tous les
assistens luy fist faire sa barbe et cheveulx,
et puis coupper sa robe de la longueur qu'il
estoit de besoing et de raison; puis le renvoya
201à sa cure, où il se maintint et conduit haultement,
gardant ceste dernière manière qu'il
avoit aprinse à la sueur de sa bourse.
Comme il est assez de coustume,
Dieu mercy, que en pluseurs religions
y a de bons compaignons à
la pie et au jeu des bas instrumens,
à ce propos, naguères avoit en ung couvent
de Paris ung bon frère prescheur, qui entre
les autres ses voisines choisit une trèsbelle
femmelette jeune et en bon point, et mariée
assez nouvellement à ung bon compaignon.
Et devint maistre moyne amoureux d'elle, et
ne cessoit de penser et subtilier voies et moiens
pour parvenir à ses attainctes, qui, à dire en
gros et en bref, estoient pour faire cela que
vous savez. Ores disoit: «Je feray ainsi», ores
concluoit aultrement. Tant de propos luy venoient
en la teste qu'il ne savoit sur lequel
s'arrester; trop bien disoit il que de langage
n'estoit point de abatre, «car elle est trop bonne
et trop seure; force est que, si je veil parvenir
à mes fins, que par cautele et deception je la
gaigne.» Or escoutez de quoy le larron s'advisa,
et comment frauduleusement la pouvre
202beste il attrapa, et son desir trèsdeshonneste
qu'il proposa accomplir. Il faindit ung jour
d'avoir trèsgrand doleur en ung doy, celluy
d'emprès le poulce qui est le premier des quatre
en la main dextre; et de fait le banda et
envelopa de draps linges, et le dora d'aucun
oignement trèsfort sentent. Et en ce point se
tint ung jour ou deux, tousjours se monstrant
aval son eglise devant la dessus dicte, et Dieu
scet s'il faisoit bien la dole. La simplette le
regardoit en pitié, et voyoit bien à sa contenance
que grand doleur le martiroit; et pour
la grand pitié qu'elle en eut, luy demanda son
cas; et le subtil regnard luy compta si trèspiteusement
qu'il sembloit mieulx hors de son
sens que aultrement, tant sentoit grand doleur.
Ce jour se passa; et à lendemain, environ
l'heure de vespres, que la bonne femme estoit
à l'ostel seulette, ce patient la vient trouver,
ouvrant de soye, et emprès d'elle se met,
faisant si trèsbien le malade que nul ne l'eust
veu à ceste heure qui ne l'eust jugé en trèsgrand
danger. Or se viroit vers la fenestre,
maintenant vers la femme; tant d'estranges
contenances il faisoit que vous fussez esbahy
et abusé à le veoir. Et la simplette, qui toute
pitié en avoit, à peine que les larmes ne luy
sailloient des yeulx, le confortoit au mieulx
qu'elle savoit: «Helas! frère Aubry, disoit
elle, avez vous parlé aux medicins telz et
telz?—Oy certes, m'amye, disoit il, il n'y a
medicin ne cyrurgien en Paris qui n'ait veu
mon cas.—Et qu'en disent ils? souffrerez vous
203longuement ceste doleur?—Helas! oy, voire
encores plus la mort, si Dieu ne m'aide; car
en mon fait n'a que ung remède, et j'aymeroie
à peine autant mourir que le deceler; car il
est mains que bien honeste et tout estrange de
ma profession.—Comment! dist la pouvrette,
et n'est ce pas mal fait et peché à vous d'ainsi
vous laisser passionner? Vous vous mettez en
dangier de perdre sens et entendement, ad ce
que je voy vostre doleur tant aspre.—Par
dieu, bien aspre et terrible est elle, dist frère
Aubry; mais quoy! Dieu le m'a envoié, loé
soit-il; je aray pacience, et suis tout conforté
d'attendre la mort, car c'est le vray remède
de mon mal, voire excepté ung dont je vous
ay parlé, qui me gariroit tantost; mais quoy!
comme je vous ay dit, je n'oseroie dire quel
il est; et quand ainsi seroit que je serois
forcé à deceler ce que c'est, je n'aroie le hardement
ne le vouloir de le mectre à execution.—Et
par ma foy, dist la bonne femme,
frère Aubry, il me semble que vous avez tort
de tenir telz termes; et pour Dieu, dictes moy
qu'il faut pour vostre garison, et je vous asseure
que je mettray peine et diligence à trouver
ce qui y servira. Pour Dieu, ne soiez cause
de vostre perdicion; laissez vous aider et secourir.
Or dictes moy que c'est, et vous verrez
se je vous aideray; si feray par Dieu, et
me deust il couster plus que vous ne pensez.»
Damp moine, voyant la bonne volunté de sa
voisine, après ung grand tas d'excusances et
de refus que pour estre bref je trespasse, dist
204à basse voix: «Puis qu'il vous plaist que je
le dye, je vous obeiray. Les medicins, tous
d'un accord, m'ont dit qu'en mon fait n'a
que ung seul remède, c'est de bouter mon
doy malade dedans le lieu secret d'une femme
nette et honeste, et le tenir là une bonne
pièce de temps, et après l'oingdre d'un oignement
dont ilz m'ont baillé la recepte. Vous
oez que c'est, et pource que je suis de ma
nature et propre coustume honteux, j'ay mieulx
amé endurer et seuffrir jusques cy les maulx
que j'ay porté qu'en rien dire à personne vivant;
vous seule savés mon cas, et malgré
moy.—Hola! hola! dist la bonne femme, je
ne vous ay dit chose que je ne face; je vous
veil aider à garir: je suis contente et me plaist
bien pour vostre garison et santé, et vous oster
de la terrible angoisse qui vous tourmente,
que je vous preste le lieu pour bouter vostre
doy malade.—Et Dieu le vous rende, damoiselle!
Je n'en eusse osé requerir vous ne
aultre; mais puis qu'il vous plaist me secourir,
je ne seray jà cause de ma mort. Or nous
mettons donc, s'il vous plaist, en quelque
lieu secret que nul ne nous voye.—Il me
plaist bien», dist elle. Si le mena en une trèsbelle
garderobe, et serra l'huys, et sur le lit se
mist; et maistre moyne luy lève ses draps, et
en lieu du doy de la main bouta son perchant
dur et roidde. Et à l'entrer qu'il fist, elle qui
le sentit si trèsgros: «Comment! dist elle, et
vostre doy, comment peut il estre si gros? je
n'oy jamais parler du pareil.—En verité, fist il,
205ce fait la maladie qui en ce point le m'a mis.—Vous
me comptez merveilles», dit elle. Et
durant ces langages, maistre moyne accomplit
ce pour quoy si bien avoit fait le malade.
Et celle qui sentit et cetera, demanda que
c'estoit; et il respondit: «C'est le clou de
mon doy qui est effondré; je suis comme gary,
ce me semble, Dieu mercy et la vostre.—Et
par ma foy, ce me plaist moult, ce dit la
dame, qui lors se leva; si vous n'estes bien
gary, si retournez toutesfoiz qu'il vous plaist:
car pour vous oster de doleur, il n'est rien
que je ne face; et ne soiez plus si honteux
que vous avez esté pour vostre santé recouvrer.»
Or escoutez, s'il vous plaist, qu'il advint
l'aultrhier à ung simple riche
curé de village, qui par simplesse
fut à l'emende devers son evesque
en la somme de cinquante bons escuz d'or.
Ce bon curé avoit ung chien qu'il avoit nourry
de jeunesse et gardé, qui tous les aultres
chiens du païs passoit d'aller en l'eaue querir le
vireton, ung chappeau si son maistre l'oblyoit
ou de fait apensé le laissoit quelque part.
Bref, tout ce que bon et sage chien doit et scet
faire il estoit le passe route; et à l'occasion
206de ce, son maistre l'amoit tant, qu'il ne seroit
pas legier à compter combien il en estoit assoté.
Advint toutesfoiz, je ne sçay par quel
cas, ou s'il eut trop chault ou trop froit, ou
s'il mengea quelque chose qui mal luy fist, qu'il
devint trèsmalade, et de ce mal mourut, et de ce
siecle tout droit au paradis des chiens alla. Que
fist ce bon curé? Il qui sa maison, c'est assavoir
le presbitaire, dessus le cimitère avoit,
quand il vit son chien de ce monde trespassé,
il se pensa que une si sage et bonne beste ne
demourast sans sepulture; et pourtant il fist une
fosse assez près de l'huys de sa maison, qui
dessus l'aitre, comme dit est, respondoit, et là
l'enfouyt et sepultura. Je ne sçay pas s'il luy
fist ung marbre et par dessus engraver une
epythaphe, si m'en tais. Ne demoura guères
que la mort du bon chien au curé fut par le
village et les lieux voisins annuncé, et tant
s'espandit que aux oreilles de l'evesque du
lieu parvint, ensemble de la sepulture saincte
que son maistre luy bailla; si le manda vers
luy venir par une citation que ung cicaneur luy
apporta. «Helas! dist le curé au cicaneur, et
que ay je fait, et qui m'a fait citer d'office? Je
ne me sçay trop esbahir que la court me demande.—Quand
à moy, dit l'autre, je ne
sçay qu'il y a, si ce n'est pour tant que vous
avez enfouy vostre chien dedans lieu saint où
l'on mect les corps des chrestians.—Ha! ce
pensa le curé, c'est cela?» Or à primes luy vint
en teste qu'il avoit mal fait, et dist bien en
soy mesmes qu'il passeroit par là, et que s'il
207se laisse emprisonner qu'il sera escorché, car
monseigneur l'evesque, la Dieu mercy, est
le plus convoiteux prelat de ce royaume, et
si a gens entour de luy qui scevent faire venir
l'eaue au moulin, Dieu scet comment. «Or
bien force est que je la perde; si vault mieulx
tost que tard.» Il vint à sa journée, et de plain
bout s'en alla devers monseigneur l'evesque,
qui tantost comme il le vit luy fist ung grand
prologue pour la sepulture saincte qu'il avoit
fait bailler à son chien, et luy baptisa son cas
si merveilleusement qu'il sembloit que le curé
eust fait pis que regnier Dieu. Et après tout
son dire, il commenda que le curé fust mené
en la prison. Quand le curé vit qu'on le vouloit
bouter en la boeste aux caillouz, il requist
qu'il fust oy, et monseigneur l'evesque luy
accorda. Et devez savoir que à ceste calonge
estoient foison de gens de grand fasson,
comme l'official, les promoteurs, les scribe,
notaires, advocatz et procureurs, qui tous
ensemble grand joye avoient du non accoustumé
cas du pouvre curé, qui à son chien
avoit donné la terre saincte. Le curé en sa
defense et excuse parla en bref et dist: «En
verité, monseigneur, si vous eussez autant
congneu mon bon chien, à qui Dieu pardoint,
comme j'ay, vous ne seriez pas tant esbahy
de la sepulture que je luy ai ordonnée comme
vous estes, car son pareil ne fut ne jamais
sera.» Et lors racompta balme de son fait:
«Et s'il fut bien bon et sage en son vivant,
encores le fut il autant ou plus à sa mort,
208car il fist un trèsbeau testament, et pour
ce qu'il savoit vostre necessité et indigence,
il vous ordonna cinquante escuz d'or, que
je vous apporte.» Si les tira de son sein et
à l'evesque les bailla, qui les receut voluntiers,
et lors loa et approuva le sens du vaillant
chien, ensemble son testament et la sepulture
qu'il luy bailla.
Ilz estoient n'a guères une assemblée
de bons compaignons faisans
bonne chère en la taverne, et buvant
d'autant et d'autel. Et quand
ilz eurent beu et mangé, et fait si bonne chère
que jusques à loer Dieu et aussi usque ad hebreos
la plus part, et qu'ilz eurent compté et
paié leur escot, les aucuns commencèrent à
dire: «Comment nous serons festoyés de noz
femmes, quand nous retournerons à l'ostel!
Dieu scet que nous ne serons pas excommuniez:
on parlera bien à noz barbes.—Nostre
dame! dist l'un, je craing bien de m'y trouver.—Ainsi
m'aist Dieu, dit l'autre, aussi
fays je moy; je suis tout seur d'oyr la passion.
Pleust à Dieu que ma femme fust muette! je
buroye trop plus hardiment que je ne faiz.»
209Ainsi disoient trestous, fors l'un d'eulx qui
estoit bon compaignon, qui leur alla dire:
«Et comment, beaulx seigneurs, vous estes
donc bien fort maleureux, qui avez chacun
femme qui ainsi vous reprend d'aller à la taverne,
et est tant mal contente que vous buvez?
Par ma foy, Dieu mercy, la mienne n'est
pas telle; car de boire que je face vous n'avez
garde qu'elle en parle; mesmes, qui plus est,
si je buvoie dix, voire cent foiz le jour, si n'est
ce pas assez à son gré; bref, oncques je ne
beu qu'elle n'eust voulu que j'eusse plus beu
la moitié. Car quand je reviens de la taverne,
elle me souhaitte tousjours le demourant du
tonneau dedans le ventre, et le tonneau avecques;
si n'esse pas signe que je boive assez
à son gré?» Quand ses compaignons oyrent
ceste conclusion, ilz se prindrent à rire et loèrent
beaucop son compte, et sur ce s'en allèrent
tous, chacun à sa chacune. Nostre bon
compaignon qui le compte avoit fait s'en
vint à l'hostel, où il trouva Pou Paisible sa
femme toute preste à tanser, qui de si loing
qu'elle le vit commença la souffrance accoustumée;
et de fait, comme elle souloit, luy
souhaitta le demourant du vin du tonneau dedans
le ventre. «La vostre mercy, m'amye,
dist il; encores avez vous meilleure coustume
que les aultres femmes de ceste ville: elles
enragent de ce que leurs mariz boivent ne
tant ne quant, et vous, Dieu le vous rende,
vouldriez bien que je beusse tousjours ou une
bonne foiz qui tousjours durast.—Je ne sçay,
210dit elle, que je vouldroie, sinon que je prie
à Dieu que tant vous buvez ung jour que vous
puissez crever.» Comme ilz se devisoient
ainsi doulcement comme vous oez, le pot à
la porée, qui sur le feu estoit, commence à
s'enfuyr par dessus, pource que trop aspre
feu avoit; et le bon homme, voyant que sa
femme n'y mettoit point la main, luy dist:
«Et ne veez vous, dame, ce pot qui s'en
fuit?» Et elle, qui encores rappaisée n'estoit,
luy respondit: «Si faiz, sire, je le voy bien.—Or
le haulsez donc, Dieu vous mecte en mal
an!—Si feray je, dist elle, je le haulseray,
je le mectz à xij. deniers.—Voire, dist il,
dame, est ce la response? Haulsez ce pot, de
par Dieu!—Et bien, dit elle, je le mectz à
vij. sols; est ce assez hault?—Hen! hen!
dist il, et par saint Jehan! ce marché ne se
passera pas sans trois coups de baston.» Et
il choisit ung gros baston et en descharge de
toute sa force sur le doz de madamoiselle, en
disant: «Ce marché vous demoure.» Et elle
commence à cryer alarme, tant que les voisins
s'i assemblèrent, qui demandèrent que
c'estoit; et le bon homme racompta l'ystoire
comme elle alloit, dont ilz rirent trèsbien de
celle à qui le marché demoura.
Es metes et marches de France avoit
ung riche et puissant chevalier, noble
tant par l'ancienne noblesse de
ses predecesseurs comme par propres
nobles et vertueux faiz. De sa femme espousée
avoit une seule fille, trèsbelle et trèsadressée
pucelle, eagée de xvj. à xvij. ans ou
environ. Ce bon et noble chevalier, voyant
sa dicte fille avoir attaint à l'eage habile et
ydoine pour estre allyée et conjoincte par mariage,
eut trèsgrande volunté de la donner à
ung chevalier son voysin, trèsriche, non toutesfoiz
noble de parentage comme de grosses
richesses et puissances temporelles; avec ce
aussi, eagé de lx. à quatre vingts ans ou environ.
Ce vouloir rongea tant autour de la teste
du père dont j'ay parlé, que jamais ne cessa
jusques ad ce que les allyances et promesses
furent faictes entre luy et sa femme, mère de
la dicte pucelle, et le dit chevalier, touchant
le mariage de luy avec la dicte fille, qui des
assemblées, promesses et traictiez ne savoit
rien, et n'y pensoit aucunement. Assez prochain
de l'ostel d'iceluy chevalier père de la
pucelle, avoit ung aultre jeune chevalier vaillant
212et riche moyennement, non pas tant de
beaucop comme l'autre ancien dont j'ay parlé,
qui estoit trèsardent et fort embrasé de l'amour
d'icelle pucelle. Et pareillement elle, pour la
vertueuse et noble renommée de luy, en estoit
trèsfort enlassée, et combien que à dangier
parlassent l'un à l'autre, car le père s'en doubtoit
et leur ostoit et rompoit les moyens et
voies qu'il povoit, toutesfoiz si ne les povoit
il forclorre de l'entière et trèsloyale amour
dont leurs deux cueurs estoient mutuellement
entreliez et embrasez. Et quand fortune leur
favorisoit tant que ensemble les faisoit deviser,
d'aultre chose ne tenoient leurs devises
que de pourpenser et adviser le moien par lequel
leur souverain desir pourroit estre accomply
par legitime mariage. Or s'approucha
le temps que icelle pucelle deut estre donnée
à ce seigneur ancien, et le marché et traictié
luy fut par son père descouvert et assigné le
jour qu'elle devoit espouser, dont ne fut pas
pou courroussée; mais elle se pensa qu'elle y
mectroit remède. Elle envoya vers son trèschier
amy le jeune chevalier, et luy manda
qu'il venist celéement le plus qu'il pourroit.
Et quand il fut venu, elle luy compta les allyances
faictes d'elle et de l'autre ancien chevalier,
demandant sur ce conseil de tout rompre;
car d'autre que de luy ne vouloit estre
espouse. Le chevalier luy respondit: «M'amye
trèschère, puisque vostre bonté se veult
tant humilier que de moy offrir ce que je n'oseroie
requerir sans trèsgrand vergoigne, je
213vous remercie; et, si vous voulez perseverer
en ceste bonne volunté, je sçay que nous devons
faire. Nous prandrons et assignerons ung
jour en ceste ville bien acompaigné de mes
amys et serviteurs, et à certaine heure vous
rendrez en quelque lieu que me direz maintenant
où je vous troveray seule. Vous monterez
sur mon cheval et vous mainray en mon
chasteau; et puis, si nous povons appaiser
monseigneur vostre père et ma dame vostre
mère, nous procederons à la consummacion
de noz promesses.» La pucelle dist que c'estoit
bien advisé, et qu'elle savoit comment s'i
povoit convenablement conduire. Si luy dist
que tel jour et telle heure venist en tel lieu où
il la trouveroit, et puis feroit tout bien ainsi
qu'il avoit advisé. Le jour de l'assignacion
vint: si comparut ce bon jeune chevalier au
lieu où l'on luy avoit dit, et où il trouva sa
dame, qui monta derrière luy sur son cheval,
puis picquèrent fort tant qu'ilz eurent eloigné
la place. Quand ilz se trouvèrent aucun petit
eloignez, ce bon chevalier, craignant qu'il ne
traveillast sa trèschière amye, rompit son legier
pas et fist espandre tous ses gens par divers
chemins pour veoir se quelque ung les
suyvoit, et chevauchoit à travers champs sans
tenir voies ne sentiers le plus doulcement et
debonnairement qu'il povoit, et chargea à ses
gens qu'ilz se trouvassent ensemble tous à ung
gros village qu'il leur nomma, où il avoit intencion
de repaistre. Ce village estoit assez
estrangé de la voye commune des chevaucheurs
214et chemineurs; et tant chevauchèrent
les dits amans qu'ilz vindrent seuletz au dit
village, où la feste generale se faisoit, à laquelle
y avoit gens de toutes sortes et grand
foison. Ilz entrèrent en la meilleur taverne de
tout le lieu, et incontinent demandèrent à
boire et à menger, car il estoit tard après disner,
et la pucelle estoit trèsfort traveillée. Ilz
firent faire bon feu et trèsbien appoincter à
menger pour les gens du dit chevalier, qui
n'estoient encores venuz. Guères n'eurent esté
en leur hostellerie que veezcy venir quatre
gros charruyers ou bouviers plus villains encores,
et entrèrent baudement en cest hostel,
demandans rigoreusement où estoit la ribauldelle
que ung ruffien naguères avoit amenée
derrière luy sur ung cheval, et qu'il failloit
qu'ilz bussent avec elle et à leur tour la gouverner.
L'oste, qui estoit homme bien cognoissant
le dit chevalier, bien sachant que
ainsi n'estoit que les ribauldz disoient, leur
respondit gracieusement que telle n'estoit elle
qu'ilz cuidoient. «Par cy, par là, dirent ilz,
si vous ne la nous livrés incontinent, nous
abattrons les huys et l'enmerrons par force et
malgré vous deus.» Quand le bon hoste entendit
et cogneut leur rigueur, et que sa doulce
parolle ne luy prouffitoit point, il leur nomma
le nom du chevalier, lequel estoit trèsrenommé
ès marches, mais pou cogneu des gens, à l'occasion
que tousjours avoit esté hors du païs,
acquerant honneur et renommée glorieuse ès
guerres et voyages loingtains. Leur dist aussi
215que la femme estoit une jeune pucelle parente
au dit chevalier, laquelle estoit née et yssue
de grand maison et noble parentage. «Helas!
messeigneurs, vous povez, dist il, sans dangier
de vous ne d'aultruy, estaindre et passer
voz chaleurs desordonnées avecques plusieurs
aultres qui, à l'occasion de la feste de ce village,
sont venues et arrivées, et pour aultre
chose non que pour vous et voz semblables.
Pour Dieu, laissez en paix ceste noble fille,
et mettez devant voz yeulx les grands dangiers
où vous boutez, et ne soiez jà si presumptueux
de cuider que le chevalier la vous
laisse mener sans la defendre. Pensez, pensez
voz vouloirs desraisonnables et le grand mal
que vous voulez commectre à petite occasion.—Cessez
vostre sermon, dirent les loudiers,
tous alumez du feu de concupiscence charnelle,
et donnez nous voye que la puissions
avoir; aultrement vous ferons honte et blasme,
car en publicque ycy nous l'amerrons, et chacun
de nous quatre en fera son bon plaisir.»
Les parolles finées, le bon hoste monta en la
chambre où le chevalier et la bonne pucelle
estoient, puis hucha à part le chevalier, à qui
il compta la volunté des quatre villains enragez,
lequel, quand il eut tout bien et constamment
entendu sans estre guères troublé,
descendit, garny de son espée, parler aux quatre
ribaulx, leur demandant trèsdoulcement quelle
chose il leur plaisoit. Et ainsi, rudes et malsades
qu'ilz estoient, respondirent qu'ilz vouloient
avoir la ribauldelle qu'il tenoit fermée
216en sa chambre, et que, si doulcement ne leur
bailloit, ilz luy tolliroient et raviroient à son
grand dommage. «Beaulx seigneurs, dist le
chevalier, si vous me cognoissiez bien, vous
ne me tiendriez pour tel qui maine par les
champs les femmes telles que vous nommez
ceste; oncques ne feiz telle folie, la Dieu
mercy; et quand la volunté me seroit telle,
que Dieu ne veille! jamais je ne le feroye ès
marches dont je suis et tous les miens. Ma
noblesse et la netteté de mon courage ne
pourroient souffrir que ainsi me gouvernasse.
Ceste femme est une jeune pucelle, ma cousine
prochaine, yssue de noble maison; et je
vois pour esbatre et passer temps doulcement,
la menant avec moy, acompaigné de mes gens,
lesquelx, jasoit qu'ilz ne soient cy presens, toutesfois
viendront ilz tantost, et je les attens;
et ne soiez jà si abusez en voz courages que
je me repute si lasche que je la laisse villanner
ne souffrir luy faire injure tant ne quant,
mais la defendray aussi avant et aussi longuement
que la vigueur de mon corps pourra durer
et jusques à la mort.» Avant que le chevalier
eust finé sa parolle, les villains plastriers
luy entrerompirent en nyant premier qu'il fust
celuy qu'il avoit nommé, pource qu'il estoit
seul, et le dit chevalier ne chevauchoit jamais
que en grand compaignie de gens. Pour quoy
luy conseillèrent qu'il baillast la dicte femme,
s'il estoit sage, ou aultrement luy tolliroient
par force, quelque chose qui s'en puist ensuyr.
Helas! quand le vaillant et courageux chevalier
217perceut que doulceur n'avoit point lieu en
ses responces, et que rigueur et haulteur occupoient
la place, il se ferma en son courage,
et résolut que les villains n'aroient jà la joissance
de la pucelle, ou il y mourroit en la defendant.
Pour faire fin, l'un de ces quatre
s'avança de ferir de son baston à l'huis de la
chambre, et les aultres le suyrent, qui furent
vaillamment reboutez du chevalier. Et ainsi se
commença la bataille, qui dura assez longuement.
Combien que les deux parties fussent
dispareilles, ce bon chevalier vaincquit et rebouta
les quatre ribaulx, et, ainsi qu'il les
poursuyvoit chassant pour en estre au dessus,
l'un d'iceulx, qui avoit ung glaive, se vira
subit et le darda en l'estomac du chevalier et
le percha de part en part, du quel cop incontinent
cheut tout mort, dont ilz furent trèsjoieux.
Ce fait, l'oste fut par eulx contraint
de l'enfouir et mettre en terre ou au jardin de
l'ostel, sans esclandre ne noise; aultrement
ilz le menassoient tuer. Quand le chevalier fut
mort, ilz vindrent hurter à la chambre où estoit
la pucelle, à qui desplaisoit moult que son
amoureux tant demouroit, et boutèrent l'huis
oultre. Et si tost qu'elle vit les bourgois entrer,
elle jugea tantost que le chevalier estoit
mort, disant: «Helas! où est ma garde? où est
mon seul refuge? Qu'est il devenu? Dont vient
que ainsi me laisse seullette?» Les ribaulx,
voyans qu'elle estoit ainsi troublée, la cuidèrent
faulsement decevoir par doulces parolles,
en disant que le chevalier estoit en une maison,
218et qu'il luy mandoit qu'elle y allast avec
eulx, et que plus seurement s'i pourroit garder;
mais riens n'en voult croire, car le cueur tousjours
luy jugeoit qu'ilz l'avoient tué et murdry.
Si commença à soy dementer et crier plus
amèrement que devant. «Qu'est ce cy, dirent
ilz, que tu nous faiz estrange manière? Cuides
tu que nous ne te cognoissions? Si tu as suspeçon
sur ton ruffien qu'il ne soit mort, tu n'es
pas abusée: nous en avons delivré le païs.
Pour quoy soies toute asseurée que nous quatre
arons chacun ta compaignie.» Et, à ces
motz, l'un d'eulx s'avance, qui la prent le
plus rudement du monde, disant qu'il aura sa
compaignie avant qu'elle luy eschappe, veille
ne daigne. Quand la pouvre pucelle se voit
ainsi efforcée, et que la doulceur de son langage
ne luy portoit point de prouffit, leur dist:
«Helas! messeigneurs, puis que vostre mauvaise
volunté est ainsi tournée, et que humble
prière ne la peut adoulcir ne ploier, au mains
aiez en vous ceste honesteté que, puis qu'il
fault que à vous je soie abandonnée, ce soit
premièrement à l'un sans la presence de l'autre.»
Ilz luy accordèrent, jasoit ce que trèsenvys,
et puis luy firent choisir pour eslire
celuy d'eulx quatre qui devoit demourer avec
elle. L'un d'eulx, lequel elle cuidoit estre le
plus begnin et doulx de tous, elle eleut; mais
de tous estoit il le pire. La chambre fut fermée,
et tantost après la bonne pucelle se gecta
aux piez du ribaulx, en luy faisant pluseurs
piteuses remonstrances, luy priant qu'il eust
219pitié d'elle. Mais tousjours perseverant en malignité,
dist qu'il feroit sa volunté d'elle. Quand
elle le vit si dur et obstiné, et que sa prière
trèshumble ne vouloit exaulser, luy dist: «Or
çà, puis qu'il convient qu'il soit, je suis contente;
mais je vous supply que cloiez les fenestres,
affin que nous soyons plus secrètement.»
Il l'accorda bien envys, et, tantdiz
qu'il les cloyoit, la pucelle sacqa ung petit
cousteau qu'elle avoit pendu à sa cincture, se
trencha la gorge et rendit l'ame. Et quand le
ribauld la vit couchée à terre morte, il s'en
fuyt avecques ses compaignons. Et est à supposer
qu'ilz ont esté puniz selon l'exigence du
cas piteux. Ainsi finèrent leurs jours les deux
loyaux amoureux tantost l'un après l'autre,
sans percevoir rien du joieux plaisir où ilz
cuidoient ensemble vivre et durer tout leur
temps.
S'il vous plaist, vous orrez, avant qu'il
soit plus tard, tout à ceste heure
ma petite ratelée et compte abregé
d'un vaillant evesque d'Espaigne,
qui pour aucuns afferes du roy de Castille,
son maistre, ou temps de ceste histoire, s'en
alloit en court de Romme. Ce vaillant prelat,
220dont j'entens fournir ceste derreniere nouvelle,
vint ung soir en une petite villette de
Lombardie; et luy estant arrivé par ung vendredy
assez de bonne heure, vers le soir, ordonna
son maistre d'ostel le faire souper de
bonne heure, et le tenir le plus aise que faire
ce pourroit, de ce dont on pourroit recouvrer
en la ville; car la mercy Dieu, quoyqu'il fust et
gros et gras, et ne se donnoit de traveil que
bien à point, si n'en jeunoit il journée. Son
maistre d'ostel, pour luy obéir, s'en alla au
marché, et par toutes les poissonneries de la
ville pour trouver du poisson. Mais pour faire
le compte bref, il n'en peut oncques recouvrer
d'un seul lopin, quelque diligence que
luy et son hoste en sceussent faire. D'adventure,
eulx s'en retournans à l'ostel sans poisson,
trouvèrent ung bon homme des champs
qui avoit deux bonnes perdriz et ne demandoit
que marchant. Si s'en pensa le maistre
d'ostel que s'il en povoit avoir bon compte,
elles ne luy eschapperoient pas, et que bonnes
seroient pour dimenche, et que son maistre en
feroit grand feste. Il les acheta et en eut bon
pris. Il vint vers son maistre ses deux perdriz
en sa main, toutes vives, grasses, et bien refaictes,
et luy compta l'eclipse de poisson qui
estoit en la ville, dont il n'estoit pas trop
joyeulx. Et luy, dist: «Et que pourrons nous
soupper?—Monseigneur, respondit il, je
vous feray faire des oeufs en plus de cent mille
manières; vous aurez aussi des pommes et
des poires. Nostre hoste a aussi de bon fromage
221et bien gras: nous vous tiendrons bien
aise. Ayez pacience pour meshuy, ung soupper
est tantost passé; vous serez demain plus
aise, si Dieu plaist. Nous yrons en la ville,
qui est trop mieulx empoissonnée que ceste
cy; et Dimenche vous ne povez faillir d'estre
bien disné, car veezcy deux perdriz que j'ay
pourveues, qui sont à bon escient bonnes et
bien nourries.» Ce maistre evesque se fist bailler
ces perdriz, et les trouva telles qu'elles
estoient bonnes à bon escient; si se pensa
qu'elles tiendroient à soupper la place du
poisson qu'il cuidoit avoir, dont il n'avoit
point; car il n'en peut oncques trouver. Si les
fist tuer bien en haste, plumer, larder et
mettre en broche. Lors le maistre d'ostel,
voyant qu'il les vouloit rostir, fut esbahy et
dist à son maistre: «Monseigneur, elles sont
bonnes tuées, mais les rostir maintenant pour
le Dimanche, il ne me semble pas bon.» Ledit
maistre d'ostel perdoit son temps, car, quelque
chose qu'il sceut remonstrer, si ne la voulut
il croire: elles furent mises en broche et
rosties. Le bon prelat estoit la plus part du
temps qu'elles mirent à cuire tousjours present,
dont son maistre d'ostel ne se sçavoit
assez esbahir, et ne savoit pas bien l'appetit
desordonné de son maistre qu'il eust à ceste
heure de devorer ces perdrix, ainçois cuidoit
qu'il le fist pour Dimenche les avoir plus
prestes au disner. Lors les fist ainsi habiller,
et quand elles furent prestes et rosties, la table
couverte et le vin aporté, oeufz en diverses
222façons habillez et mis à point, si s'assit le prelat,
et le benedicite dit, demanda les perdris
avec de la moustarde. Son maistre d'ostel,
desirant savoir que son maistre vouloit faire
de ces perdriz, si les luy mist devant luy
toutes venantes de la broche, rendantes une
fumée aromaticque assez pour faire venir
l'eaue à la bouche d'ung friant. Et bon evesque
d'assaillir ces perdrix et desmembrer
d'entrée la meilleure qui y fust; et commence
à trencher et menger, car tant avoit haste,
que oncques ne donna loisir à son escuier qui
devant luy tranchoit qu'il eust mis son pain
ne ses cousteaux à point. Quand ce maistre
d'ostel vit son maistre s'attraper à ces perdris,
il fust bien esbahy et ne se peut taire ne
tenir de luy dire: «Ha, monseigneur, que faictes
vous? Estes vous Juif ou Sarrazin, qui ne
gardez aultrement le vendredy? Par ma foy,
je me donne grand merveille de vostre faict.—Tais
toy, tais toy, dist le bon prelat, qui
avoit toutes les mains grasses et la barbe aussi
de ces perdris; tu es beste, et ne sçais que tu
dis. Je ne fays point de mal. Tu sçais et congnois
bien que par parolles moy et tous les
aultres prestres faisons d'une hostie, qui n'est
que de bled et d'eaue, le precieux corps de
Jhesu-Crist; et ne puis je donc pas, par plus
forte raison, moy qui tant ay veu de choses
en court de Romme, et en tant de divers
lieux, savoir par paroles faire convertir ces
perdriz, qui est chair, en poisson, jasoit ce
qu'elles retiennent la forme de perdriz? Si fais,
223dya; maintes journées sont passées que j'en
sçay bien la pratique. Elles ne furent pas si
tost mises à la broche que, par les parolles que
je sçay, je les charmé tellement que en substance
de poisson se convertirent; et en pourriez
trestous qui estes icy menger, comme moy,
sans peché. Mais pour l'ymagination que vous
en pouriez prendre, elles ne vous feroient
jà bien; si en feray tout seul le meschief.» Le
maistre d'ostel et tous les autres de ses gens
commencèrent à rire, et firent semblant de
adjouster foy à la bourde de leur maistre, trop
subtilement fardée et colorée; et en tindrent
depuis manière du bien de luy, et aussy maintesfoiz
en divers lieux joyeusement le racomptèrent.
En la bonne, puissant et bien peuplée
cité de Jannes, puis certain
temps en çà, demouroit ung gros
marchant plain et comblé de biens
et de richesses, duquel l'industrie et manière
de vivre estoit de mener et conduire grosses
marchandises par la mer ès estranges païs, et
specialement en Alixandrie. Tant vacca et entendit
au gouvernement des navires, à entasser
thesaur et amonceler grandes richesses,
224que durant tout le temps, jusques à l'eage
de cinquante ans, qu'il s'y adonna depuis sa
tendre jeunesse, ne luy vint volunté ne souvenance
d'aultre chose faire. Et comme il fut
parvenu à l'eage dessus dicte, ainsi que une
foiz pensoit sur son estat, voyant qu'il avoit
despendu tous ses jours et ans à rien aultre
chose faire que cuillir et accroistre sa richesse,
sans jamais avoir eu ung seul moment ou minute
de temps ouquel sa nature luy eust
donné inclinacion pour penser ou induire à soy
marier, affin d'avoir generacion qui aux grans
biens qu'il avoit à grand diligence et grand
labour amassez et acquis luy succedast, et luy
après luy les possedast, conceut en son courage
une aigre et trèspoingnant doleur; et luy
despleut à merveilles que ainsi avoit exposé
et despendu ses jeunes jours. En celle aigre
doleance et regretz demoura aucuns jours, pendant
lesquelx advint que en la cité dessus
nommée, les jeunes et petiz enfans, après
qu'ilz avoient solennizé aucune feste accoustumée
entr'eulx par chacun an, habillez et
desguisez diversement et assez estrangement,
les ungs d'une manière, les aultres d'aultre,
se vindrent rendre en grant nombre en ung
lieu où les publicques et accoustumez esbatemens
de la cité se faisoient communement,
pour jouer en la presence de leurs pères, mères
et amys, affin d'en reporter gloire, renommée
et loange. A ceste assemblée comparut et
se trouva ce bon marchant, remply de fantasies
et de souciz; et voyant les pères et les
225mères prendre grand plaisir à veoir enfans
jouer et faire souplesses et apertises, aggrava
sa doleur qu'il par avant avoit de soy mesmes
conceu; et en ce point, sans les povoir plus
adviser ne regarder, triste et pensif retourna
en sa maison, et seulet se rendit en sa chambre,
où il fut aucun temps faisant complainte
en ceste manière: «Ha! pouvre maleureux
veillart, tel que je suis et tousjours ay esté,
de qui la fortune et destinée sont dures, amères
et mal goustables! O chetif homme, plus
que tous aultres recreant et las, par les veilles,
peines, labours et ententes que tu as prins et
porté tant par mer que par terre! Ta grande
richesse et tes comblés thesors sont bien
vains, lesquelx soubz perilleuses adventures,
en peines dures et sueurs, tu as amassé et
amoncelé, et pour lesquelx tout ton temps as
despendu et usé, sans avoir oncques une petite
et passant souvenance de penser qui sera celuy
qui, toy mort et party de ce siècle, les possedera,
et à qui par loy humaine les devray laisser en
memoire de toy et de ton nom. Ha! meschant
courage, comment as tu mis en non challoir
ce à quoy tu devois donner entente singulière?
Jamais ne t'a pleu mariage, fuy l'as
tousjours, craint et refusé, mesmement hay et
mesprisé les bons et justes conseilz de ceulx
qui t'y ont voulu joindre affin que tu eusses
lignée qui perpetuast ton nom, ta loange et
renommée. O bien heureux sont les pères qui
laissent à leurs successeurs bons et sages enfans!
Combien ay je aujourd'huy regardé et
226perceu de pères estans aux jeuz de leurs enfans
qui se disoient trèseureux, et jugeroient
trèsbien avoir employé leurs ans si après
leurs decès leurs povoint laisser une petite
partie des grans biens que je possède. Mais
quel plaisir, quel soulas puis je jamais avoir?
Quel nom, quelle renommée aray je après la
mort? Où est maintenant le filz qui maintiendra
et fera memoire de moy, après mon trespas?
Beney soit ce saint mariage par quoy la
memoire et souvenance des pères est entretenue,
et dont leurs possessions et heritages
ont par leurs doulx enfans à eternelle permanence
et durée!» Quand ce bon marchant eust
longue espace à soy mesmes argué, subit
donna remède et solucion à ses argumens,
disant ces motz: «Or çà, il ne m'est desormais
mestier, obstant le nombre de mes ans,
tourmenter ne troubler de doleurs, d'angoisses
ne de pensemens. Au fort, ce que j'ay fait
par cy devant prenne semblance et comparaison
aux oyselletz qui font leurs nidz et preparent
avant qu'ilz y pondent leurs œufz. J'ay,
la mercy Dieu, richesses suffisantes pour
moy, pour une femme et pour pluseurs enfans,
s'il advient que j'en ye, et ne suis si
ancien, ne tant deffourny de puissance naturelle,
que je me doye soucier ne perdre esperance
de non pouvoir jamais avoir generacion.
Si me convient arrester et donner toute entente,
veiller et traveillier, advisant où je
troveray femme propice et convenable à moy.»
Ainsi son long procès finant, vuida hors de sa
227chambre, et fist vers luy venir deux de ses
bons soichons, mariniers comme luy, aus quelx
il descouvrit son cas tout au plain, les priant
trèsaffectueusement qu'ilz luy voulsissent aider
à querir et trouver femme pour luy, qui
estoit la chose du monde que plus desiroit.
Les deux marchans, entendu le bon propos
de leur compaignon, le prisèrent et loèrent
beaucop, et prindrent la charge de faire toute
diligence et inquisicion possible pour luy trouver
femme. Et tantdiz que la diligence et
enqueste se faisoit, nostre marchant, tant eschaudé
de marier que plus ne povoit, faisoit
de l'amoureux, cherchant par toute la cité
entre les plus belles la plus jeune, et d'aultres
ne tenoit compte. Tant chercha qu'il en trouva
une telle qu'il la demandoit; car de honnestes
parens née, belle à merveilles, jeune de
xv ans ou environ, gente, doulce et trèsbien
adrecée estoit. Après qu'il eut congneu les
vertuz et doulces condicions d'elle, il eut telle
affection et desir qu'elle fust dame de ses biens
par juste mariage, qu'il la demanda à ses parens
et amys, lesquelx, après aucunes petites
difficultez qui guères ne durèrent, luy donnèrent
et accordèrent. Et en la mesme heure
luy firent fiancer et donner caution et seureté
du douaire dont il la vouloit doer. Et si ce
bon marchant avoit prins grand plaisir en sa
marchandise, pendant le temps qu'il la menoit,
encores l'eut il plus grand quand il se
vit asseuré d'estre marié, et mesmement avec
femme telle que d'en povoir avoir de beaulx
228et doulx enfans. La feste et solennité des
nopces fut honorablement en grand sumptuosité
faicte et celebrée; la quelle feste faillie,
il, mettant en obly et non chaloir sa première
manière de vivre, c'est assavoir sur la mer,
fist trèsbonne chère et prenoit grand plaisir
avec sa belle et doulce femme. Mais le temps
ne luy dura guères que saoul et tanné en fut,
car la première année, avant qu'elle fut expirée,
print desplaisance de demourer à l'ostel en
oysiveté et d'y tenir mesnage en la manière qu'il
convient à ceulx qui y sont liez, se oda et tanna,
ayant si grand regret à son aultre mestier de
navyeur qu'il luy sembloit plus aysié et legier
à maintenir que celuy qu'il avoit si voluntiers
entreprins à gouverner nuyt et jour. Aultre
chose ne faisoit que subtilier et penser comment
il se pourroit en Alixandrie trouver en la
façon qu'il avoit accoustumée, et luy sembloit
bien qui n'estoit pas seulement difficille de soy
tenir de navier, non hanter la mer, et l'abandonner
de tous poins, mais aussi chose la plus
impossible de ce monde. Et combien que sa
volunté fust plainement deliberée et resolue de
soy retraire et revenir à son dit premier mestier,
toutesfois le challoit il à sa femme, doubtant
qu'el ne le print à desplaisir; avoit aussi
une crainte et doubte qui le destourboit et
donnoit empeschemeut à executer son desir,
car il cognoissoit la jeunesse du courage de
sa femme, et luy estoit bien advis que s'il s'absentoit,
elle ne se pourroit contenir; consyderoit
aussi la muableté et variableté de courage
229femenin, et mesmement que les jeunes
galans, luy present, estoient coustumiers de
passer souvent devant son huys pour la veoir,
dont il supposoit qu'en son absence ilz la
pourroient de plus près visiter et par adventure
tenir son lieu. Et comme il eut esté par
longue espace poinct et aguillonné de ces difficultez
et diverses ymaginacions, sans en
sonner mot, et qu'il congneut qu'il avoit jà
achevé et passé la plus part de ses ans, il
mist à non challoir et femme et mariage et
tout le demourant qu'il affiert au mesnage,
et aux argumens et disputacions qui luy avoient
troublé la teste donna brefve solucion, disant
en ceste manière: «Il m'est trop plus convenable
vivre que morir, et se je ne laisse et
abandonne mon mesnage en brefz jours, il
est tout certain que je ne puis longuement vivre
ne durer. Lairray je donc ceste belle et
doulce femme? Oy, je la lairray; elle ait doresnavant
la cure et soing d'elle mesme, s'il
luy plaist, je n'en veil plus avoir la charge.
Helas! que feray je! Quel deshonneur, quel
desplaisir sera ce pour moy s'elle ne se contient
et garde chasteté. Ho! il me vault mieulx
vivre que morir pour prendre soing pour la
garder; jà Dieu ne veille que pour le ventre
d'une femme je prende si estroicte cure ne
soing; aultre loyer ne salaire ne recevroye que
torment de corps et d'ame. Ostez moy ces rigueurs
et angoisses que pluseurs seuffrent
pour demourer avec leurs femmes; il n'est
chose en ce monde plus cruelle ne plus grevant
230les personnes. Jà Dieu ne me laisse tant
vivre que pour quelque adventure qu'en mon
mariage puist sourdre, je m'en courrousse ne
monstre triste. Je veil avoir maintenant liberté
et franchise de faire tout ce qui me vient à
plaisir.» Quand ce bon marchand eut donné
fin à ces trèslongues devises, il se trouva
avec ses compaignons navieurs, et leur dist
qu'il vouloit encore une foiz visiter Alixandrie
et charger marchandises, comme aultrefoiz
et souvent avoient fait en sa compaignie;
mais il ne leur declara pas les troubles
qu'il prenoit à l'occasion de son mariage. Ilz
furent tantost d'accord et luy dirent qu'il se
feist prest au premier bon vent qui sourvendroit.
Les navires et bateaulx furent chargez
et preparez pour partir et mis ès lieux où il
failloit attendre vent propice et oportun pour
navyer. Ce bon marchant doncques, ferme et
tout arresté en son propos, comme le jour
precedent, se trouva seul après souper avec
sa femme en sa chambre; il luy descouvrit
son intencion et manière de son prochain
voyage, et faindant que trèsjoyeux fust, luy
dist ces parolles: «Ma trèschère espouse, que
j'ayme mieulx que ma vie, faictes, je vous
requier, bonne chère, et vous monstrez joyeuse,
et ne prenez ne desplaisance ne tristece en ce
que je vous veil declarer. J'ay proposé de visiter,
se c'est le plaisir de Dieu, une foiz encore
le pais d'Alixandrie, en la fasson que j'ay
de long temps accoustumée, et me semble
bien que n'en devez estre marrye, attendu
231que vous congnoissez que c'est ma manière
de vivre, mon art et mon mestier, auquel
moien j'ay acquis richesses, maisons, nom,
renommée, et trouvé grand nombre d'amys
et de familiarité. Les beaulx et riches vestements,
aneaulx, ornemens, et toutes les aultres
precieuses bagues dont vous este parée et ornée
plus que nulle aultre de ceste cité, comme
bien savez, ai je achatez du gaing et avantage
que j'ay fait en mes marchandises. Ce voyage,
doncques, ne vous doit guères ennuyer, et ne
prenez jà desconfort, car le retour en sera
bref. Et je vous promectz que si à ceste foiz,
comme j'espoire, la fortune me donne eur,
plus jamais n'y veil aller, je y veil prendre
congé à ceste foiz. Il convient donc que prenez
maintenant courage bon et ferme; car je
vous laisse la disposicion, administracion et
gouvernement de tous les biens que je possède;
mais avant que je parte, je vous veil faire
aucunes requestes. Pour la première, je vous
prie que soiez joyeuse, tantdiz que je feray
mon voyage, et vivez plaisamment, et si j'ay
quelque pou d'ymaginacion que ainsi le facez,
j'en chemineray plus lyement. Pour la seconde,
vous savez qu'entre nous deux rien ne doit
estre tenu couvert ne celé, car honneur, prouffit
et renommée doivent estre, comme je tiens
qu'ilz sont, communs entre nous deux, et la
loange et honneur de l'un ne peut estre sans la
gloire de l'autre, neant plus que le deshonneur
de l'un ne peut estre sans la honte de tous
deux. Or je veil bien que vous entendez que je
232ne suis si desfourni ni despourveu de sens que
je ne pense bien comment je vous laisse jeune,
belle, doulce, fresche et tendre, sans soulas
d'homme, et que de plusieurs en mon absence
serez desirée. Combien que je cuide fermement que
avez maintenant nette pensée, courage
chaste et honeste, toutesfoiz, quand je
cognois quelz sont vostre eage et l'inclinacion
de la secrète et mussée chaleur en quoi vous
abundez, il ne me semble pas possible qu'il
ne vous faille, par pure necessité et contraincte,
ou temps de mon absence avoir compaignie
d'homme, dont je ne suis, la Dieu
mercy, en rien troublé. C'est bien mon plaisir
que vous vous accordez où vostre nature vous
forcera et contraindra; car je sçay qu'il ne
vous est possible d'y resister. Veezcy doncques
le point où je vous veil tresaffectueusement
prier, c'est que gardez nostre mariage le plus
longuement en son entiereté que vous pourrez.
Intencion n'ay ne volunté aucune de vous
mettre en garde d'aultruy pour vous contenir;
mais veil que de vous mesmes aiez la
cure et le soing et soiez gardienne. Veritablement,
il n'est si estroicte garde au monde
qui peut destourber n'empescher la femme
oultre sa volunté à faire son plaisir. Quand
doncques vostre chaleur naturelle vous aguillonnera
et poindra par telle manière que pour
vous contenir aurez perdu puissance, je vous
prie, ma chère espouze, que à l'execution de
vostre desir vous vous conduisiez prudentement
et subtillement, et tellement qu'il n'en
233puist estre publicque renommée; et que, si
aultrement le faictes, vous, moy et tous noz
amys sommes infames et deshonorés. Si en
fait doncques et par effect vous ne povez garder
chasteté, au mains mettez peine de la garder
tant qu'il touche fame et commune renommée.
Mais je vous veil apprendre et enseigner
la manière que vous devrez tenir en celle
matère, s'elle survient. Vous savez qu'en ceste
bonne cité a foison de beaulx jeunes hommes;
entre eulx tous, vous en choisirez ung seul,
et vous en tiendrez contente et assovye pour
faire ce où vostre nature vous inclinera. Toutesfoiz,
je veil que, en faisant l'election et le
chois, vous aiez singulier regard qu'il ne soit
homme vague, deshonneste et pou vertueux;
car de tel ne vous devez accointer, pour le
grand peril qui vous en pourroit sourdre. Car,
sans nul doubte, il descouvreroit et publicqueroit
à la volée vostre secret. Rien n'est tenu
couvert, clos ne celé par telz gens ne leurs
semblables. Doncques, vous elirez celuy que
cognoistrez fermement estre sage et prudent,
affin que, si le meschief vous advient, il mecte
aussi grand peine à le celer comme vous. De
ceste article vous requier je tresaffectueusement,
et que me promectez en bonne et ferme
leaulté que garderez ceste lecçon et retiendrez.
Si vous advise que ne me respondez sur
ceste matière en la forme et façon que soulent
et ont de coustume les aultres femmes
quand on leur parle telz propos comme je
vous dy maintenant; je sçay leurs responses
234et de quelz motz sçevent user, qui sont telz
ou semblables: «Hé! hé! mon mary, dont
vous vient ceste tristèce, ce courage troublé?
Qui vous a ainsi meu à ire? Où avez vous
chargé ceste opinion cruelle plaine de tempeste?
Par qu'elle manière ne comment me
pourroit advenir ung si abhominable delict?
Nenny! nenny! jà Dieu ne veille que je vous
face telles promesses, à qui je prie qu'il permette
la terre ouvrir qui me engloutisse et
devore toute vive, au jour et heure que
je n'y pas commettray, mais auray une
seule et legère pensée à la commettre?»
Ma chère espouse, je vous ay ouvert ces manières
de respondre affin que vers moy n'en
usez aucunement. En bonne foy, je croy et
tiens fermement que vous avez pour ceste
heure tresbon et entier propos, ou quel je vous
prie que demourez autant que vostre nature
en pourra souffrir. Et point n'entendez que je
veille que me promettez faire et entretenir ce
que je vous ay monstré et aprins, fors seulement
ou cas que ne pourriez donner resistence
ne bataillier contre l'appetit de vostre
fraile et doulce jouvence.» Quand ce bon
mary eut finé sa parolle, la belle, doulce et
debonnaire sa femme, la face rosée, se print
à trembler quand deut donner responses aux
requestes que son espoux luy avoit faictes.
Ne demoura guères, toutesfoiz, que la rougeur
s'evanuyt, et print asseurance, en fermant et
appuyant son courage de constance; et en
ceste manière causa sa gracieuse response,
235combien que voix tremblant la pronunçast:
«Mon doulx et tresamé mary, je vous asseure
qu'onques ne fuz si espoventée, si troublée
et evanuye de mon entendement, que j'ay
esté presentement par voz parolles, quand
elles m'ont donné la congoissance de ce
que oncques je n'oiz ne aprins, voirement
qu'oncques n'euz telle presumption que d'y
penser. Et aultre opinion ou supposition ne
puis de vous avoir fors que me querez et contendez
traveiller et tenser, car vous cognoissez
ma simplesse, jeunesse et innocence, qui
est pour vous, ce me semble, non pas moins
delict, mais tresgrand: certainement il n'est
point possible à mon eage de faire ou pourpenser
un tel meschief ou defaulte. Vous m'avez
dit que vous estes seur et savez vraiment
que, vous absent, je ne me pourroye contenir
ne garder l'entiereté de nostre mariage. Ceste
parolle me tormente fort le courage, et me fait
trembler toute, et ne sçay quelle chose je doye
maintenant dire, respondre, ne proposer à voz
raisons, ainsi m'avez tollu et privé l'usage de
parler. Je vous diray toutesfoiz ung mot qui
viendra de la profondesse de mon cueur, et en
telle manière qu'il gist vuidera il de ma bouche:
Je requier treshumblement à Dieu et à joinctes
mains luy prie qu'il face et commende ung
abysme ouvrir où je soye gectée, les membres
tous erachez, et tourmentée de mort cruelle,
si jamais le jour vient où je doye non seullement
commectre desloyauté en nostre mariage,
mais sans plus en avoir une brève pensée
236de le commettre; et comment ne par quelle
manière ung tel delict me pourroit advenir, je
ne le sçaroye entendre. Et pource que m'avez
forclos et seclus de telles manières de respondre,
disant que les femmes sont coustumières
d'en user pour trouver leurs eschappatoires
et alibiz forains, affin de vous faire
plaisir et donner repos à vostre ymaginacion,
et que voiez que à voz commendemens je suis
preste d'obeir, garder et maintenir, je vous
promectz de ceste heure, de courage ferme,
arresté et estable opinion, d'attendre le jour
de vostre revenue en vraie, pure et entière
chasteté de mon corps; et si que Dieu ne
veille il advient le contraire, tenez vous tout
asseur, et je le vous promectz, je tiendray la
règle et doctrine que m'avez donnée en tout
ce que je feray, sans la trespasser aucunement.
S'il y a aultre chose dont vostre courage soit
chargé, je vous prie, descouvrez tout et me
commendez faire et accomplir vostre bon desir;
aultre rien ne desire que de conjoindre noz
deux vouloirs en ung, et de faire le vostre,
non pas le mien.» Nostre marchant, oye la
response de sa femme, fut tant joyeux qu'il
ne se pouvoit contenir de plorer, disant:
«Ma chère espouse, puisque vostre doulce
bonté m'a voulu faire la promesse que j'ay
requis, je vous prie que l'entretenez.» Le
lendemain bien matin, le bon marchant fut
mandé de ses compaignons pour entrer
en la mer; si print congé de sa femme,
et elle le commenda à la garde de Dieu,
237puis monta en la mer. Lors se misrent à cheminer
et navyer vers Alixandrie, où ilz parvindrent
en brefs jours, tant leur fut le vent
propice et convenable, ou quel lieu s'arrestèrent
longue espace de temps, tant pour delivrer
leurs marchandises comme pour en charger
de nouvelles. Pendant et durant lequel
temps, la trèsgente et gracieuse damoiselle dont
j'ai parlé demoura garde de l'ostel, et pour
toute compaignie n'avoit que une petite jeune
fillette qui la servoit. Et, comme j'ay dit,
ceste belle damoiselle n'avoit que quinze ans,
pour quoy, si aucune faulte fist, il semble qu'on
ne le doit pas tant imputer à malice comme à
la fragilité de son jeune eage. Comme doncques
le marchant eust jà pluseurs jours esté
absent des doulx yeulx d'elle, pou à pou il fut
mys en obly. Et pour ce que sa doulceur,
beaulté et gracieuseté singuliers estoient cogneues
par toute la cité de longtemps, si tost
que les jeunes gens sceurent du departement
de son mary, ilz la vindrent visiter, laquelle
au premier ne vouloit vuyder de sa maison ne
soy monstrer; mais toutesfoiz, par force de
continuacion et frequentacion quotidienne,
pour le grand plaisir qu'elle print aux doulx
et melodieux chans et armonie d'instrumens
dont l'on jouoit à son huys, elle s'avança de
venir veoir et regarder par les crevaces des
fenestres et secretz treilliz d'icelles, par lesquelles
povoit trèsbien veoir ceulx qui l'eussent
plus voluntiers veue. En escoutant les
chansons et dances, prenoit à la foiz si grand
238plaisir que amours esmouvoit son courage tellement
que chaleur naturelle souvent l'induisoit
à briser sa continence. Tant souvent fut
visitée en la manière dessus dicte, qu'en la fin
sa concupiscence et desir charnel la vaincquirent,
et fut du dart amoureux bien avant touchée;
et comme elle pensast souvent comment
elle avoit, si à elle ne tenoit, si bonne habitude
et opportunité de temps et de lieu, car nul ne
la gardoit, nul ne luy donnoit empeschement
pour mectre à execution son desir, conclut et
dist que son mary estoit trèssage quand si bien
luy avoit acertené que garder ne se pourroit
en continence et chasteté, de qui toutesfoiz
elle vouloit garder et tenir la doctrine, et avecques
ce la promesse que faicte luy avoit. «Or
me convient-il, dist elle, user du conseil de
mon mary; en quoy faisant, je ne puis encourir
crime aucun ne deshonneur, puis qu'il
m'en a baillé la licence, mais que je n'excède
les termes de la promesse que j'ay fait. Il m'est
advis et il est vray qu'il me chargea, quand
le cas adviendrait que rompre me conviendroit
ma chasteté, que je eleusse homme qui fust
sage, bien renommé et de grand vertu, et
non aultre. En bonne foy, ainsi feray-je,
mais que je puisse; en non trespasser le conseil
de mon mary il me souffist largement. Et
je tiens qu'il n'entendoit point que l'homme
deust estre ancien, ains, comme il me semble,
qu'il fust jeune, ayant autant de renommée en
clergie et science qu'ung veil; telle fut la lecçon,
ce m'est advis.» Es mesmes jours que se
239faisoient ces argumentacions pour la partie de
nostre belle damoiselle, et qu'elle queroit ung
sage jeune homme pour luy refroider les entrailles,
ung trèssage jeune clerc arriva de son
eur en la cité, qui venoit freschement de l'université
de Bouloigne la crasse, où il avoit esté
plusieurs ans sans retourner. Tant avoit vacqué
et donné son entente à l'estude, que en
tout le pays n'y avoit clerc de plus grant renommée;
tous les magistratz et gouverneurs de
la cité luy assistoient continuellement, et avecques
aultres gens que grans clercs ne se trouvoit.
Il avoit de coustume depuis sa venue, et
jamais ne failloit, d'aller chacun jour sur le
marché, à l'ostel de la ville, et au lieu où le
parlement se faisoit, pour plaider les causes
de pluseurs, se rendoit; or estoit sa droicte
voie de son hostel au dit marché la rue où la
maison de cele damoiselle estoit située et assise,
et jamais ne povoit passer que par devant
l'huys d'icelle maison, puis qu'il prenoit
son chemin par la dicte rue. Il n'y avoit point
passé cent foiz qu'il fut choisy et noté, et pleut
trèsbien sa doulce manière et gravité à la damoiselle.
Et combien qu'elle ne l'eust oncques
veu exercer les faiz de clergie, toutesfoiz
jugea elle tantost qu'il estoit trèsgrand
clerc, mesmement qu'elle l'oyoit priser et renommer
pour le plus sage de toute la cité.
Auxquelz moyens elle le commença à desirer
et ficha toute son amour en luy, disant qu'il
seroit celuy, si à luy ne tenoit, qui luy feroit
garder la lecçon de son mary; mais par quelle
240fàcon elle luy pourroit monstrer son grand et
ardent amour et ouvrir le secret desir de son
courage, elle ne savoit, dont elle estoit trèsdesplaisante.
Elle s'advisa neantmains que,
pource que chacun jour ne falloit point de
passer devant son huys, allant au marché,
elle se mettroit au perron, parée le plus gentement
qu'elle pourroit, affin que au passer,
quand il gecteroit son regard sur sa beaulté,
il la convoitast et requist de ce dont on ne
luy feroit refus. Pluseurs fois la damoiselle se
monstra; combien que ce ne fust au paravant
sa coustume, et jasoit ce que trèsplaisante
fust et telle pour qui ung jeune courage devoit
tantost estre esprins et alumé d'amours, toutesfoiz
le sage clerc jamais ne l'apperceut, car
il marchoit si gracieusement qu'il ne gectoit
sa veue ne çà ne là. Et par ce moien la
bonne damoiselle ne prouffita rien en la façon
qu'elle avoit pourpensée et advisé. S'elle fut
dolente et desplaisante, jà n'est mestier d'en faire
enqueste, et plus pensoit à son clerc, et plus
alumoit et esprenoit son feu. A fin de pièce,
après ung tas d'ymaginacions que pour abreger
je passe, conclut et determina d'envoier
sa petite meschinette devers luy. Si la hucha
et commenda qu'elle s'en allast demander la
maison d'un tel, c'est assavoir de ce grand
clerc, et quand elle l'aroit trouvé, où qu'il
fust, luy dist que le plus en haste qu'il pourroit
venist à l'ostel d'une telle damoiselle, espouse
d'un tel; et que s'il demandoit quelle
chose il plairoit à la damoiselle, elle luy respondist
241que rien n'en savoit, mais tant seulement
qu'elle lui avoit dit qu'il estoit grand
necessité qu'il venist. La fillette mist en sa
memoire les motz de sa charge, et se partit
pour querir celuy qu'elle trouva; ne demoura
guères que l'en luy enseigna la maison où il
mengeoit au disner, en une grande compaignie
de ses amys et aultres gens de grant façon.
Ceste fillette entra ens, et en saluant la compaignie
s'adressa au clerc qu'elle queroit;
et oyans tous ceulx de la table, luy fist son
message bien et sagement, ainsi que sa charge
le portoit. Le bon seigneur, qui cognoissoit de
sa jeunesse le marchant dont la fillette luy
parloit, et sa maison, mais ignorant qu'il fust
marié ne qui fust sa femme, pensa tantost que,
pour l'absence du dit marchant, sa dicte femme
le demandoit pour estre conseillée en aucune
grosse cause, comme elle vouloit; mais ne l'entendoit-il
comme elle. Il respondit à la fillette:
«M'amye, allez dire à vostre maistresse que
incontinent que nostre disner sera achevé, je
iray vers elle.» La messagère fist la response
telle qu'il failloit et qu'on luy avoit dit, et
Dieu sçait s'elle fut joyeusement recueillie de
la marchande, que pour sa grand joye et
ardent desir qu'elle avoit de tenir son clerc
en sa maison, trembloit et ne savoit tenir
manière. Elle fist baloiz courre par tout, espandre
la belle herbe vert partout en sa chambre,
couvrir le lit et la couchette, desployer
riches couvertes, tappiz et courtines,
et se para et atourna des meilleurs atours et
242plus precieux qu'elle eust. En ce point l'attendit
aucun petit de temps, qui luy sembla
long à merveilles, pour le grand desir qu'elle
avoit. Tant fut desiré et attendu qu'il vint; et
ainsi que elle l'appercevoit venir de loing,
montoit et descendoit de sa chambre, aloit et
venoit maintenant cy, maintenant là, tant estoit
esmeue qu'il sembloit qu'elle fust ravye de
son sens. En fin monta en sa chambre, et
illec prepara et ordonna les bagues et joyaulx
qu'elle avoit attains et mis dehors pour festoier
et recevoir son amoureux. Si fist demourer
en bas la fillette chambrière pour l'introduire
et le mener où estoit sa maistresse. Quant
il fut arrivé, la fillette le receut gracieusement,
le mist ens et ferma l'huys, laissant tous ses
serviteurs dehors, aux quelz il fut dit qu'ilz
attendissent illec leur maistre. La damoiselle,
oyant son amoureux estre arrivé, ne se peut
tenir de venir en bas à l'encontre de luy, qu'elle
salua doucement, le print par la main et le
mena en la chambre qui luy estoit appareillée,
et où il fut bien esbahy quand il s'i trouva,
tant pour la diversité des paremens, belles et
precieuses ordonnances qui y estoient, comme
aussi pour la trèsgrande beaulté de celle qui
le menoit. Si tost qu'il fut en la chambre entré,
elle se seyt sur une scabelle, auprès de
la couchette, puis le feist asseoir sur une aultre
joignant d'elle, où ilz furent aucune espace
tous deux sans mot dire, car chascun attendoit
tousjours la parole de son compaignon, l'un en
une manière, l'autre en l'autre: car le clerc, cuidant
243que elle luy deust ouvrir quelque matière
grosse et difficile, la vouloit laisser commencer;
et elle, d'aultre costé, pensant qu'il fust
si sage que, sans luy declarer ne monstrer plus
avant, il dust entendre pour quoy elle l'avoit
mandé. Quand elle vit que manière ne faisoit
pour parler, elle commença et dist: «Mon
trèscher parfait amy et trèssage homme, je
vous diray presentement quoy et la cause qui
m'a meue à vous mander. Je cuide que vous
avez bonne cognoissance et familiarité avec
mon mary; en l'estat que vous me voyez icy m'a
il laissée et abandonnée pour mener ses marchandises
ès parties d'Alixandrie, ainsi qu'il
a de long temps accoustumé. Avant son partement
me dist que quand il seroit absent, il
se tenoit tout seur que ma nature me contraindroit
à briser ma continence, et que par necessité
me conviendroit à converser avec
homme. En bonne foy, je le repute ung trèssage
homme, car de ce qu'il me sembloit
adonc impossible advenir, j'en voy l'experience
veritable, car mon jeune eage, ma
beaulté, mes tendres ans, ne pevent souffrir que
le temps despende et consume ainsi mes jours
en vain; ma nature aussi ne se pourroit contenter.
Et affin que vous m'entendez bien à
plain, mon sage et bien advisé mary, qui avoit
regart à mon cas, quand il se partit, en plus
grande diligence que moy mesmes, voyant
que comme les jeunes et tendres fleurettes se
seichent et amatissent quand aucun petit accident
leur survient, et contre l'ordonnance
244et inclinacion naturelle, par telle manière
consideroit il ce qu'il m'estoit à advenir. Et
voyant clèrement que se ma complexion et condicion
n'estoient gouvernées selon l'exigence
de leurs naturelz principes, guères ne luy pourroye
durer, si me fist jurer et promettre que
quand il adviendroit ainsi que ma nature me
forceroit à rompre et briser mon entièreté, je
eleusse ung homme sage et de haulte auctorité,
qui couvert et subtil fust à garder nostre
secret. Si est il que en toute la cité je n'ay
sceu penser homme qui soit plus ydoine que
vous, car vous estes jeune et sage. Or m'est
il advis que ne me reffuserez pas ne rebouterez.
Vous voiez quelle je suis, et si povez
l'absence de mon bon mary supplier, car nul
n'en sara parler; le lieu, le temps, toute opportunité
nous favorisent.» Le bon seigneur,
prevenu et anticipé, fut tout esbahy en son
courage, combien que semblant n'en feist. Il
prit la main dextre à la damoiselle, et de joyeux
viaire et plaisante chère dist ces parolles:
«Je doy bien donner et rendre graces infinies
à madame Fortune, qui aujourd'uy me donne
tant d'eur et me fait percevoir le fruit du plus
grand desir que je povoye au monde avoir;
jamais infortuné ne me veil reputer ne clamer
quand en elle treuve si large bonté. Je puis
seurement dire que je suis aujourd'uy le plus
eureux de tous les aultres, car quand je conçoy
en moy, ma trèsbelle et doulce amye,
comment ensemble passerons nos jeunes jours
joyeusement sans que personne s'en puist
245donner garde, je sengloutiz de joye. Où est
maintenant homme qui est plus amy de Fortune
que moy? Se ne fust une seule chose qui
me donne ung petit et legier empeschement à
mectre à excecucion ce dont la dilacion aigrement
me poise et desplaist, je seroye le plus
et mieulx fortuné de ce monde.» Quand la
damoiselle oyt qu'il y avoit aulcun empeschement
qui ne lui laissoit desployer ses armes,
elle trèsdolente lui pria qu'il le declairast,
pour y remedier s'elle povoit. «L'empeschement,
dist il, n'est point si grand qu'en
petit de temps n'en soie delivré; et, puis qu'il
plaist à vostre doulceur le sçavoir, je le vous
diray. Ou temps que j'estoie à l'estude à l'université
de Boulongne la crasse, le peuple de
la cité fut seduit et meu tellement que par
mutemacque se leva encontre le seigneur; si
fuz accusé avec les aultres, mes compaignons,
d'avoir esté cause et moyen de la sedicion,
pour quoy je fus mis en prison estroicte, ou
quel lieu, quant je m'y trouvay, craignant perdre
la vie, pource que je me sentoye innocent
du cas, je me donnay et voué à Dieu, lui promettant
que, s'il me delivroit des prisons et
rendoit icy entre mes parens et amys, je jeusneroye
pour l'amour de lui ung an entier,
chascun jour au pain et à l'eaue, et durant
ceste abstinence ne feroye peché de mon corps.
Or ay je par son ayde fait la plus part de l'année,
et ne m'en reste guères. Je vous prie et
requier toutesfoiz, puis que vostre plaisir a esté
moy elire pour vostre, que ne me changez pour
246autre, et ne vous veille ennuyer le petit delay
que je vous donneray pour paracomplir mon
abstinence, qui sera bref faicte, et qui pieçà
eust esté faicte se je me eusse ozé fyer en
aultry qui m'en eust peu donner aide, car je
suis quitte de chacune jeusne que ung autre
feroit pour moy comme se je le faisoye. Et
pource que je perçoy vostre grande amour et
confiance que vous avez fiché en moy, je mettray,
s'il vous plaist, la fiance en vous que jamais
n'ay ozé mettre en frères ne amis que
j'aye, doubtant que faulte ne me feissent touchant
la jeusne; et vous prieray que m'aidez à
jeusner une partie des jours qui restent à l'acomplissement
de mon an, affin que plus bref
je vous puisse secourir en la gracieuse requeste
que m'avez faicte. M'amye doulce et entière,
je n'ay mais que soixante jours, lesquelz, se
c'est vostre plaisir, je partiray en deux parties.
Vous en aurez l'une et moy l'aultre, par telle
condicion que sans fraude me promettrez m'en
acquitter justement; et quant ilz seront acomplis,
nous passerons plaisamment noz jours.
Doncques, si vous avez la volunté de moy
aider en la manière que j'ay dessus dit, dictes
le moy maintenant.» Il est à supposer que la
grande et longue espace de temps ne luy pleut
guères; mais, pource qu'elle estoit si doulcement
requise et qu'elle desiroit le jeusne estre
parfaict et finé, pensant aussi que trente jours
n'aresteroient guères, elle promist de les faire
et acomplir sans fraulde ne sans deception ne
mal engin. Le bon seigneur, voyant qu'il avoit
247gaigné sa cause, print congié de la damoiselle,
luy disant que, puis que sa voie et chemyn estoit,
en venant de sa maison au marché, de passer
devant son huys, il la viendroit souvent visiter.
Ainsi se partit; et la belle dame commença
le lendemain à faire son abstinence, en prenant
règle et ordonnance que durant le temps de
son jeune ne mengeroit son pain et son eaue
jusques après soleil couché. Quand elle eut
jeuné trois jours, le sage clerc, ainsi qu'il alloit
au marché à l'heure qu'il avoit acoustumé,
vint veoir sa dame, à qui se devisa longuement;
puis, au dire adieu, lui demanda si
le jeune estoit encommencé; et elle respondit
que oy. «Entretenez vous ainsi, dist il, et
gardez la promesse que m'avez faicte.—Tout
entièrement, dit elle; ne vous en doubtez.»
Il print congé et se partit, et elle, poursuyvant
de jour en jour en son jeune, gardoit l'observance
en la façon que promis l'avoit, tant estoit
de loyale et bonne nature. Elle n'avoit pas
jeuné huit jours que sa chaleur naturelle commença
fort à refroider, et tellement que force
luy fut de changer habillemens, car les mieulx
fourrés et empanés, qui ne servoient qu'en
yver, vindrent servir au lieu des sangles et
tendres qu'elle portoit avant l'abstinence entreprinse.
Au quinziesme jour fut arrière visitée
de son amoureux le clerc, qui la trouva si
foible que à grand paine povoit elle aller par la
maison; et la bonne simplette ne se savoit
donner garde de la tromperie, tant s'estoit
donnée à amours et mis son entente à perseverer
248à cel jeune, pour le joyeux et plaisant delict
qu'elle attendoit seurement avoir avec son
grand clerc, lequel, quand à l'entrer en la maison
la vit ainsi foible, luy dist: «Quel viaire
est ce là et comment marchez vous? Maintenant
j'aperçoy que avez besoigné l'abstinence
et comment. Ma trèsdoulce et seule amye,
aiez ferme et constant courage; nous avons
aujourd'huy achevé la moitié de nostre jeusne.
Si vostre nature est foible, vaincquez la par
roiddeur et constance de cueur, et ne rompez
vostre loyale promesse.» Il l'ammonesta si
doulcement qu'il luy fist prendre courage par
telle façon qu'il luy sembloit bien que les aultres
quinze jours qui restoient ne luy dureroient
guères. Le xxve vint, auquel la simplette
avoit perdue toute couleur et sembloit
à demi morte, et ne luy estoit plus le desir si
grand qu'il avoit esté. Il luy convint prendre
le lict et y continuellement demourer, où elle
se donna aucunement garde que son clerc luy
faisoit faire l'abstinence pour chastier son desir
charnel; si jugea que manière et façon de
faire estoient sagement advisées, et ne povoient
venir que d'homme bien sage. Toutesfoiz,
ce ne la demeut point ne destourna
qu'elle ne fust deliberée et arrestée d'entretenir
sa promesse. Au penultime jour, elle envoya
querir son clerc, qui, quand il la vit couchée
au lict, demanda si pour ung seul jour qui
restoit avoit perdu courage; et elle, interrumpent
sa parole, luy respondit: «Ha! mon bon
amy, vous m'avez parfectement et de bonne
249amour amée, non pas deshonnestement, comme
j'avoie presumé de vous amer; pour quoy
je vous tien et tiendray, tant que Dieu me
donnera vie, mon trèschier et trèssingulier
amy, qui avez gardé et moy aprins et enseigné
à garder mon entière chasteté et ma chaste
entièreté, l'onneur et la bonne renommée de
moy, mon mary, mes parens et amys. Beneist
soit mon cher espoux, de qui j'ay gardé et
entretenu la leçon qui donne grand appaisement
à mon cueur! Or çà, mon vray amy, je
vous rends telles graces et remercie comme je
puis du grand honneur et bien que m'avez
faiz, pour lesquelx je ne vous saroie rendre
ne donner suffisantes graces, non feroit mon
mary, mes parens, ne tous mes amys.» Le bon
et sage seigneur, voyant son entreprise estre
bien achevée, print congé de la bonne damoiselle,
et doulcement l'amonnesta qu'il luy
souvint desoremais de chastier sa nature par
abstinence et toutes les foiz qu'elle s'en sentiroit
aguillonnée, par le quel moien elle demoura
entière jusques au retour de son mary,
qui ne sceut rien de l'adventure, car elle luy
cela; si fist le clerc pareillement.
Tome I.
P. xxj. Dans le manuscrit, la dédicace suit la table; mais j'ai adopté de préférence l'ordre des éditions imprimées.
P. xxij. De Dijon, etc. Cette date, qui me paroît une erreur évidente, est reproduite très exactement d'après le manuscrit; mais elle est d'une écriture un peu plus récente que celle du manuscrit lui-même, et d'une encre plus pâle. L'édition de Verard ne donne pas de date, mais l'éditeur (sans doute) a ajouté à la dédicace les mots: Et notez que par toutes les nouvelles où il est dit par monseigneur, il est entendu par monseigneur le Daulphin, lequel depuis a succédé à la couronne, et est le roy Loys unsiesme, car il estoit lors ès pays du duc de Bourgoingne. Voyez ce que j'ai dit à ce sujet dans l'Introduction.
P. xxvj. La dousiesme nouvelle. Il manque ici au manuscrit un cahier de quatre feuillets qui contenoit les titres des nouvelles 12e à 96e inclusivement; j'ai suppléé cette lacune d'après l'édition de Verard.
252P. 1. La première nouvelle. Ce conte se trouve dans un fabliau probablement du treizième siècle, intitulé Des deux changeors, et imprimé dans la collection de Barbazan, t. III, p. 254, et aussi dans le Pecorone, nov. 11. Brantôme, dans ses Dames galantes, le raconte comme une aventure qui étoit véritablement arrivée à Louis, duc d'Orléans, et à sa maîtresse Mariette d'Enghien, mère du bâtard comte de Dunois.
P. 6, l. 3. Serure. Le manuscrit lit ceruse, qui n'est probablement qu'une erreur de l'écrivain.
P. 8, l. 12. Meiser. Penser, Verard.
P. 9. La secunde nouvelle. On ne trouve ce conte dans aucun ouvrage plus ancien que Les Cent Nouvelles nouvelles; mais Malespini l'a imité dans les Ducento Novelle, nov. 37.
P. 16. La troysiesme nouvelle. Imitée des Facéties de Pogge, p. 64, édit. de 1798. Ce conte a été reproduit souvent sous différentes formes par les conteurs des seizième et dix-septième siècles.—Monseigneur de la Roche. Philippe Pot, seigneur de la Roche de Nolay, un des plus intimes et plus fidèles conseillers de Philippe le Bon et de son fils Charles le Téméraire, ducs de Bourgogne. En 1449, on le trouve nommé comme un des échansons du duc Philippe. Plus tard, il avoit l'office de chambellan dans la maison de Bourgogne, sous lequel titre il est mentionné dans un compte de l'année 1457, et il le tenoit encore en 1474. En 1466, Charles le Téméraire 253lui a donné l'office de capitaine de Lille, et il tenoit en même temps la capitainerie de Douai et d'Orchies. En 1470, le seigneur de la Roche reçut du duc Charles la charge de grand maître d'hôtel et chambellan de Bourgogne. Après la mort de son bienfaiteur, il entra dans la faveur de Louis XI, qui le nomma grand sénéchal de Bourgogne en 1477. Il est mort vers l'année 1498.
P. 26. La quarte nouvelle. Ce conte et les trois suivants se trouvent pour la première fois dans Les Cent Nouvelles nouvelles.
P. 29, l. 15. Sainct Trignan. Sainct Engnan, Verard.
P. 32. Philipe de Loan. Cet individu est mentionné sous le titre d'écuyer d'écurie du duc Philippe le Bon, en 1461, dans un manuscrit de la Bibliothèque impériale, ancien fonds, n. 6702. Verard a toujours changé ce nom en Philippe de Laon.
P. 32, l. 1. Monseigneur Talelot. Thalebot, Verard. C'étoit le célèbre guerrier, sir John Talbot, créé comte de Shrewsbury en 1441. Ses beaux faits d'armes faisoient la merveille du quinzième siècle. Il fut défait et fait prisonnier par Jeanne d'Arc à Patai en 1429, et tué à Châtillon le 20 juillet 1453, à l'âge de quatre-vingts ans.
P. 32, l. 2. Si preux, si vaillant, et aux armes. Ces mots sont omis dans le texte de Verard, qui n'approuvoit pas, sans doute, l'éloge qu'un Bourguignon faisoit de l'ennemi de la France.
254P. 33, l. 1. Couroye. A sa ceinture, Verard.
P. 36, ll. 16 et 28. Ciboire. Tabernacle, Verard. Le dernier mot est tout simplement une traduction de l'autre. On seroit porté à croire que le mot ciboire n'étoit plus en usage général à Paris.
P. 38. Par monseigneur de Launoy. Le nom de Jean de Launoy (ou Lannoy) est assez connu dans l'histoire de Bourgogne. En 1451, il fut créé chevalier de la toison d'or, et nous le trouvons plus tard gouverneur de Lille. Il paroît avoir secrètement servi les intérêts de Louis XI, et sa trahison étoit devenue si évidente, qu'en 1464 il fut obligé de se sauver en France, tandis que le comte de Charolois s'empara de son château. Durant le règne de Charles le Téméraire, il étoit en complète disgrâce à la cour de Bourgogne; mais après la mort de ce prince il reprit une grande influence en Bourgogne. Il n'est mort qu'en 1481.
P. 39, l. 3. Maistre curé. Ici et dans la suite, le texte de Verard a toujours substitué le mot prieur au mot curé.
P. 41, l. 7. Mesmes. Au mains, Verard.
P. 43, l. 4. Feste. Foire, Verard.
P. 43, l. 4. Feste de Lendit et d'Envers. La célèbre foire tenue à Saint-Denis dans le mois de juin.
P. 46. La huitiesme nouvelle. Cette nouvelle, qui est l'origine des Aveux indiscrets, 255de la Fontaine, est imitée des Facéties de Pogge, p. 165 de l'édition de 1798.
P. 50. La neufiesme nouvelle. Ce conte étoit assez populaire dans le moyen âge, et se trouve dans des ouvrages bien antérieurs à la date des Cent Nouvelles nouvelles, comme le fabliau du Meunier d'Aleu par le trouvère Enguerrand d'Oisi, le Décameron de Boccace, où il forme la 4e nouvelle de la 8e journée, et les Facéties de Pogge, p. 248. Les imitations modernes en sont nombreuses. C'est Les Quiproquos de la Fontaine.
P. 56. La dixiesme nouvelle. Imitée par la Fontaine et par d'autres conteurs; mais on ne la trouve dans aucun recueil antérieur aux Cent Nouvelles nouvelles.Verard a changé beaucoup le texte de cette nouvelle et de la suivante.
P. 61. La onziesme nouvelle. Imitée d'après Pogge, Facéties, p. 141. C'est le conte bien connu de L'Anneau d'Hans Carvel, de Rabelais.
P. 62, l. 21. Des fantaisies et pensées. C'est la leçon de Verard. Le manuscrit ne donne qu'un mot, que je n'ai pas pu déchiffrer d'une manière satisfaisante, mais qui ressemble à ermons.
P. 63. La douziesme nouvelle. Ce conte se trouve dans les Cento Novelle antiche et dans Pogge. Les imitations modernes sont très nombreuses.
P. 67. Monseigneur de Castregat. Par monseigneur l'amant de Brucelles, Verard. Jean 256d'Enghien, sieur de Kessergat, étoit maître-d'hôtel de duc de Bourgogne en 1461. Il tenoit en même temps l'office de chambellan. Il étoit amann (une charge municipale) de Bruxelles.
P. 67, l. 8. Procureur en Parlement. L'auteur des Cent Nouvelles nouvelles supposoit que le Parlement de Londres étoit une institution semblable à celui de Paris.
P. 68, l. 14. Malebouche... Dangier. Personnages du Roman de la Rose.
P. 73. La quatorzième nouvelle. La 2e nouvelle de la 4e journée du Décameron de Boccace. C'est le conte de L'Ermite de la Fontaine.
P. 73. Monseigneur de Créquy. Jean, seigneur de Créquy, de Canaples et de Tressin, fut élu chevalier de la Toison d'or lors de la fondation de cet ordre en janvier 1431. A la mort de Philippe le Bon, Jean de Créquy étoit un des douze seigneurs choisis pour porter son corps. Ce fut lui qui, en 1469, introduisit auprès du duc Charles le Téméraire les ambassadeurs de Louis XI.
P. 74, ll. 9 et 13. Ung soir... se trouva. Ung soir, environ la mynuyt, qu'il faisoit fort et rude temps, il descendit de sa montaigne et vint à ce village, et tant passa de voyes et sentiers que à l'environ de la mère et la fille sans estre oiseux se trouva, Verard. Un bon exemple des corruptions que Verard introduisit dans le texte de son édition.
257P. 75, l. 11. Reclusage. Hermitaige, Verard.
P. 76, l. 17. Et pitié. Le texte de Verard ajoute: Et la povre fille aussi plouroit, quand elle véoit ce bon et sainct hermite en si grande dévocion prier et ne sçavoit pourquoy. En comparant les deux textes, on trouvera plusieurs additions semblables, qu'on y a mises probablement dans l'idée de rendre le récit plus piquant.
P. 77, l. 15. Crochette. Potense, Verard.
P. 84. La seiziesme nouvelle. Un des contes les plus populaires du vieux temps, et qui a eu le plus grand nombre d'imitateurs. On le trouve dans la Disciplina clericalis de Pierre Alfonse, dans les Gesta Romanorum, dans les Fabulæ Adolphi publiées par Leyser, et dans Boccace. Les imitations modernes sont innombrables.
P. 85, l. 15. Perusse. Prusse, Verard. Les Chevaliers de l'ordre Teutonique, en Prusse, étoient toujours en guerre contre les infidèles.
P. 92, l. 13. Thamisoit de la fleur. Buletoit de la farine, Verard.
P. 101. La dix-neuviesme nouvelle. Ce conte se trouve assez souvent répété dans les manuscrits du moyen âge. Il forme le sujet d'un fabliau publié par Barbazan, tom. III, p. 215, De l'enfant qui fu remis au soleil.
P. 101. Philipe Vignier. Philippe Vignier est nommé parmi les valets de chambre de Philippe le Bon sous la date de 1451. Voyez 258les Mémoires pour servir à l'Histoire de France et de Bourgogne, p. 225.
P. 106. La vingtiesme nouvelle. Ce conte ressemble un peu à une des Facéties de Pogge, Priapi vis, p. 118 de l'édition de 1798.
P. 114. La vingt-uniesme nouvelle. Le conte de L'Abbesse guérie de la Fontaine, liv. IV, conte 2.
P. 120. Caron. G. Chastelain, dans ses Chroniques de Bourgogne, 3e partie, ch. 73, appelle Caron «le clerc de chappelle» de Philippe le Bon.
P. 121, l. 17. Sourdantes. C'est la leçon de Verard. Le manuscrit lit soudaines, une erreur évidente.
P. 125. La vingt-troisiesme nouvelle. Imitation du fabliau De celui qui vota la pierre, imprimé dans la collection de Méon, t. I, p. 307. Ce conte a été souvent reproduit par les conteurs des seizième et dix-septième siècles.
P. 125. Monseigneur de Quievrain. Monseigneur de Commesuram, Verard.
P. 125, l. 19. Le servir de landes, Dieu scet, largement. Le servir d'aubades assez largement, Verard.
P. 127, ll. 23-25. E de ce cas... de léans. Or est-il vray que là present y estoit ung jeune enfant de environ deux ans, filz de léans, Verard. J'aurais peut-être dû admettre dans le texte la leçon de Verard.
P. 128, l. 2. Approucha. C'est la leçon de 259Verard. Le manuscrit lit, il apperceu de la raye.
P. 128, l. 2. Monseigneur de Fiennes. Thibaut de Luxembourg, seigneur de Fiennes, étoit un des chevaliers qui accompagnoient le comte de Charolois à Lille en 1466. Vers la fin de sa vie, il devint ecclésiastique, et mourut, en 1477, évêque du Mans.
P. 134. Philipe de Saint Yon. Peut-être le fils de Garnot de Saint-Yon, qui étoit un des officiers de la maison du duc Jean Sans-Peur.
P. 135, l. 13. Larrier. Levrier, Verard.
P. 136, ll. 10, 12, 22. Duyere. Terrier, Verard.
P. 137. Monseigneur de Foquessoles. G. Chastelain parle d'un bailli de Fouquerolles, en 1419, qui étoit peut-être le père de notre conteur.
P. 140, l. 24. L'abbayt. Sans passer grans langaiges. Verard.
P. 151, l. 9. Mestrier, leçon de Verard; mestre. dans le manuscrit.
P. 154, l. 7. Tendreur. J'ai adopté la leçon de Verard; le manuscrit lit teneur.
P. 157. Monseigneur de Beauvoir. Jean de Montespedon, seigneur de Beauvoir, écuyer, conseiller, et premier valet de chambre de Louis XI, dont il étoit partisan avant son accession au trône.
P. 160, l. 20. Queues. Traynées, Verard.
P. 166. Messire Michault de Changy. Michault de Changy étoit conseiller du grand 260conseil, chambellan, premier écuyer tranchant, puis premier maître d'hôtel des ducs Philippe le Bon et Charles le Téméraire.
P. 166, l. 22. Boccace. L'ouvrage de Boccace auquel il est fait allusion ici est le livre latin De Casibus virorum illustrium, dont il existoit déjà des traductions françoises.
P. 173, l. 17. Boulevars, bailles. Bellèvres, baublières, Verard.
P. 177, l. 12. La ville de Chambery. Le nom de la ville manque dans le texte de Verard.
P. 183. Monseigneur de la Barre. Une faute d'impression. Lisez Barde. Jean d'Estecer, seigneur de la Barde, étoit compagnon d'exil du Dauphin de France, et conserva sa faveur lorsqu'il fut roi. En 1462, il fut envoyé par Louis XI comme son ambassadeur à la cour d'Angleterre.
P. 184, l. 29. Courre. Coucher, Verard.
P. 192. La trente-deuxiesme nouvelle. Ce conte se trouve dans Pogge (Facetiæ, p. 163, decimæ), et dans La Fontaine, liv. II, conte 3. L'auteur des Cent Nouvelles nouvelles l'a pris sans doute du premier de ces conteurs.
P. 192. Monseigneur de Villiers. Ce doit être Antoine de Villiers, premier écuyer du duc de Bourgogne, qui fut, à ce qu'on dit, un des seigneurs qui formoient la cour du Dauphin à Genappe. En 1475, il fut un des courtisans de Louis XI chargés de traiter les Anglois au camp devant Amiens.
261P. 192, l. 9. La ville d'Ostellerie en Casteloigne. Hostelerie, Verard.
P. 205, l. 29. Trop mieulx soulier à son pié. Trop mieulx garny au pongnet, Verard.
P. 218. La trente-quatriesme nouvelle. Ce conte est le sujet d'un fabliau par un trouvère nommé Jean de Condé, publié dans la collection de Méon, tom. I, p. 165, sous le titre: Du Clerc qui fut repus deriere l'escrin. On en trouve plusieurs imitations aux XVIe et XVIIe siècles.
P. 221, l. 8. Le survenu. C'est la leçon de Verard que j'ai adoptée, en place de celle du manuscrit, souvenir.
P. 232. La trente-septiesme nouvelle. Imitée par La Fontaine (liv. II, conte 10), et reproduite assez souvent par les conteurs des seizième et dix-septième siècles.
P. 232, l. 25. Les Quinze Joyes de mariage. Ouvrage célèbre d'Antoine de la Sale; voyez mon Introduction.
P. 233, l. 6. Qu'un follastre de sa massue. Que ung fol de sa marote, Verard.
P. 238. La trente-huitiesme nouvelle. On trouve ce conte dans Boccace (Décam., journée viie, nov. 8), et dans un fabliau (voy. Legrand d'Aussy, Fabl., tom. II, p. 340). L'origine se trouve dans les collections de contes indiens.
P. 238. Monseigneur de Loan. Monseigneur de Lau, Verard.
P. 245. Monseigneur de Saint Pol. Louis de Luxembourg, comte de Saint-Pol, fut créé 262connétable de France en 1465, et décapité par ordre de Louis XI en 1475.
P. 254, l. 2. Dedans la dicte cheminée. Dedens le bouhot de la dicte cheminée, Verard.
P. 256, l. 20. Jaserant. Haubergon, Verard. Cette variante, répétée dans le courant de la nouvelle, nous feroit croire qu'entre la date de la rédaction des Cent Nouvelles nouvelles et celle de l'édition de Verard, le jaserant, qui étoit une pièce d'armure plus légère que l'haubergeon, avoit cessé d'être en usage.
P. 261. Racomptée par Mériadech. Les documents contemporains parlent de Hervé de Mériadec au nombre des officiers de la maison de Bourgogne. Selon la chronique de Jacques de La Laing, il avoit accompagné l'expédition en Ecosse, et s'y étoit fait remarquer par ses exploits. En 1461, Louis XI lui donnoit le gouvernement de Tournai.
P. 283. Monseigneur de Thieuges, lisez Thienges. Thianges étoit la seigneurie de Chrestien de Digoine, conseiller et chambellan de Philippe le Bon. On le retrouvera dans les Cent Nouvelles nouvelles, cité comme le conteur de la nouvelle LXVIII.
P. 286, l. 7. Sa goune. Son manteau, Verard.
P. 287. La quarante-septiesme nouvelle. On a prétendu que cette aventure étoit arrivée à Grenoble, à Chaffrey Carles, président du parlement, au commencement du seizième siècle; mais la date de la nouvelle est évidemment 263trop ancienne pour que l'aventure de Chaffrey ait pu en être l'origine.
P. 295. Pierre David. Cet individu n'est connu que par un compte de la maison de Bourgogne, daté du 30 mai 1448, qui le porte aux appointements de 12 sols par mois.
P. 301. La cinquantiesme nouvelle. On trouve l'origine de cette nouvelle dans les Facéties de Pogge et dans l'ancienne collection italienne de Sacchetti, nov. XIV.
P. 301. Monseigneur de la Salle. Lisez, d'après le manuscrit, la Sale; ce n'est qu'une faute d'impression. Voyez sur Antoine de la Sale notre Introduction.
P. 301, l. 7. Au pays de Lannoys. Lannois, ou Lannoy, dans le Beauvoisis.
Tome II.
P. 5. L'acteur. Probablement Antoine de la Sale. Voyez notre Introduction.
P. 8. La cinquante-deuxiesme nouvelle. Se trouve dans la collection de Sacchetti, nov. XVI, et dans les Contes tartares.
P. 14, l. 32. Canonicque. A ce mot, assez expressif, Verard a substitué cronique.
P. 15, l. 2. Deux advis. Trois advis, Verard.
P. 15. Monseigneur l'Amant de Bruxelles. Voyez la note à la treizième nouvelle, p. 255.
P. 15, l. 24. L'église de Saincte Goule. 264L'église principale de Bruxelles est dédiée à sainte Gudule.
P. 17, l. 7. Les amis de l'espousée la prennent et mainent. Sic, manuscrit. La leçon de Verard paroît préférable et plus en accord avec ce qui suit: Les amis de l'espousé prennent l'espousée et l'emmainent.
P. 17, l. 24. Sa faille. Ses atournements, Verard. Il paroît que les imprimeurs de Paris ne comprenoient pas le mot faille, qui se trouve néanmoins dans le Dictionnaire de Cotgrave.
P. 21. Par Mahiot d'Anquasms. D'Auquesne, Verard. On trouve les noms de Mahiot Regnault et Mahiot Noël dans les comptes de la maison de Bourgogne, dont le premier étoit argentier.
P. 35, l. 5. Tapissées. Changé par Verard en pavées.
P. 41. Par Poncellet. Ce nom de Poncellet et Poncelet, mis en tête de cette nouvelle et des deux suivantes, ne se trouve dans aucun des documents contemporains.
P. 46, l. 12. Sorner. Farcer, Verard.
P. 46, l. 18. Mousseau. Une très bonne pièce de beuf, Verard.
P. 49. La soixantiesme nouvelle. Un conte à peu près semblable forme le sujet de: Li diz de frere Denise, cordelier, de Rutebeuf. Voyez les Œuvres de Rutebeuf, publ. par Jubinal, tom. II, p. 260.
P. 49, l. 1. Malines. Troyes, Verard.
P. 53. La soixante-uniesme nouvelle. C'est 265le fabliau Des Tresces, par le trouvère Guérin, publié par Babazan, tom. IV, p. 393.
P. 60. Monseigneur de Gueuvain. Voyez la soixante-deuxième nouvelle.
P. 60, l. 23. A laquelle assemblée. Cette assemblée fut tenue au château d'Oye, entre Calais et Gravelines, au mois de juillet 1440, pour négocier la délivrance de Charles, duc d'Orléans, prisonnier en Angleterre depuis la bataille d'Azincourt. Notre nouvelle donne des renseignements intéressants sur les circonstances de cette conférence.
P. 61, l. 3. Le cardinal de Viscestre. L'évêque de Winchester, Henri Beaufort, fils de Jean de Gand, duc de Lancastre, un prélat qui a joué un rôle très remarquable en Angleterre sous le règne d'Henri VI.
P. 71. Le texte de Verard ajoute à la fin de cette nouvelle: Et ainsi fut tout le maltalent pardonné, et la paix faicte entre les parties, c'est assavoir entre le dit Jehan Stotton et le dit Thomas Brampton, et furent bons amys ensemble.
P. 72. Par monsieur Montbleru. Guillaume de Montbléru fut bailli d'Auxerre de 1467 à 1469, et dans un compte de la maison du comte de Charolois, de l'année 1459, il est qualifié écuyer d'écurie. Il étoit le neveu de Jean Regnier, bailli d'Auxerre, qui a laissé un volume de poésies. Pierre de Montbléru, écuyer-échanson du duc Philippe en 1420, fut probablement le père de Guillaume.
P. 72, l. 14. Monseigneur d'Estampes. Jean 266de Nevers, comte d'Etampes, cousin du duc Philippe.
P. 78. La soixante-quatriesme nouvelle. Le sujet de ce conte est identique avec celui du fabliau du Prestre crucifié, publié dans la collection de Barbazan, tom. III, p. 14. On le trouve aussi dans une des nouvelles de Sacchetti.
P. 82. La soixante-sixiesme nouvelle. Cette nouvelle se trouve, dans une forme un peu moins développée, dans le fabliau Du Fevre de Creeil, publié dans Barbazan, tom. IV, p. 265.
P. 82. Le prévost de Wastennes. Le chroniqueur Jacques du Clercq parle de ce personnage comme d'un de ceux qui étoient attachés au comte de Charolois, mais il ne nous donne pas son nom.
P. 94. Messire Chrestian de Dygonye. Voyez la note à la quarante-sixième nouvelle, p. 262.
P. 97, l. 17. Le roy de Honagrie et monseigneur le duc Jehan. Sigismond, roi d'Hongrie, et Jean Sans-Peur, duc de Bourgogne. On parle ici de la bataille de Nicopolis, livrée en 1395, dans laquelle l'armée chrétienne, commandée par ces deux princes, fut détruite par les Turcs, sous Bajazet Ier.
P. 106, l. 19. Philippe. On a voulu effacer ce mot dans le manuscrit, mais à quel dessein?
P. 109, l. 21. Mesnage. J'ai adopté ici la leçon de Verard; le manuscrit lit mariage.
P. 114. Par maistre Jehan Lauvin. Jehan 267Lambin, Verard; nom qui ne se trouve pas dans les comptes de la maison de Bourgogne, bien qu'on cite un Berthelot Lambin au nombre des valets de chambre de Philippe le Bon.
P. 123. Monseigneur de Thalemas. Gui, seigneur de Thalemas, mort en 1463, sans enfants.
P. 128. La soixante-seiziesme nouvelle. L'origine de ce conte se trouve dans Pogge, sous le titre de Priapus in laqueo.
P. 132. Par Alardin. On trouve dans les comptes de la maison de Bourgogne deux individus de ce nom, le premier, Alardin la Griselle, écuyer-échanson du duc Philippe en 1436; l'autre, Alardin Bournel, un des officiers de cette maison de Bourgogne qui passèrent au service de Louis XI.
P. 133, l. 7. A Mortaigne. Sans doute c'est la ville de Mortagne, près de Tournai, dont on veut parler. Nos ancêtres, au Moyen Age, aimoient beaucoup à faire des jeux de mots sur les noms des personnes et des places, et s'en aller à Mortaigne est devenu une phrase populaire pour dire mourir.
P. 135. La soixante-dix-huitiesme nouvelle. Ce conte, très populaire et bien connu, se trouve dans un fabliau publié dans la collection de Barbazan, tom. III, p. 229 (Du Chevalier qui fist sa fame confesse), et dans le Décameron de Boccace, journée viie, conte 5, et a été imité par la Fontaine, Le Mari confesseur, liv. I, conte 4.
P. 135. Par Jehan Martin. Jean Martin, 268seigneur de Bretonnières, mort en 1475, fut en 1467 valet de chambre et premier sommelier de corps du duc de Bourgogne.
P. 141. La soixante-dix-neuviesme nouvelle. Voyez Poggii Facetiæ, p. 89 (éd. 1798), Circulator, pour l'origine de ce conte. Les conteurs modernes l'ont souvent répété.
P. 141, l. 17. Qu'on l'appeloit par tout. Que on l'appeloit maistre Jehan par tout, Verard.
P. 143. La quatre-vingtiesme nouvelle. Poggii Facetiæ, vol. I, p. 52, Aselli Priapus.
P. 144. Dernière ligne. Par mon serment. Par sainct Martin, Verard.
P. 146. Monseigneur de Vaurin. Monseigneur de Waulvrin, Verard. Jean Waurin est connu comme l'auteur d'une grande chronique d'Angleterre, dont les manuscrits sont assez nombreux. Il étoit, comme son père, qui fut tué à la bataille d'Azincourt, attaché à la maison des ducs de Bourgogne, et il étoit un des seigneurs qui accompagnèrent le duc Philippe à Paris en 1461. Voyez sur lui M. Paulin Paris, les Manuscrits françois de la Bibliothèque du roi, tom. I, p. 26.
P. 150. Dernière ligne. Ne fust couché, leçon de Verard. Le manuscrit porte: ne fist comme, ou connue, ce qui n'est pas un sens intelligible.
P. 155, l. 4. Nostre chastellenie de Lisle. Jean de Lannoy étoit en effet gouverneur de Lille en Flandre. Voyez la note à la sixième nouvelle, p. 254.
269P. 156, l. 5. Et bon bergier. Verard ajoute: que on appeloit Hacquier.
P. 157. Monseigneur de Vaurin. Waulvrin, Verard.
P. 157, l. 7. Libers. Lisez, avec le manuscrit, Lilers (c'est une faute d'impression). Lillers est une petite ville en Artois.
P. 161. Le marquis de Rothelin. Ce personnage, Philippe, marquis de Rocheberg, comte de Neufchâtel, et seigneur de Rothelin et de Badenoiller, est assez connu dans l'histoire de son temps. Il fut maréchal de Bourgogne, et plus tard grand chambellan de France.
P. 163. Par monseigneur de Santilly. Le nom du conteur manque dans l'édition de Verard.
P. 167. Par monseigneur Philipe Vignier, etc. Le nom du conteur manque dans l'édition de Verard.
P. 173. Par monsieur le Voyer. Ce nom manque aussi dans l'édition de Verard.
P. 173, l. 7. Du duc de Bourgoigne. Ces mots, qui manquent au manuscrit, sont ajoutés d'après le texte de Verard.
P. 177. La quatre-vingt-huitiesme nouvelle. On trouve ce conte, avec des circonstances un peu différentes, dans le fabliau de la Bourgeoise d'Orléans, Barbazan, tom. III, p. 161; dans Boccace, Décameron, journée VIII, nouv. 7, et dans Pogge, Facéties, p. 20, Fraus mulieris. C'est l'origine du conte de La Fontaine, Le Cocu battu et content, et les autres écrivains de ce genre l'on souvent imité.
270P. 177. Par Alardin. Le texte de Verard ne donne pas le nom du conteur.
P. 181. Par Poncelet. Ici encore le nom du conteur manque dans le texte de Verard. Poncelet est déjà connu comme le conteur de trois autres nouvelles, les cinquante-neuvième, soixantième et soixante-unième.
P. 182, l. 10. La blanche Pasque. C'est, comme Pasques flories, le dimanche des Rameaux.
P. 183, l. 5. Pasques flories. Le sixième dimanche du carême.
P. 183, l. 7. Que l'on dit Pasques communiaulx. Que l'en dit la Resurrection nostre Seigneur, Verard. Le jour de Pâques fut appelé souvent la Pâque communiant.
P. 184. La quatre-vingt-dixiesme nouvelle. On trouve l'origine de ce conte dans Pogge, Facetiæ, p. 51: Venia rite negata.
P. 184. Monseigneur de Beaumont. Le texte de Verard ne donne pas le nom du conteur.
P. 187. La quatre-vingt-onziesme nouvelle. Ce conte se trouve aussi dans Pogge: Novum supplicii genus.
P. 187. Par l'acteur, c'est-à dire par l'auteur. Cette nouvelle et la suivante sont sans nom de conteur dans l'édition de Verard.
P. 189, l. 7. Mix. Mez en Loraine, Verard.
P. 194. La quatre-vingt-treiziesme nouvelle. Poggii Facetiæ, p. 73: Quomodo calceis parcatur.
P. 194. Par messire Timoleon Vignier, etc. Le nom du conteur manque dans l'édition de 271Verard. Peut-être ce Timoléon Vignier étoit le frère de Philippe Vignier, à qui la dix-neuvième nouvelle est donnée.
P. 196, l. 6. Sur le bancq. A la taverne, Verard.
P. 201. La quatre-vingt-quinziesme nouvelle. L'origine de ce conte se trouve dans Pogge, Facetiæ, t. I, p. 205: Digiti tumor.
P. 201. Par Philipe de Loan. Par monseigneur de Villiers, Verard.
P. 202, l. 29. Frère Aubry. Frère Henry, Verard.
P. 205. La quatre-vingt-seiziesme nouvelle. On trouve l'origine de cette nouvelle dans le fabliau du Testament de l'âne, par Rutebeuf (Œuvres, par Jubinal, I, 273), et dans les Facetiæ de Pogge, p. 45: Canis testamentum. C'est sans doute de cette dernière collection que notre auteur l'a tirée.
P. 208: Par monseigneur de Launoy. Le nom du conteur manque dans le texte de Verard.
P. 211. Par l'acteur. Par Lebreton, Verard.
P. 217, l. 26. Les bourgois. Les brigans, Verard.
P. 219. La quatre-vingt-dix-neuviesme nouvelle. L'origine se trouve dans Poggii Facetiæ, p. 222: Sacerdotii virtus.
P. 219. Par l'acteur. Dans le texte de Verard, cette nouvelle reste sans nom de conteur.
P. 223. Par Philipe de Loan. Le nom du conteur manque dans Verard.
272P. 227, l. 2. Bons soichons. Compaignons, Verard.
P. 239, l. 6. Bouloigne la Grasse. Bologne en Italie. Sa terre est si fertile que, dans le moyen age, on lui a donné le nom de Bologna la Grassa.
AVEC LES TITRES DES NOUVELLES ÉDITIONS DE COLOGNE ET DE LA HAYE.
TOME I.
Pages. | |||
Introduction | v | ||
Dédicace | xxj | ||
Table des sommaires | xxiij | ||
Nouvelle | I. | La médaille à revers | 1 |
II. | Le cordelier médecin | 9 | |
III. | La pêche de l'anneau | 16 | |
IV. | Le cocu armé | 26 | |
V. | Le duel d'aiguillettes | 32 | |
VI. | L'ivrogne au paradis | 38 | |
VII. | Le charreton à l'arrière-garde | 43 | |
VIII. | Garce pour garce | 46 | |
IX. | Le mari maquereau de sa femme | 50 | |
X. | Les pastés d'anguille | 56 | |
XI. | L'encens au diable | 61 | |
XII. | Le veau | 63 | |
XIII. | Le clerc châtré | 67 | |
XIV. | Le faiseur de papes, ou l'homme de Dieu | 73 | |
XV. | La nonne savante | 81 | |
XVI. | Le borgne aveugle | 84 | |
XVII. | Le conseiller au bluteau | 90 | |
XVIII. | La porteuse du ventre et du dos | 95 | |
320 | XIX. | L'enfant de neige | 101 |
XX. | Le mari médecin | 107 | |
XXI. | L'abbesse guérie | 114 | |
XXII. | L'enfant à deux pères | 120 | |
XXIII. | La procureuse passe la raye | 125 | |
XXIV. | La botte à demi | 128 | |
XXV. | Forcée de gré | 134 | |
XXVI. | La demoiselle cavalière | 137 | |
XXVII. | Le seigneur au bahut | 157 | |
XXVIII. | Le galant morfondu | 166 | |
XXIX. | La vache et le veau | 173 | |
XXX. | Les trois cordeliers | 177 | |
XXXI. | La dame à deux | 183 | |
XXXII. | Les dames dîmées | 192 | |
XXXIII. | Madame tondue | 204 | |
XXXIV. | Seigneur dessus, seigneur dessous | 218 | |
XXXV. | L'échange | 223 | |
XXXVI. | A la besogne | 229 | |
XXXVII. | Le bénitier d'ordure | 232 | |
XXXVIII. | Une verge pour l'autre | 238 | |
XXXIX. | L'un et l'autre payé | 245 | |
XL. | La bouchère lutin dans la cheminée | 251 | |
XLI. | L'amour et l'aubergon en armes | 256 | |
XLII. | Le mari curé | 261 | |
XLIII. | Les cornes marchandes | 267 | |
XLIV. | Le curé courtier | 270 | |
XLV. | L'Ecossois lavendière | 280 | |
XLVI. | Les poires payées | 283 | |
XLVII. | Les deux mules noyées | 287 | |
XLVIII. | La bouche honnête | 292 | |
XLIX. | Le cul d'écarlate | 295 | |
L. | Change pour change | 301 | |
TOME II. | |||
LI. | Les vrais pères | 5 | |
LII. | Les trois monuments | 8 | |
LIII. | Le quiproquo des épousailles | 15 | |
LIV. | L'heure du berger | 21 | |
321 | LV. | L'antidote de la peste | 25 |
LVI. | La femme, le curé, la servante, le loup | 29 | |
LVII. | Le frère traitable | 34 | |
LVIII. | Fier contre fier | 38 | |
LIX. | Le malade amoureux | 41 | |
LX. | Les nouveaux frères mineurs | 49 | |
LXI. | Le cocu dupé | 53 | |
LXII. | L'anneau perdu | 60 | |
LXIII. | Montbléru, ou le larron | 72 | |
LXIV. | Le curé rasé | 78 | |
LXV. | L'indiscrétion mortifiée et non punie | 82 | |
LXVI. | La femme au bain | 87 | |
LXVII. | La dame à trois maris | 90 | |
LXVIII. | La garce dépouillée | 94 | |
LXIX. | L'honnête femme à deux maris | 97 | |
LXX. | La corne du diable | 101 | |
LXXI. | Le cornard débonnaire | 106 | |
LXXII. | La nécessité est ingénieuse | 109 | |
LXXIII. | L'oiseau en la cage | 114 | |
LXXIV. | Le curé trop respectueux | 122 | |
LXXV. | La musette | 123 | |
LXXVI. | Le laqs d'amour | 128 | |
LXXVII. | La robe sans manches | 132 | |
LXXVIII. | Le mari confesseur | 135 | |
LXXIX. | L'âne retrouvé | 141 | |
LXXX. | La bonne mesure | 143 | |
LXXXI. | Le malheureux | 146 | |
LXXXII. | La marque | 155 | |
LXXXIII. | Le carme glouton | 157 | |
LXXXIV. | La part au diable | 161 | |
LXXXV. | Le curé cloué | 163 | |
LXXXVI. | La terreur panique, ou l'official juge | 167 | |
LXXXVII. | Le curé des deux | 173 | |
LXXXVIII. | Le cocu sauvé | 177 | |
LXXXIX. | Le curé distrait | 181 | |
XC. | La bonne malade | 184 | |
XCI. | La femme obéissante | 187 | |
XCII. | Le charivari | 189 | |
XCIII. | La postillonne sur le dos | 194 | |
XCIV. | Le curé double | 197 | |
XCV. | Le doigt du moine guéri | 201 | |
322 | XCVI. | Le testament du chien | 205 |
XCVII. | Les hausseurs | 208 | |
XCVIII. | Les amants infortunés | 211 | |
XCIX. | La métamorphose | 219 | |
C. | Le sage Nicaise, ou l'amant vertueux | 223 | |
Notes | 251 | ||
Glossaire | 273 |
FIN DE LA TABLE.
Tome I.
Pag. | Ligne. | ||||
14 | 33 | au lieu de | ient | lisez | tient. |
84 | 5 | — | pré set | — | prés et. |
134 | 24 | — | Etainçois | — | Et ainçois. |
173 | 10 | — | a chef | — | à chef. |
173 | 19 | — | baillés | — | bailles. |
183 | 14 | — | La Barre | — | La Barde. |
229 | 26 | — | quelque | — | quel que. |
233 | 3 | — | advenues. Nostre | — | advenues, nostre. |
252 | 27 | — | veoit | — | véoit. |
275 | 7 | — | Quen | — | Qu'en. |
283 | 2 | — | Thieuges | — | Thienges. |
283 | 21 | — | l'abbesse qui veoit | — | l'abbesse, qui véoit. |
301 | 2 | — | La Salle | — | La Sale. |
Tome II. | |||||
28 | 28 | — | quon | — | qu'on. |
65 | 30 | — | requis, | — | requist. |
99 | 31 | — | qu | — | qui. |
109 | 15 | — | cueur que | — | cueur, que. |
157 | 9 | — | Libers | — | Lillers. |
166 | 33 | — | alousie | — | jalousie. |
202 | 10 | — | la dole | — | l'adolé. |
226 | 26 | — | ye | — | aye. |
231 | 7 | — | este | — | estes. |
La première ligne indique l'original, la seconde la correction:
p. 263:
P. 1. L'acteur. Probablement Antoine de la Sale.
P. 5. L'acteur. Probablement Antoine de la Sale.
p. 317:
Ung (A l'), également, d'une manière unie. 215.
Ung (A l'), également, d'une manière unie. I, 215.
p. 320:
LI. Les vrais pères 4
LI. Les vrais pères 5
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Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For forty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.